M A M A C O C A |
Dr. Bruce Michael Bagley*
5 janvier 2001
Introduction
Cet essai se propose d'étudier l'impact des politiques anti-drogue, menées par les gouvernements américain et colombien, sur l'évolution des cultures illicites, du trafic et de la violence politique en Colombie dans les années 1990. Notre thèse centrale est que la guerre que Washington et Bogotá ont livrée contre la drogue au cours de la décennie passée en Colombie se solde par un échec: non seulement elle n'a pas réussi à freiner la croissance du trafic et de la corruption qui y est liée, mais elle a fini par produire des effets contraires. Cet échec a eu des conséquences imprévues: parmi les plus flagrantes, citons, entre autres, l'explosion des activités de culture et de production de drogue, la dispersion et la prolifération du crime organisé, et l'extension et l'intensification de la violence politique et de la lutte des guérillas en Colombie. En conséquence, les menaces à la sécurité nationale et à la stabilité politique auxquelles la Colombie devait faire face début 2000 étaient autrement plus sérieuses qu'en 1990. L'essai conclut que le projet proposé par l'administration Clinton en janvier 2000, qui consiste à passer la vitesse supérieure par rapport à la décennie passée en matière de stratégies anti-drogue, ne résoudra pas les problèmes actuels de violence et d'insécurité, et que, selon toute probabilité, les choses ne feront qu'empirer.
Malgré l'aide de près d'un milliard de dollars apportée par les USA pour la lutte antinarcotique au cours de la décennie 1990, la Colombie était parvenue en 1999 au premier rang mondial en matière de culture de coca, en produisant plus de feuille de coca à elle seule que le Pérou et la Bolivie.[1] Entre 1989 et 1998, la production colombienne de feuille de coca a cru de 140%, passant de 33.900 à 81.400 tonnes. Mieux encore, les niveaux de production de 1999 ont plus que doublé par rapport à 1998, pour un total de 220 tonnes. Cette croissance énorme des niveaux de production reflète le fait qu'entre 1996 et 1999, la superficie des champs de coca colombiens est passée de 68.820 à 120.000 hectares, soit une croissance de presque 100%. Cette expansion explosive s'est produite malgré le programme permanent d'éradication mené par la Police nationale colombienne, qui a fumigé 65.000 hectares en 1998, ce qui représente approximativement 50% de plus qu'en 1997 et constitue un record en la matière. Au cours de l'année 2000, la superficie cultivée totale devait atteindre 200.000 hectares, et pourrait passer à 500.000 hectares en 2002 au rythme actuel d'expansion.[2]
Parallèlement, la Colombie conserve également le premier rang mondial des nations productrices de cocaïne, fournissant en 1999 environ 80% (220 tonnes) des importations illégales de cocaïne aux USA (300 tonnes). En 2000, le pays devrait avoir produit de 330 à 440 tonnes de cocaïne pure, à partir de la production nationale de feuille de coca, ou de la cocaïne-base en provenance du Pérou et de Bolivie.
Dans les années 90, la production colombienne de pavot à opium (matière première de fabrication de l'héroïne) a également connu une croissance fulgurante, partant de zéro en 1989 pour atteindre 61 tonnes en 1998. Même si ces chiffres ne font de la Colombie qu'un acteur de deuxième plan, avec moins de 2% de la production mondiale, ils lui ont néanmoins permis de devenir le premier fournisseur de l'est des Etats-Unis à la fin de la décennie, avec des exportations annuelles estimées à 6 tonnes.
La Colombie est également restée un important producteur de marijuana au cours de la décennie, avec à peu près 5.000 hectares de cultures. En 1998 comme en 1999, le pays fournissait approximativement 40% (4.000 tonnes) des importations de cannabis sur le marché américain.
Une étude de l'association des institutions financières colombiennes (ANIF) indiquait qu'en 1999, les ventes au détail de cocaïne, d'héroïne et de cannabis d'origine colombienne représentaient un marché de 46 milliards de dollars au niveau mondial. Si l'on suppose que moins de 10% de cette somme revient au pays, les revenus pour la Colombie du trafic de drogue s'élèveraient donc, selon l'ANIF, à 3,5 milliards de dollars en 1999. L'apport du commerce de la drogue serait donc équivalent à celui du pétrole (3,75 milliards de dollars), et représenterait deux fois et demie plus que les exportations de café. Malgré ces statistiques accablantes, il serait inexact de conclure à un échec total de la politique de "guerre contre la drogue" menée par les USA dans la région andine dans les années 90. En contraste avec la situation colombienne, au Pérou, les cultures de coca ont chuté de 27% entre 1996 (96.000 ha) et 1997 (70.000 ha), et représentaient moins de 50.000 ha en 1999. Conséquence directe, la production péruvienne de cocaïne a également décliné fortement au cours de la décennie, passant d'un pic de 606 tonnes en 1992 à 264 tonnes en 1998, alors que l'estimation pour 2000 est d'à peine 192 tonnes. Depuis mars 1998, cependant, le raffermissement du prix de la feuille de coca péruvienne menace de raviver la croissance des cultures dans ce pays.[4]
A l'image du Pérou, la Bolivie a également connu un déclin substantiel des cultures de coca durant la décennie, passant de 48.800 ha en 1996 à 46.000 (1997) puis 38.000 (1998), tandis que la production de cocaïne chutait de 248 à 77 tonnes entre 1992 et 1999, avec une estimation de 55 tonnes pour l'année 2000.[5]
Dans une large mesure, le succès des programmes d'éradication de la coca et de développement de cultures alternatives soutenus par les USA au Pérou et en Bolivie vers la fin des années 90 s'explique par la destruction du "pont aérien" qui jusque-là, avait permis aux trafiquants colombiens de transporter la pâte de coca ou "base", produite dans ces deux pays, vers la Colombie, où elle était raffinée en cocaïne ultérieurement exportée vers les Etats-Unis. Le pont aérien s'est effectivement effondré en 1995 lorsque l'aviation péruvienne, sur ordre du président Alberto Fujimori, a commencé à abattre les avions soupçonnés de faire du trafic entre le Pérou et la Colombie. En 1995, 25 appareils ont ainsi été abattus, et de nombreux autres contraints à atterrir pour inspection de la cargaison. Le résultat fut immédiat: la demande de feuille de coca péruvienne s'est effondrée entre avril et août 1995, et les prix ont chuté de plus de 60%. Menés de pair avec les campagnes plus agressives d'éradication des cultures lancées par les gouvernements péruvien et bolivien (avec l'aide financière des USA) dans les années 1996 et suivantes, les programmes de développement de cultures alternatives ont connu un vif succès auprès des paysans producteurs de coca. Cependant, pour faire face à l'arrêt du pont aérien, les trafiquants colombiens ont rapidement étendu les cultures de feuille de coca en Colombie, ce qui a permis à la Colombie, vers la fin de la décennie, de ravir au Pérou et à la Bolivie la première place mondiale des pays producteurs de coca. [6]
En 1999, le succès du programme péruvien d'éradication, qui s'était attiré de nombreuses louanges, fut sérieusement remis en question par une reprise fulgurante des prix de la feuille de coca, qui atteignirent les 2/3 de leur pic de 1995, d'où un nouvel essor des cultures. Ceci peut s'expliquer par la combinaison de plusieurs facteurs. D'abord, les trafiquants péruviens s'arrangèrent peu à peu pour rouvrir des voies aériennes vers la Colombie, et explorer des voies alternatives, terrestres, fluviales ou maritimes, ce qui raviva la demande de feuille de coca péruvienne et donc rendu la production plus rentable. Par ailleurs, la décision prise par le gouvernement américain, en mai 1998, de suspendre les vols de surveillance des avions espions Awac et P-3 Orion au-dessus du Pérou, afin de se concentrer sur l'espace aérien colombien où le trafic se développait fortement, a clairement diminué la capacité des péruviens à intercepter les vols suspects au-dessus de leur territoire national. Parallèlement, le phénomène climatique El Niño frappa le Pérou de plein fouet début 1998, et les forces de sécurité se virent obligées à transférer leur flotte d'hélicoptères et d'avions, normalement dédiés à la répression du trafic, vers les régions côtières inondées qui demandaient une aide d'urgence. De façon similaire, le regain de tension entre le Pérou et l'Equateur en 1998 conduisit le gouvernement à déplacer certains appareils vers la zone frontalière. Si bien qu'en août 1999, l'administration Clinton dut se résoudre à reprendre les vols de surveillance au-dessus du Pérou afin d'aider l'aviation péruvienne à intercepter les vols des trafiquants.[7]
