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Gonzalo Sánchez Gómez*
Les intellectuels constituent une catégorie sociale difficile à cerner. De l’”appel”, forme typique de protestation des intellectuels contre l’oppression et la guerre, on a dit qu’il représentait pour les intellectuels la même chose que la grève pour les ouvriers. Indépendamment de toute définition normative ou sociologique, on peut voir trois éléments constitutifs de la relation originelle: l’interpellation de l’opinion publique, le distancement ou la rupture vis-à-vis du pouvoir, et le recours à l’action collective, le tout dans le but bien claire de rétablir la justice malmenée, hors de toute autre considération.
Une fois posées ces prémisses générales, je voudrais esquisser et illustrer une historique de la relation des intellectuels avec la politique durant l’ère républicaine, en me centrant sur le cas de la Colombie, mais en conservant toujours en point de mire l’histoire culturelle du sous-continent. Dans cette relation, je vois cinq moments ou modalités : a) les intellectuels lettrés, b) les maîtres, c) les intellectuels critico-contestataires, d) les intellectuels citoyens ou intellectuels pour la démocratie, et e) les intellectuels médiateurs.
Ce que je souhaite, c’est que depuis cette perspective et depuis cette tribune, ma présentation sur l’histoire politique des intellectuels en Colombie soit une invitation pour mes collègues américains à repolitiser la vision de leur rôle et de leur objet d’étude. L’objet central étant ici l’Amérique Latine, il faudrait ajouter une seconde ligne de réflexion, liée à la précédente : l’Amérique Latine peut être abordée, par les universitaires, comme cas ou déviation d’un modèle, ou bien comme illustration d’une hypothèse, avec des médiations qui peuvent inclure ou pas la politique, mais qui ne l’exigent pas. Pour les intellectuels, au contraire, les questions sont intimement liées à des valeurs étiques et politiques, comme la démocratie, les droits de l’homme, les réformes économiques ou les conséquences de la guerre. Le jour où tout un chacun acceptera pleinement le fait qu’être spécialiste de l’Amérique Latine comporte d’inévitables engagements de nature étique, ce jour-là, la relation entre le centre et la périphérie commencera à changer, fût-ce pour un thème spécifique. Ce jour-là verra aussi le début d’un changement dans la conscience et l’identité collectives des intellectuels nord-américains. D’une certaine façon, je suppose que cette approche est en marche avec le plan intégré de réflexion et d’action que propose l’Institut Kellogg sur la Colombie, dans les domaines cités, et c’est une perspective qu’on aimerait voir se reproduire dans d’autres centres des Etats-Unis. Si de telles initiatives prospèrent, et si nous parvenons à universaliser la crise colombienne, c’est-à-dire à l’associer aux expériences traumatiques d’autres peuples, la Colombie ne serait plus perçue comme l’exception en Amérique Latine, mais plutôt, d’une part, comme une préfiguration des maux qu’il faudrait savoir éviter sous d’autres latitudes, et d’autre part comme l’occasion pour redécouvrir les bases d’un nouveau et fécond dialogue interaméricain. Voilà, à mon avis, le meilleur tribut que l’on puisse payer à l’héritage de Martin Diskin, anthropologue et humaniste distingué qui a justement consacré son action et sa pensée à vaincre le différend entre les deux amériques, en construisant une nouvelle relation et en portant un nouveau regard sur l’Amérique Latine. Peut-être qu’avec le temps nous pourrons nous aussi, les latino-américains, porter un nouveau regard sur les Etats-Unis.
[article complet (en espagnol)]
* Profesor Titular
del Instituto de Estudios Políticos y Relaciones Internacionales
de la Universdad Nacional de Colombia.
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