Parallèlement, les trafiquants péruviens avaient entrepris de raffiner localement la pâte de coca au lieu de l'exporter vers la Colombie, ce qui augmentait la demande, constituant ainsi un deuxième facteur de reprise des prix de la coca au Pérou. Troisième facteur, la consommation urbaine de cocaïne augmenta sensiblement vers la fin des années 90 au Pérou (comme cela avait été le cas dans les centres urbains de la région tout au long de la décennie), ce qui améliorait les profits sur le marché local et poussait la demande de matière première. Enfin, le déclin de la production en Bolivie fut une incitation supplémentaire pour les cultures au Pérou (et en Colombie), tout particulièrement avec la demande croissante de cocaïne en Europe, où les prix au détail atteignaient souvent le double de ceux observés aux Etats-Unis. En 1999, aux Etats-Unis, 13 millions de consommateurs ont dépensé approximativement 67 milliards de dollars en drogues illicites, ce qui fait du marché américain le plus lucratif au monde pour les trafiquants colombiens. Washington a consacré à peu près deux tiers de son budget anti-drogue, qui s'élevait à 17,8 milliards de dollars en 1999, pour la répression du transport et d'autres activités destinées à freiner la déferlante de drogues illicites en provenance de Colombie et d'autres régions de l'hémisphère. De fait, durant les années 90 le gouvernement américain a fortement privilégié les activités de répression du transport de stupéfiants, tactique-clé dans sa stratégie anti-drogue globale.[9]
Dans les années 1980, le cartel de Medellín dominait le trafic de drogue colombien, et les principales voies d'exportation passaient par (ou volaient au-dessus de) la mer des Caraïbes, pour entrer par le Sud de la Floride ou ailleurs sur la côte Atlantique des Etats-Unis. Dans la seconde moitié des années 80, ces voies de contrebande "traditionnelles" subirent une pression croissante de la part des autorités américaines, ce qui entraîna une migration progressive vers de nouvelles voies, qui passaient par l'Amérique centrale et le Mexique, pour entrer aux Etats-Unis via la frontière du Sud-Ouest. Au début des années 90, 70 à 80% de la cocaïne exportée illégalement de Colombie vers les USA passait par le Mexique, les 20 à 30% restants passant par les Caraïbes.[10]
Ce spectaculaire remaniement des voies de contrebande est sans conteste dû à l'intensification des efforts de répression du transport de la part des entités américaines chargées de faire respecter la loi dans ce secteur, secondées de plus en plus fréquemment par les forces armées (particulièrement la Navy et l'Air Force). Le "succès" américain sur ce front de la guerre contre la drogue n'a pas eu, cependant, d'impact en termes de réduction de l'offre de cocaïne (ou d'héroïne) sur le marché des USA, et encore moins en termes d'augmentation du prix au détail, au cours des années 90. Dans la pratique, les trafiquants des cartels de Medellín et Cali se sont montrés remarquablement adaptables, créant rapidement de nouvelles voies de contrebande pour remplacer les anciennes, devenues trop risquées. Au lieu de réduire le trafic de drogue entre la Colombie et les USA, l'augmentation de la répression dans les Caraïbes a donc simplement fait croître de façon spectaculaire l'itinéraire Colombie-Amérique Centrale-Mexique, avec l'inévitable cortège de violence et de corruption lié à tout trafic de drogue à grande échelle.[11]
Initialement, les cartels colombiens avaient organisé les choses de telle sorte que les organisations mexicaines existantes se chargeaient du passage du "produit" de l'autre côté de la frontière des USA, et se voyaient rétribuer cette prestation de service. Cependant, vers le milieu des années 90, alors que le cartel de Medellín, puis celui de Cali étaient partiellement démantelés par les forces de l'ordre américaines et colombiennes, les mafiosi mexicains commencèrent à exiger d'être payés de leurs services en nature plutôt qu'en espèces: il était alors courant qu'ils reçoivent 40 à 50% des cargaisons dont ils assuraient le transport. Cet accroissement du rôle des Mexicains dans le trafic de drogue d'origine colombienne au cours des années 90 coïncida avec une croissance exponentielle des profits illicites dans ce pays, et avec la consolidation de plusieurs cartels mexicains (cartel de Juarez, de Tijuana, du Golfe, etc.). Ces cartels rivalisèrent bientôt avec leurs équivalents colombiens en termes de taille, de rentabilité et de violence. De fait, dans la seconde moitié de la décennie, l'émergence de ces puissantes organisations criminelles déclencha une vague de violence et de corruption sans précédent, qui menaça très sérieusement le processus de démocratisation naissant au Mexique.[12]
Au cours de la décennie, Washington répondit à l'augmentation du trafic de drogue le long de sa frontière avec le Mexique en soutenant la lutte anti-drogue dans le sud-ouest, et en poussant Mexico à coopérer plus activement avec les autorités américaines lors d'opérations jointes de lutte contre le trafic, sur la frontière comme à l'intérieur du Mexique. Bien que cette collaboration n'ait connu qu'un succès limité, à cause de la corruption liée à la drogue régnant au Mexique, à la fin des années 90 les opérations poussées de répression le long de la frontière avaient permis une réduction significative du trafic de cocaïne et d'héroïne vers les USA. Les efforts américains et mexicains de lutte anti-drogue furent accélérés par la querelle qui opposa vers la fin de la décennie les mafias colombiennes et mexicaines à cause de la marge exorbitante que ces dernières s'assuraient dans le trafic. L'explosion de violence intestine dans les familles mafieuses mexicaines, tout particulièrement suite à la mort en 1997 du baron du cartel de Juarez, Amado Carrillo Fuentes ("El Señor de los cielos"), contribua également au déclin des routes mexicaines utilisées par les colombiens, et, par là même, à un plus grand succès des opérations américaines de lutte anti-drogue le long de la frontière.[13]
Une fois encore, cependant, le "succès" des opérations américaines était plus apparent que réel. Il devint évident, vers la fin de la décennie, que les trafiquants colombiens étaient retournés à leurs routes traditionnelles de contrebande dans les Caraïbes. De plus en plus de rapports indiquaient que la cocaïne et l'héroïne colombiennes transitaient par la République Dominicaine, Haïti, Cuba et Porto Rico vers les Etats-Unis. Il y avait également de plus en plus d'indices de transport de cocaïne à bord de conteneurs vers les ports de la côte est des USA, et une nouvelle vague de "mules" ou "avaleurs" convoyant de l'héroïne à bord de lignes aériennes ou de navires de croisière. Fin 1999, c'est probablement près de 50% du commerce de cocaïne colombienne et 80 à 90% du trafic d'héroïne qui se faisait par les Caraïbes plutôt que par le Mexique. En tête de la liste des pays de transit, on trouvait la République Dominicaine, Haïti, la Jamaïque, Porto Rico et Cuba. Ce retour vers les routes plus traditionnelles fut rendu en partie possible par la décision de Washington, plus tôt dans la décennie, de transférer du personnel douanier du sud de la Floride vers la frontière du sud-ouest, ce qui exposait de nouveau les routes des Caraïbes vers la Floride du sud. La récession sévère qui accabla bien des îles des Caraïbes vers cette époque a sans aucun doute contribué à rendre ces dernières plus vulnérables au trafic de drogue et à la corruption.[14]
La fermeture en mai 1999 de la base aérienne Howard au Panama, en vertu de l'obligation contractée par Washington dans le traité de 1977 de restituer le contrôle de la zone du Canal au Panama à la fin du siècle, contribua à réduire encore plus la capacité américaine de surveillance du trafic aérien. Tout au long des années 90, la base Howard avait été la base des opérations d'avions-radar AWAC destinées à surveiller les zones hors de portée des trois stations radar contrôlées par les USA dans le sud de la Colombie. Avec la perte de Howard, les cargaisons de drogue, tout particulièrement le long de la côte Pacifique de la Colombie, reprirent de l'ampleur fin 1999. Les demandes faites au Pentagone par le Commandement Sud, basé à Miami, pour établir des vols de surveillance au-dessus de l'Amérique Centrale, l'Amérique du Sud et les Caraïbes ne furent satisfaites que dans 43% des cas en 1999. Le gouvernement américain négocia en 1999 la modernisation d'une base aérienne à Manta, en Equateur, pour remplacer Howard, mais en février 2000 les travaux n'avaient toujours pas commencé.[15]
A partir de 1998, l'armée de l'air colombienne, comme son équivalent péruvien, commença à forcer à atterrir ou à abattre les appareils soupçonnés de trafic de drogue. En deux ans, 36 avions furent interceptés, dont 6 furent abattus et le reste détruit après atterrissage. En février 2000 le ministre de la Défense, Luis Fernando Ramirez, annonçait que le gouvernement Pastrana avait l'intention d'accélérer ses opérations de contrôle aérien en cours d'année, à l'aide de nouveaux équipements que l'administration Clinton devait fournir. En Colombie, même si on a pu observer une expansion exponentielle des cultures et du trafic au cours de la décennie, les efforts combinés des gouvernements américain et colombien parvinrent effectivement à perturber les activités des deux plus fameuses organisations de trafiquants, les cartels de Medellín et de Cali. Au début des années 90, après l'assassinat en 1989 du candidat présidentiel pour le Parti Libéral, Luis Carlos Galán, par des tueurs à gages (sicarios) à la solde du baron de Medellín, Pablo Escobar, les gouvernements de Virgilio Barco Vargas (1986-1990) puis de Cesar Gaviria Trujillo (1990-1994) montèrent des attaques en règle contre le cartel de Medellín. Un an après la mort de Pablo Escobar lors d'une fusillade sur les toits de Medellín, en 1993, le cartel de Medellín était largement démantelé. Puis, en 1995-1996 le gouvernement d'Ernesto Samper Pizano s'attaqua au cartel de Cali qu'il parvint à démanteler.[17]
Bien que des fragments des deux organisations aient poursuivi les affaires à des niveaux inférieurs (et parfois depuis la prison) vers la fin des années 90, le démembrement de ces deux puissantes et violentes multinationales de trafic de drogue au début et au milieu de la décennie constituent des succès importants pour les autorités anti-drogue américaines et colombiennes. Aux temps bénis du trafic, dans les années 80 et au début des années 90, le cruel cartel de Medellín avait suborné, intimidé ou assassiné des quantités de fonctionnaires, à tous les niveaux du gouvernement, pour protéger ses opérations de trafic. Après que le président Belisario Betancur (1982-86) ait commencé à extrader les trafiquants de drogue colombiens vers les Etats-Unis à la suite de l'assassinat, commandité depuis Medellín en 1984, du procureur général Rodrigo Lara Bonilla, les capos de Medellín se livrèrent à une campagne narco-terroriste systématique destinée à forcer le gouvernement à stopper les extraditions. Cette campagne aboutit finalement en 1987, lorsque la Cour Suprême de Colombie, après une campagne d'intimidation minutieusement orchestrée, déclara anticonstitutionnel le traité d'extradition signé avec les USA. En bref, vers le milieu des années 80, le cartel de Medellín était devenu si riche et si puissant qu'il représentait une menace directe pour la sécurité de l'état colombien. L'élimination du cartel de Medellín, puis, plus tard, du tout aussi dangereux cartel de Cali doivent donc être reconnues comme des victoires importantes dans la guerre contre la drogue en Colombie, puisqu'elles ont effectivement stoppé net l'émergence d'un "narco-état" dans le pays.[18]
L'importance indéniable des succès du gouvernement colombien contre les cartels de Medellín et de Cali ne doit pas, cependant, cacher la réalité sous-jacente: l'explosion des cultures et du trafic de drogue en Colombie au cours de la deuxième moitié des années 90. Elle ne doit pas non plus détourner notre attention de la corrosion politique croissante qui a résulté du toujours florissant commerce de la drogue. En fait, la mort, l'extradition ou l'emprisonnement des principaux barons des cartels, loin de réduire le trafic, n'ont créé que des interruptions mineures et temporaires du flux de contrebande de drogue depuis la Colombie vers les Etats-Unis et l'Europe. En effet, le vide laissé par le démantèlement partiel des deux grands cartels a rapidement été rempli par l'arrivée et la prolifération, dans toute la Colombie, de quantité d'organisations plus petites et moins visibles (mais tout aussi violentes), les "cartelitos", qui s'investirent dans le trafic de la cocaïne et celui, plus lucratif et en expansion rapide, de l'héroïne. Cependant, au contraire des cartels de Medellín et de Cali, ces groupes nouveaux et de moindre taille ont gardé un profil bas, opérant souvent à partir des villes secondaires, nombreuses en Colombie, où il leur était facile d'acheter ou d'intimider les fonctionnaires locaux pour obtenir une "protection" tout en restant relativement anonymes.[19]
Même s'il est improbable que ces nouvelles petites "boutiques" surgies dans le sillage des grands cartels menacent directement la sécurité nationale, comme l'avaient fait les cartels de Medellín et de Cali vers la fin des années 80 et le début des années 90, elles n'en ont pas moins représenté, pour les autorités anti-drogue américaines et colombiennes, de nouveaux défis que celles-ci n'ont pas su résoudre efficacement. On a certes vu, récemment, des "coups" très médiatisés contre les trafiquants, comme la capture en octobre 1999, au cours de l'opération "Milenio", du baron de la drogue Alejandro Bernal ("Juvenal"), successeur de Pablo Escobar et de son organisation de Medellín ; il n'en reste pas moins que le commerce de la drogue, nullement diminué, restait florissant en Colombie à l'aube du XXIe siècle, et que ses effets violents et destructeurs inondent toujours les institutions politiques et judiciaires colombiennes, rendant aléatoires les possibilités de réformes démocratiques efficaces.[20]
Bien entendu, la corruption politique n'a pas attendu l'avènement du trafic de drogue à grande échelle pour régner en Colombie. En fait, cette corruption plonge ses racines dans l'héritage colonial et la culture de politique élitiste, de règne patrimonial et de clientélisme qui marque le pays depuis son indépendance il y a presque deux siècles. Le trafic de drogue et son cortège de violence criminelle et de corruption politique ont émergé en Colombie vers la fin des années 60 et dans les années 70, dans le contexte d'un Etat aux institutions faibles déjà envahi par la corruption politique et le clientélisme. L'arrivée et l'expansion de puissantes organisations criminelles internationales dédiées au trafic de drogue dans les années 70 et 80 n'étaient que le résultat des faiblesses du système politique colombien, faiblesses qu'elles ont grandement contribué à exacerber par la suite. Dans les années 80 et au début des années 90, les énormes profits réalisés par les cartels colombiens de la drogue leur a permis de mettre en place leurs propres armées privées (des groupes paramilitaires) et de suborner ou d'intimider les politiciens ou les fonctionnaires du gouvernement à tous les niveaux. En conséquence, le système judiciaire colombien s'est virtuellement effondré à la fin des années 80 et au début des années 90: l'achat de fonctionnaires à des postes-clés de la police et de l'armée était monnaie courante, et on estime que 60% des parlementaires ont reçu des financements de campagne illégaux, ce qui garantissait leur coopération sur des sujets essentiels comme l'extradition.[21]
Le monde des affaires et le secteur privé ont également succombé, acceptant souvent des paiements en espèces, facilitant le blanchiment d'argent au travers d'affaires légitimes, vendant des biens à des prix exorbitants, etc. De fait, dans les années 90 il était souvent impossible de distinguer clairement les activités légales et illégales dans le secteur privé. Pour donner une idée de l'ampleur du problème, la "Commission de la vérité" (composée d'enquêteurs de différents services de l'Etat) a publié en février 2000 un rapport sur la corruption dans le secteur bancaire nationalisé, qui révélait qu'au cours de la décennie un total de 7,2 milliards de pesos [soit environ 300 millions de FF] avait été détourné dans six banques propriétés de l'Etat. A la suite de cet énorme scandale financier, plus de 1200 procédures judiciaires ont été récemment lancées contre des banquiers, des hommes d'affaires, des leaders syndicaux, des parlementaires, de ex-ministres et des hauts-fonctionnaires. Dans les propres termes du Procureur Général colombien, Alfonso Gómez, ce type de corruption des secteurs public et privé "... est encore plus dangereux [pour le pays] que les groupes armés oeuvrant en marge de la loi".[22] De fait, en 1999, selon Transparency International, la Colombie comptait parmi les nations les plus corrompues de la planète.
Au cours des années 90, sous la forte pression des Etats-Unis, Bogotá parvint à freiner, au moins partiellement, la corruption effrénée et l'escalade de la violence criminelle dues aux cartels de Medellín et Cali. Néanmoins, les campagnes relativement réussies menées par la Colombie contre ces deux grandes organisations criminelles n'ont en aucune façon réussi à extirper du pays la corruption liée à la drogue. Selon des rapports récents du gouvernement U.S., "... la corruption répandue dans tous les secteurs du gouvernement Colombien était un inhibiteur important pour les opérations antidrogue" et "... la corruption liée à la drogue dans toutes les branches du gouvernement a continué à ébranler l'efficacité de la Colombie en matière de lutte antinarcotiques." L'implication croissante de la principale organisation de guérilla en Colombie --les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie ou FARC-- dans des activités liées aux cultures et au trafic de drogue n'a fait que compliquer, au cours de la décennie, les problèmes auxquels devaient faire face les agents de lutte anti-drogue travaillant en Colombie. L'éclipse des principaux cartels a donné à cette guérilla forte de 20.000 hommes l'opportunité de mieux profiter de la prospère industrie de la drogue. Les FARC l'ont fait principalement en taxant les cultivateurs dans leurs zones d'influence et en offrant leurs services aux organisations de trafiquants pour protéger récoltes, laboratoires de production et terrains d'atterrissage.[24] A la fin de la décennie, quelques indices, ponctuels il est vrai, suggéraient que certains "fronts" des FARC avaient même entrepris de lancer leurs propres unités de raffinage dans des régions reculées du pays. Il n'y avait cependant aucune indication d'une implication de membres des FARC dans le trafic à l'extérieur de la Colombie.[25] Le haut commandement des FARC a toujours réfuté les accusations selon lesquelles l'organisation serait impliquée dans le commerce de la drogue en Colombie: "La vérité est que nous ne dépendons pas économiquement de la coca."[26] Cependant, le Général Fernando Tapias, chef des forces armées colombiennes, affirmait le contraire: "Je crois que personne en Colombie ou dans le monde ne peut douter qu'il existe des liens entre le trafic de la drogue et les groupes rebelles" [27]
A la fin de la décennie, le gouvernement colombien estimait que les revenus totaux des FARC provenant du commerce de la drogue atteignaient 400 millions de dollars par an. Si l'on y ajoute les 500 millions de dollars par an que les FARC sont censées tirer de leurs activités plus "traditionnelles" (comme par exemple la collecte de "l'impôt" révolutionnaire sur les grands propriétaires fonciers, les enlèvements contre rançon, l'extorsion, le vol, les "commissions" prélevées sur les instances administratives et les affaires locales), on arrive à un revenu annuel de la FARC qui pourrait s'élever en 1999 à 900 millions de dollars.[28]
Si les revenus provenant du commerce de la drogue ont très certainement constitué un apport financier appréciable pour les FARC, il serait erroné de conclure que l'argent de la drogue est, ou a été par le passé, un facteur essentiel dans la poursuite de la guerre que mènent les FARC contre le gouvernement colombien. En premier lieu, un certain nombre de "fronts" des FARC n'ont jamais dépendu de revenus tirés de la coca ou du pavot pour maintenir leurs activités. Par ailleurs, toute baisse du revenu lié à la drogue serait très certainement compensée en accroissant les revenus des enlèvements, de l'extorsion et des "impôts" révolutionnaires réclamés aux paysans, propriétaires fonciers, hommes d'affaires et multinationales étrangères. Donc, l'élimination de l'économie souterraine de la drogue en Colombie, si on devait y parvenir un jour, ne signifierait pas inévitablement la fin de la guerre de guérillas vieille de 40 ans et qui a coûté au pays quelques 35.000 vies au cours de la décennie passée.[29]
En tous cas, alimentées pour une bonne part par les revenus liés à la drogue, les FARC ont progressé régulièrement, en termes d'effectifs et de puissance de feu, au cours des années 90. Vers la seconde moitié de la décennie, elles se sont souvent révélées capables de vaincre ou d'infliger des coups sévères aux forces armées colombiennes. La décision de l'administration Clinton de "décertifier" la Colombie en 1996 et 1997 [càd de lui retirer son visa de bon élève dans la lutte anti-drogues NdT] (principalement à cause de la prétendue contribution de 6,1 millions de dollars faite au président Samper par le cartel de Cali pour la campagne présidentielle de 1994) a provoqué une réduction substantielle de l'aide U.S. à la Colombie. De manière prévisible, ces réductions ont contribué à détériorer la capacité militaire colombienne dans la lutte contre les FARC. Finalement, la taille et la force croissantes des FARC furent un facteur essentiel dans la décision du Président Andres Pastrana (1998-2002), peu après son investiture en août 1998, de lancer une nouvelle et ambitieuse initiative de paix avec les FARC.
Alors que ces négociations de paix avançaient de façon désespérément lente pendant les 18 premiers mois de son administration, le Président Pastrana et le chef guérillero des FARC, Manuel Marulanda Velez (surnommé "Tirofijo"), ont convenu en novembre 1998 d'établir une zone démilitarisée de 42000 kilomètres carrés (zona de despeje) dans le département du Caquetá. En fait, l'accord obligeait les forces gouvernementales à se retirer complètement de ce territoire de la taille de la Suisse situé dans les plaines orientales (llanos orientales ) au sud-est du pays, et leur interdisait toute opération militaire ou de renseignement dans la zone. Le raisonnement du gouvernement Pastrana, avec la création de la zona de despeje, était de démontrer les intentions pacifiques de Bogotá et de faciliter des discussions de paix avec les FARC en créant une zone de "distension" dans laquelle les négociations pourraient se dérouler.[30]
Dans la pratique, la zona est rapidement devenue une sorte de sanctuaire pour les FARC. Quelque 5.000 guérilleros s'y tiennent en permanence et sont devenus
de facto le gouvernement de la zone. Des voix de plus en plus nombreuses s'élèvent pour critiquer Pastrana, tant localement qu'à l'échelon international (notamment dans le congrès américain), dénonçant à maintes reprises la création de la zona de despeje comme un signe que Pastrana cédait le pays aux FARC, tout en permettant la consolidation d'un état "narco-guérillero" au sein même du territoire national colombien. Au cours des 18 derniers mois, les forces des FARC qui opèrent dans la zone ont été fréquemment accusées de violer l'esprit et la lettre de l'accord: assassinats sélectifs, détention des victimes d'enlèvements, menaces aux maires et juges de la zone, fouilles et saisies illégales, arrestation de civils innocents, détournement d'argent public, recrutement d'enfant dans leurs rangs, entraînement de nouvelles recrues et de commandos terroristes, et construction de batteries antiaériennes et d'autres types de dispositifs militaires pour renforcer leur défense. Ils ont également été accusés d'exploiter environ 35000 hectares de coca dans la zone, d'acheter des récoltes de feuilles de coca aux paysans dans les départements voisins (Meta, Guaviare, Caquetá et Putumayo) et de les vendre directement aux cartels de la drogue, et d'utiliser les 37 terrains d'atterrissage à leur disposition à l'intérieur de la zone démilitarisée pour convoyer de la cocaïne raffinée vers pratiquement toutes les régions du pays.[31]
Des sources proches des services de renseignement colombiens et américains croient aussi que les FARC ont utilisé la zona de despeje et leurs revenus provenant de la coca et d'autres activités illicites pour entreprendre un important programme de réarmement au cours des 18 derniers mois. En janvier 2000, le Général Tapias estimait qu'au cours des 18 mois précédents les FARC avaient acquis plus de 20.000 fusils d'assaut est-allemands, ainsi que des lance-grenades, des mortiers, 12 missiles sol-air SAM, du matériel de communication sophistiqué, et leur propre force aérienne, réduite mais en pleine croissance. Depuis 1997, trois pilotes américains en missions anti-drogue au sud de la Colombie pour le compte de DynCorp, un sous-traitant militaire américain, ont été tués lorsque leurs appareils se sont écrasés à terre. A la mi-1999, un DeHavilland RC-7 de l'US Army, rempli de matériel sophistiqué pour l'interception de communications par radio et téléphone mobile, s'est écrasé dans les jungles du sud de la Colombie, officiellement pendant une patrouille antinarcotique de routine. Les cinq militaires américains qui se trouvaient à bord ont tous été tués. Il n'y a aucune preuve indiquant que les FARC aient abattu ces avions. De nombreuses sources indiquent néanmoins qu'elles ont acquis la force de feu suffisante pour le faire par le futur. Dans le seul mois de janvier 2000, les guérillas des FARC actives dans le sud-est de la Colombie ont tiré à 8 reprises des missiles RPG-7 contre des avions, apparemment sans succès. Tout comme leurs rivaux de gauche les FARC, les forces paramilitaires de droite (Autodefensas Unidas de Colombia --AUC), qui comptent environ 7.000 hommes en Colombie, se financent au moins en partie en prélevant des impôts sur l'industrie de la drogue dans les zones qu'ils contrôlent. Lors d'un entretien télévisé en janvier 2000, le chef paramilitaire Carlos Castaño Gil a admis ouvertement pour la première fois que ses troupes d'"auto-défense" basées dans le nord-ouest du pays prélevaient habituellement 40% du revenu des paysans producteurs de coca. Et c'est un fait que les combats les plus violents entre guérilleros et paramilitaires en Colombie pendant la dernière décennie ont eu lieu dans des régions riches en ressources naturelles (par exemple le pétrole, l'or ou les émeraudes) ou en cultures illicites.[33]
Supportés par beaucoup de grands propriétaires fonciers, les trafiquants de drogue et certains secteurs de l'armée, les très virulents paramilitaires anti-communistes a été les principaux responsables des vagues de massacres de civils qui ont balayé la Colombie au cours de la dernière décennie. Pour les seules années 1998 et 1999 la fréquence des massacres a augmenté de 44%, laissant plus de 2000 civils colombiens morts en 1999.[34] Les attaques systématiques contre les civils soupçonnés de "sympathiser" avec la guérilla, plutôt que contre les guérilleros eux-mêmes, ont provoqué le déplacement de presque deux millions de colombiens pendant les années 90. Malgré la brutalité des "paras", la peur des rebelles de gauche est devenue si répandue que 60% des colombiens interrogés dans un sondage de 1999 déclaraient qu'ils n'étaient pas en faveur du démembrement des groupes d'auto-défense. En outre, lors du même sondage, la majorité des personnes interrogées se prononçaient pour une intervention militaire des Etats-Unis, car leur propre gouvernement était incapable de les protéger.[35]
Les FARC ainsi que la plupart des organisations de défense des droits de l'homme en Colombie et à l'extérieur ont dénoncé à maintes reprises des exemples de la collusion entre les groupes d'auto-défense et les forces de sécurité du gouvernement au cours de la dernière décennie. Selon Marulanda des FARC: "les groupes paramilitaires sont une expression officielle de la stratégie de l'état." [36] Lorsque les paramilitaires arrivent dans une zone, il est fréquent que les unités de l'armée présentes ferment les yeux sur leurs activités. En de multiples occasions, on rapporte que l'armée a fourni communications et support logistique aux opérations paramilitaires. Vers la mi-1999, lorsque les rebelles des FARC ont attaqué et encerclé le quartier général du leader des AUC, Carlos Castaño, des unités de l'armée se sont précipitées à son secours. Pour réfuter les dénégations du haut commandement de l'armée sur les liens entre les "paras" et l'armée, les FARC ont distribué en 1999 des listes des emplacements des bases paramilitaires, les fréquences de la radio utilisées pour communiquer avec les unités de l'armée et les noms des officiers de l'armée qui agissaient comme intermédiaires.[37]
De tels liens entre militaires et paramilitaires constituent incontestablement des obstacles majeurs pour le succès futur des négociations de paix entre Bogotá et les FARC. Conscient de ce problème, en 1999, le président Pastrana a retiré quatre généraux du service actif et mis l'un d'eux en jugement pour leurs liens avec les paramilitaires. Il a aussi démantelé la tristement célèbre Brigada XX (Brigade de renseignement), qui pendant des années avait été liée aux groupes paramilitaires de droite, et entamé la réorganisation des unités de renseignement militaire et leur modernisation avec l'aide des Etats-Unis. Néanmoins les liens persistent, et les confrontations entre armée et paramilitaires sont restées extrêmement rares.[38]
Reconnaissant la participation croissante des paramilitaires dans le commerce de la drogue et leur responsabilité dans les pires atteintes aux droits de l'homme en Colombie, les fonctionnaires du gouvernement américain ont fait appel en janvier 2000 à l'administration Pastrana pour qu'elle prenne des mesures plus énergiques en vue d'éliminer les activités paramilitaires dans tout le pays. Selon les déclarations publiques de Washington, l'élimination de ces groupes d'auto-défense reste une étape essentielle du chemin vers la paix et vers le rétablissement de la loi et de l'ordre dans le pays.[39] Pour sa part, Castaño soutient que le gouvernement colombien devra au bout du compte accorder l'amnistie à ses hommes et inclure l'AUC dans les négociations de paix, faute de quoi le processus de la paix échouera. La quête dans laquelle s'est lancée l'administration Pastrana en vue d'un règlement négocié de la paix a été compliquée par la présence de trois autres mouvements insurgés de gauche: l'Armée de libération nationale (Ejercito de Liberación Nacional --ELN), l'Armée de libération populaire (Ejercito Popular de Liberación --EPL) et l'Armée révolutionnaire du peuple (Ejercito Revolucionario del Pueblo --ERP). Avec quelques 5.000 combattants, l'ELN castriste est le second plus grand groupe rebelle de gauche dans le pays. Comme les FARC, il opère sur l'ensemble du territoire national. A la différence des FARC, cependant, l'ELN ne semble pas s'être engagé systématiquement dans des activités liées au trafic de drogue pendant les années 90.[41] Il a financé ses opérations principalement en extorquant de l'argent aux compagnies multinationales qui exploitent les gisements pétroliers en Colombie, et en faisant exploser (50 à 100 fois par an) l'oléoduc de 900 kilomètres qui transporte le brut depuis les gisements situés le long de la bordure vénézuélienne jusque vers les ports de la côte nord du pays. Il s'est aussi beaucoup appuyé sur les enlèvements contre rançon.[42]
Depuis le début des négociations de Pastrana avec les FARC, l'ELN a cherché à participer au processus de paix sur un pied d'égalité. Cependant, au lieu d'inclure l'ELN dans le dialogue entre le gouvernement et les FARC, le président Pastrana --à la demande des FARC-- a choisi de traiter avec l'ELN dans un processus parallèle mais séparé de discussions de paix. Ces négociations ont bien eu lieu par à-coups pendant les 18 premiers mois du gouvernement Pastrana, mais sans progrès notable. En outre, Pastrana a régulièrement refusé de céder à la demande de l'ELN de créer dans le nord de la Colombie (dans le département du Bolívar) une zona de despeje semblable, quoique plus petite, à celle accordée aux FARC dans le sud du pays.[43]
Vers la mi-janvier 2000, l'ELN a lancé une offensive d'une semaine qui s'est soldée par la destruction de 28 pylônes électriques dans les départements d'Antioquia et du Chocó, au nord-ouest du pays, et a laissé le réseau électrique du pays au bord de l'effondrement. Lors d'un entretien radiophonique, le 19 janvier 2000, Nicolas Rodriguez --le chef de file de l'ELN-- a déclaré que son groupe avait "perdu patience" vis-à-vis de la stratégie de paix du gouvernement et promis que ses forces continueraient, en guise de protestation, à occuper le devant de la scène avec des enlèvements et des opérations de sabotage: "La classe dirigeante n'écoute que la voix de la dynamite et des fusils."[44] Les porte-paroles militaires colombiens ont admis en toute franchise qu'il serait pratiquement impossible pour les forces armées de protéger les 15.000 pylônes électriques du pays. Lors de la seule année 1999, les rebelles avaient dynamité 169 pylônes, infligeant à l'économie nationale des dégâts évalués à 13,2 millions de dollars.[45]
A la suite des ces attentats à la bombe, le gouvernement Pastrana reprit les négociations avec l'ELN et accepta le principe de la création, dans le sud Bolívar, d'une zona de despeje où l'ELN pourrait tenir sa convention nationale et commencer les pourparlers de paix avec le gouvernement. Mais les paramilitaires de l'AUC, résolument hostiles à cette concession à l'ELN, et déterminés à conserver le contrôle de la production de coca et des mines d'or de la zone, conduisirent en février 2000 une série de massacres brutaux parmi les communautés paysannes liées à l'ELN, afin d'empêcher la consolidation d'une zona de despeje dans la région. L'intensité et la cruauté extrême de cette campagne militaire récente de l'AUC reflètent à la fois une profondeur et amère rivalité avec l'ELN, et l'importance des intérêts économiques qui sous-tendent la lutte entre guérilla et paramilitaires dans la région. Dans le court terme, au moins, il semble peu vraisemblable que la situation complexe sur le terrain permette à l'administration Pastrana d'avancer rapidement dans ses projets de créer une nouvelle zona dans le sud Bolívar. En dépit du carnage, cependant, les pourparlers entre le gouvernement et l'ELN ont continué au Venezuela et la plupart des observateurs pensaient qu'une zone démilitarisée serait concédée à l'ELN en fin de compte.[46]
L'EPL, avec moins de 500 combattants, était beaucoup petit que les FARC ou l'ELN à la fin des années 90. Ses bases principales d'opération sont situées dans les départements du Cesar, Santander et Norte de Santander au nord-est du pays, près de la frontière du Venezuela. Comme l'ELN, l'EPL semble être resté en dehors du commerce de la drogue et s'est plutôt dédié à l'extorsion, l'enlèvement et l'assassinat pour se financer. Au cours des années 80, l'EPL a progressivement abandonné son idéologie maoïste radicale et, au début des années 90, a négocié un règlement de paix avec Bogotá qui a conduit la majeure partie de ses membres (presque 3000) à déposer leurs armes pour réintégrer la société civile. Les fragments restants de l'EPL, sous la direction de Hugo Carvajal (surnommé "El Nene"), ont refusé catégoriquement de s'engager dans des négociations de paix avec le gouvernement Pastrana. Après la mort de Carvajal le 12 janvier 2000, suite aux blessures reçues dans une fusillade face à l'armée colombienne le 31 décembre 1999, le rôle que pourrait jouer l'EPL dans le processus de paix actuel reste peu clair.[47]
Avec seulement 150 combattants, l'ERP était le plus petit et le moins connu des quatre groupes de guérilla actifs en Colombie début 2000. Ce groupe est issu d'une scission de l'ELN en août 1996, pendant le troisième congrès idéologique du mouvement. Sa base principale d'opérations était située dans le nord de la Colombie, aux limites des départements d'Antioquia, Sucre et Bolívar. Constamment assiégés par Carlos Castaño et ses troupes paramilitaires de l'AUC, particulièrement dans le sud du Bolívar, les guérilleros de l'ERP, appuyés par le front 37 des FARC, ont trouvé refuge dans la région reculée des Montes de Maria, au coeur du Bolívar, le long de la bordure avec le Sucre. Etant donné sa petite taille et son incapacité à contrôler son territoire face à la pression de l'AUC, l'ERP n'a pas eu d'influence significative dans la culture ou le trafic de drogue.[48]
Après une absence prolongée, l'ERP est revenue au premier plan vers la fin 1999-- profitant de la trêve de Noël entre le gouvernement Pastrana et les FARC-- en lançant une série de "pescas milagrosas" (enlèvements au hasard) le long de la limite Bolivar-Sucre. En février 2000, l'AUC a renouvelé ses attaques contre l'ERP dans plusieurs petites communautés rurales (corregimientos) près d'Ovejas, dans le Sucre, qui se sont soldées par la mort de quelque soixante-dix personnes. Fin février de la même année, on rapportait d'intenses combats entre l'AUC et l'ERP dans la région de Montes de Maria, signe d'une intensification de l'offensive de l'AUC. Comme l'EPL, l'ERP n'a pas participé aux négociations de paix avec le gouvernement pendant les dix-huit premiers mois de l'administration Pastrana, mais ses récents revers dans les combats contre l'AUC pourraient bien le forcer à considérer dans un futur proche l'entrée dans le processus de paix, pour échapper à un anéantissement complet.[49]
Les enlèvements contre rançon sont incontestablement devenus l'une des source principales de financement pour les quatre groupes de guérilla au cours des années 90. Début 2000, les FARC détenaient 850 victimes d'enlèvement, l'ELN 702, l'EPL 200 et l'ERP quelques douzaines. Au cours de 1999, les groupes paramilitaires de l'AUC ont kidnappé 120 personnes, soit six fois plus que l'année précédente. En 1999, on a rapporté 2945 enlèvements en Colombie, contre 2216 l'année précédente (soit une augmentation de 33%): la Colombie battait là son propre record du monde.[50]
Cette vague ascendante d'enlèvements a non seulement compliqué les efforts de paix de Pastrana, mais également contribué à un exode croissant des professionnels colombiens de classe moyenne et supérieure, qui ont quitté leur pays agité pour fuir vers les Etats-Unis. Selon les estimations du gouvernement colombien, 800.000 personnes --2% de la population colombienne, qui s'élève à 40 millions-- ont quitté la Colombie au cours des quatre dernières années. Dans la seule année 1999, 366.423 Colombiens se sont inscrits pour obtenir des visas de non-immigrant aux Etats-Unis, alors qu'ils n'étaient que 150.514 en 1997. Environ trois-quarts des visas de non-immigrant, et un peu plus de la moitié des 11.345 demandes de visa d'immigrants ont été accordés en 1999. De plus, quoiqu'elles restent en nombre relativement restreint (seulement 334 sur une période de 12 mois à partir de fin 1998), les demandes d'asile politique faites par des colombiens ont également augmenté de façon substantielle (396 dans le dernier trimestre de 1999). Le taux d'approbation de ces demandes d'asile par les Etats-Unis a lui aussi progressé, passant de 19% en 1998 à 46% à fin 1999. [51]
Actuellement, il y a au moins 60 à 80.000 colombiens vivant et travaillant illégalement aux Etats-Unis, qui ont demandé à l'administration Clinton de leur accorder un statut de protection intérimaire pour demeurer légalement jusqu'à 18 mois dans le pays.[52] Clinton et Pastrana se sont tous deux opposés publiquement à une telle modification des lois sur l'immigration aux Etats-Unis, arguant qu'une telle mesure provoquerait un exode encore plus massif hors de Colombie, et exacerberait les problèmes déjà sérieux de fuite du capital intellectuel de la nation. Pastrana a exhorté ses concitoyens à rester en Colombie et à supporter son initiative de paix plutôt que de partir. Il a besoin qu'ils travaillent, investissent et payent des impôts en Colombie, afin que son gouvernement ait une chance de réactiver l'économie en récession et de rétablir la stabilité politique de la nation. L'augmentation de la violence et de l'insécurité dans les zones rurales et urbaines conduisent un nombre croissant de personnes à opter pour l'émigration. Le "mouvement de paix" naissant dans le pays, qui à plusieurs reprises, ces dernières années, avait mobilisé des millions de colombiens dans des manifestations en faveur de la paix, a eu à ce jour très peu d'impact pratique sur les progrès des négociations de paix ou sur la recrudescence de la violence armée et des enlèvements qui accablent le pays. Dans les 15 années qui se sont écoulées entre 1985 et 2000, les guerres internes à la Colombie ont provoqué le déplacement de 1,7 millions de personnes depuis leur lieu d'origine. Dans la seule année 1999, au moins 225.000 personnes ont été éloignées de leurs maisons, de leurs communautés et de leurs moyens de subsistance par la violence politique ou liée à la drogue. Environ 53% étaient des femmes et des enfants. En contraste flagrant avec les quelques privilégiés des strates riches de la société colombienne qui ont réussi à émigrer aux Etats-Unis, la vaste majorité des colombiens appauvris se sont vus condamnés à parcourir le pays, comme des travailleurs immigrés internes, à la recherche de travail, de nourriture, d'un toit et de sécurité. A la mi-1999, les Nations Unies indiquaient que l'aide en cours et les autres efforts du gouvernement colombien pour aider les déplacés "se révélaient absolument insuffisants, provoquant une situation de souffrance humaine insupportable".[54]
Une étude de 1999 sur les populations déplacées en Colombie estimait que les groupes paramilitaires étaient responsables de 47% de tous les déplacements forcés dans les années récentes. Les guérillas --particulièrement les FARC et l'ELN-- étaient considérés comme responsables de 35% de ces cas, les forces de sécurité de l'Etat de 8%, des groupes criminels inconnus de 7% et les trafiquants de drogue de 1%.[55]
La plupart des déplacés ont été forcés de fuir leurs villages en raison des incursions, massacres, menaces de mort ou confiscation des terres perpétrés par les milices de droite ou les guérillas de gauche. En effet, beaucoup d'observateurs prétendent que les groupes de droite et les insurgés marxistes emploient des stratégies identiques de "nettoyage" régional systématique pour débarrasser des régions des personnes qui leur sont défavorables, et confier les terres abandonnées à leurs partisans ou à leurs parents proches. Les bombardements et les raids de l'armée colombienne contre la guérilla ont néanmoins été des facteurs importants qui ont compliqué les choses dans beaucoup de zones rurales, tout comme les campagnes anti-drogue --en particulier la fumigation aérienne des récoltes de coca et de pavot-- menées par le gouvernement colombien avec le soutien des Etats-Unis.[56]
Une partie des déplacés trouvent refuge chez des parents dans les communautés proches, mais du fait de l'escalade constante de la violence, cette "solution" les a souvent exposés à être déracinés une seconde ou même une troisième fois. Les quelques camps établis par le gouvernement sont typiquement surpeuplés et fréquemment vulnérables à des représailles violentes de la part d'un camp ou de l'autre dans les conflits qui ravagent les zones rurales du pays. Des dizaines des milliers de personnes n'ont eu d'autre alternative que d'aller gonfler les rangs des travailleurs ruraux émigrés travaillant dans les champs illicites de coca ou d'opium comme "raspachines" (racleurs), moissonnant des feuilles de la coca ou recueillant la gomme d'opium sur les fleurs de pavot --le seul emploi rémunérateur subsistant dans beaucoup de zones rurales déchirées par la violence.[57]
Des centaines des milliers d'autres ont émigré de la campagne colombienne vers les zones urbaines où logement, éducation, santé et emploi sont rares, en raison notamment de la profonde récession où sombre le pays vers la fin des années 90.[58] En conséquence, la mendicité, la prostitution et la criminalité violente sont montées en flèche dans les centres urbains colombiens au cours des années 90. Medellín, par exemple, à la suite de la disparition du cartel de la drogue au début de années 90, a vu proliférer les gangs de jeunes criminels --quelque 138 selon des rapports récents-- souvent affiliés aux principales organisations criminelles.[59] Bogotá, Cali et d'autres villes importantes ont toutes souffert des augmentations similaires de la migration, de la délinquance et de la criminalité de droit commun au cours de la dernière décennie.[60]
La montée en flèche de la violence et les déplacements massifs de population dans les campagnes ont également poussé des milliers de paysans démunis vers les rangs de la guérilla ou des paramilitaires. Bien que les deux camps nient payer leurs troupes, ils admettent payer de temps à autre les jeunes des zones rurales appauvries (ou leurs familles), dans le cadre de leurs efforts pour recruter de nouveaux combattants dans leurs organisations. Des enfants d'à peine 8 à 10 ans sont souvent utilisés comme espions ou comme éclaireurs, et des adolescents (garçons ou filles) sont entraînés et envoyés au combat. Certains sont purement et simplement kidnappés, les autres sont pris, souvent contre leur volonté, en guise de paiement des "impôts" ou des dettes de leur famille. Mais pour beaucoup des jeunes déplacés en Colombie, rejoindre la guérilla ou les paramilitaires est souvent une simple question de survie.[61]
Les guérillas marxistes organisent souvent des sessions politiques de "prise de conscience" dans les communautés paysannes où elles ont de l'influence pour attirer de nouveaux adeptes, et elles fournissent systématiquement nourriture, logement, uniformes, armes et même éducation de base aux jeunes qui s'enrôlent. L'endoctrinement idéologique marxiste fait partie intégrale de l'entraînement des nouveaux arrivants. Les paramilitaires, s'ils adhèrent aux doctrines anticommunistes, sont en général moins marqués idéologiquement que les guérillas, et comptent principalement sur la motivation matérielle et le désir de vengeance contre la guérilla pour attirer des recrues. Les entretiens avec d'anciens rebelles capturés par l'armée ou qui ont déserté révèlent que peu d'adolescents expriment des convictions marxistes fermes, et que beaucoup parlent de changer de camp --en s'enrôlant dans les rangs des paramilitaires ou avec un gang criminel-- une fois qu'ils sont libérés. En résumé, pour beaucoup de jeunes déplacés, la décision de rejoindre la guérilla ou les milices est un "choix économique rationnel" dicté par la dominance de tel ou tel groupe dans la région, plutôt qu'un engagement idéologique. Face au manque de programmes et de ressources gouvernementaux adaptés aux problèmes des populations déplacées, ces jeunes se retrouvent littéralement sans alternative économique réaliste. Si un jour les conflits internes à la Colombie laissent enfin la place à une paix formelle, les taux de criminalité continueront presque certainement à monter en flèche parmi les jeunes et les jeunes adultes sans éducation, sans emploi et mal adaptés qui ont été arrachés par la force à leurs maisons et leurs familles, et qui sont traumatisés de façon irréparable par la violence qu'ils ont endurée. L'initiative de paix du président Pastrana a également été entravée par les retombées des conflits internes colombiens dans les pays alentour. Les guérillas, les paramilitaires et les trafiquants de la drogue colombiens transitaient désormais régulièrement par les territoires des pays voisins --Panama, Venezuela, Brésil, Pérou et Equateur-- à la recherche d'un refuge sûr, pour s'y approvisionner, ou dans le cadre du trafic d'armes ou de drogue. Les enlèvements et assassinats au-delà des frontières ont également augmenté de façon spectaculaire dans les années récentes. Et des milliers de paysans déplacés en Colombie ont cherché refuge au Venezuela et au Panama.
Après l'investiture du président Hugo Chavez au Venezuela en février 1999, les relations colombo-vénézuéliennes se sont rapidement détériorées. Chavez a immédiatement accusé la Colombie d'avoir perdu le contrôle de ses frontières, puis annoncé qu'il pourrait entamer des négociations directes avec les FARC au lieu d'attendre les résultats du processus de paix chancelant mené par Pastrana. Etant donné sa rhétorique populiste, anticonformiste et vaguement "révolutionnaire", certains observateurs en Colombie craignaient qu'il n'en arrive à fournir aux FARC un support clandestin, voire à leur accorder le "statut de belligérant". Dans la pratique, Chavez n'en a rien fait en 1999, mais les relations bilatérales entre les deux voisins restaient tendues et précaires début 2000.[63]
Bien que moins connues du public, des tensions semblables ont également refroidi les relations bilatérales entre la Colombie et le Brésil, le Pérou et l'Equateur pendant les 18 derniers mois. En 1999, les trois pays ont envoyé des renforts militaires substantiels vers leurs frontières avec la Colombie pour consolider leur défense contre les incursions transfrontalières. La frontière avec le Panama, principale voie de trafic d'armes et de drogue, et zone-clé dans le conflit entre les FARC et les paramilitaires de l'AUC, était cependant de loin la plus litigieuse dans les rapports bilatéraux de la Colombie en 1999. Le départ des troupes U.S. de la zone du canal en fin d'année et la capacité militaire limitée de la police nationale panaméenne a fait planer des doutes sérieux sur la sécurité future du canal lui-même.[64]
Du point de vue des Etats-Unis, l'incapacité à la Colombie à sécuriser ses propres frontières et à freiner le trafic de drogue et les incursions transfrontalières de la guérilla a converti le pays en une menace sérieuse pour la sécurité régionale dans le nord de l'Amérique du Sud. Au cours de l'année 1999, l'administration Clinton a travaillé à "contenir la menace" colombienne en poussant les voisins de la Colombie à former un "groupe d'amis" pour intervenir diplomatiquement (voire militairement) dans la crise colombienne. La réticence des gouvernements des pays voisins à valider à cette initiative américaine était claire dès le départ, et les efforts diplomatiques de Washington n'ont produit aucune réponse collective significative. Cet échec, tout comme les préoccupations grandissantes des Etats-Unis au sujet de la stabilité interne de la Colombie, a fini par inciter Washington, fin 1999, à proposer unilatéralement une augmentation importante de l'aide américaine à la Colombie, afin de renforcer la capacité de l'administration Pastrana à traiter les problèmes grandissants du pays. Déjà profondément inquiets de l'explosion de la production et du trafic de drogue, et de l'escalade dans la violence du conflit avec la guérilla et les paramilitaires, ainsi que de la détérioration des conditions politiques et économiques en Colombie, Washington décida une fois encore, dès le 1er mars 1998, de "certifier" la Colombie comme partenaire "totalement coopératif" dans la guerre anti-drogue menée par les Etats-Unis. Cela n'était pas arrivé depuis 1994. En 1995, l'administration Samper avait été "décertifiée", mais avec une "dérogation pour raison de sécurité nationale" par l'administration Clinton, ce qui a permis la poursuite de l'aide américaine en Colombie. En 1996 et 1997, le gouvernement Samper fut complètement décertifié, et le flux de l'aide américaine sévèrement réduit (sauf celle destinée à la police nationale). Bien que Clinton n'ait finalement pas infligé de sanctions commerciales à la Colombie, comme la loi américaine l'y autorise dans les cas de décertification, l'utilisation par Washington de diplomatie "coercitive" ou de "chantage" diplomatique pendant cette période a eu pour effet de ralentir considérablement les affaires et l'influx d'investissements étrangers à partir de 1996.[66]
Combinée au ralentissement économique global, la récession grandissante chez les voisins --Brésil, Venezuela et Equateur--, et la gestion économique désastreuse, populiste et clientéliste, menée par Samper durant son mandat, la décertification américaine a contribué à plonger l'économie colombienne, en 1997-98, dans une spirale descendante de laquelle elle n'est pas encore sortie. En effet, en 1999 la Colombie a subi son pire recul économique en 70 ans, l'économie se contractant de presque 6% tandis que les niveaux de chômage atteignaient 18%.[67] La gravité de la crise économique et le large mécontentement populaire résultant ont grandement aggravé les problèmes de criminalité de droit commun et de gouvernabilité auxquels a dû faire face le président Pastrana pendant les 18 premiers mois de son mandat, sans compter qu'ils ont également contribué à alimenter la cause des guérillas. Les actions des guérillas --enlèvements, sabotage des infrastructures, escalade du conflit armé-- ne font qu'exacerber et prolonger, à leur tour, la crise économique.[68]
Début 1998, la détérioration de la situation en Colombie était devenue si inquiétante pour les autorités américaines que Washington décida de recertifier la Colombie le 1er mars, malgré le fait que le mandat de 4 ans du président Samper ne s'achevait en principe qu'en août. Cette décision a déblayé le chemin pour l'administration Clinton et lui a permis de fournir 289 millions de dollars au titre de l'aide anti-drogue pour l'année fiscale 1999, somme qui catapultait la Colombie au 3ème rang des destinataires d'aide américaine, derrière l'Israël et l'Egypte. Comme l'année fiscale américaine ne commence qu'au 1er octobre de chaque année calendaire, ces nouveaux fonds d'aide U.S. n'ont commencé à arriver en Colombie que vers la fin 1998, bien après l'investiture du président Pastrana le 7 août. Ce calendrier garantissait que le très suspect gouvernement Samper ne bénéficierait pas directement de l'augmentation de l'aide américaine.[69]
Une fois Pastrana en fonction, les relations bilatérales américano-colombiennes se sont rapidement réchauffées. En octobre 1998 le président Clinton reçut le président Pastrana en visite d'état à Washington, en contraste très clair avec l'attitude vis-à-vis du président Samper, à qui on avait officiellement refusé un visa pour se rendre aux Etats-Unis en 1996. Bien que sceptique, l'administration Clinton a publiquement approuvé les ouvertures de paix du président Pastrana vers les guérillas des FARC fin 1998. En fait, à la demande du président Pastrana, Washington a même consenti à envoyer des émissaires pour des rencontres secrètes avec des représentants des FARC au Costa Rica en décembre 1998, afin de discuter des dispositions des FARC à entreprendre les programmes d'éradication des cultures de drogue dans le cadre du processus de paix. Cependant, une fois ces discussions secrètes révélées publiquement à la majorité républicaine du congrès américain, il s'ensuivit une telle controverse à Washington que l'administration Clinton fut forcée de les désavouer et de s'engager à ne plus avoir de discussions avec les "terroristes" des FARC. [70]
L'administration Clinton a continué à soutenir l'initiative de paix de Pastrana tout au long de 1999 dans sa diplomatie publique. Cependant, avec l'embourbement du processus de négociation mois après mois, certains responsables politiques clés étaient clairement parvenus à la conclusion que les FARC ne négocieraient jamais sérieusement à moins qu'elles n'y soient contraintes par une défaite militaire. En mars 1999, signe d'un changement majeur, Washington consentit à commencer à partager avec le gouvernement Pastrana et les militaires colombiens des informations provenant de ses services de renseignement et concernant le trafic de la drogue et les activités de la guérilla, y compris des données d'observation par satellite de la zona de despeje. [71]
Mi-1999, 200 conseillers militaires et plus de 100 agents anti-drogue de la DEA (Drug Enforcement Administration) et de la CIA étaient basés en Colombie. Le contrôle des drogues restait la priorité déclarée de la stratégie américaine en Colombie, et la mission principale était d'entraîner et d'équiper un nouveau bataillon mobile anti-stupéfiants de 950 hommes dans l'armée colombienne.[72]
Mais l'impasse dans laquelle se trouvait le processus de paix et les revers subis par les militaires dans le combats contre les FARC en 1998-99, en plus des indices de plus en plus nombreux de l'implication grandissante des FARC dans le commerce de la drogue, forcèrent Washington à admettre qu'il n'y avait plus de limite claire entre la guerre contre les drogues et la guerre de guérillas. Sur l'insistance de Washington, en septembre 1999, le gouvernement Pastrana publia un document intitulé "Plan Colombia" dans lequel il exposait sa stratégie générale pour la résolution des multiples maux dont souffrait le pays, depuis le trafic de drogue et la violence politique à la corruption des institutions, en passant par la crise humanitaire et la stagnation économique. La facture jointe au plan était de 7,5 milliards de dollars sur une période de trois ans, dont la Colombie promettait de couvrir 4 milliards. On espérait de Washington 1,5 à 2 milliards de dollars, et le reste devait provenir d'institutions financières multilatérales (comme par exemple le FMI, la banque mondiale et la banque interaméricaine de développement), et de l'union européenne.[73]
Ayant échoué avec une première demande au Congrès américain fin 1999, l'administration Clinton soumit le 11 janvier 2000 une nouvelle proposition pour un programme d'aide d'urgence de 1,28 milliards de dollars à destination de la Colombie, pour aider Bogotá à combattre le commerce foisonnant des stupéfiants et à étayer sa démocratie au cours des deux années suivantes. Environ la moitié de ce montant était couverte par une demande supplémentaire de budget pour l'année fiscale 2000, l'autre moitié étant incorporée à la proposition de budget de Clinton pour l'année fiscale 2001, présentée au Congrès le 7 février 2000. Si l'on y ajoute les 300 millions de dollars destinés à la Colombie dans le budget pour l'année fiscale 2000, l'aide américaine en Colombie pour les deux prochaines années, si elle est approuvée par le congrès, atteindrait 1,58 milliard de dollars, soit presque le double de la quantité fournie au cours de la décennie 1990.[74]
En fait, avec cette nouvelle proposition d'aide, l'administration Clinton révélait un changement radical dans la stratégie américaine vis-à-vis de la Colombie. En 1999, comme pour les années précédentes, pratiquement toute l'aide anti-narcotiques de Washington avait été canalisée à travers la police nationale plutôt que l'armée. Le nouveau paquet d'aide, en revanche, destinait la majeure partie de l'aide américaine future aux forces armées colombiennes (armée de terre, armée de l'air et marine) en réduisant de façon substantielle les flux d'aide à la police. Dans le montant total de 1,573 milliard de dollars qui doit être fourni au cours des deux prochaines années, presque deux tiers -940 millions- ira aux militaires, contre 96 millions pour la police. Pour assurer la formation, le matériel et l'acquisition de 30 hélicoptères Black Hawk et 33 hélicoptères Huey pour deux nouveaux bataillons anti-narcotiques, l'armée devrait recevoir 600 millions de dollars (512 millions pour l'année fiscale 2000 et 88 millions pour 2001). Pour les activités de contrôle du transport, l'aviation et la marine toucheront 341 millions de dollars (238 millions pour l'année fiscale 2000 et 103 millions pour 2001).[75]
Alors que le conseiller national de sécurité de la Maison Blanche pour l'Amérique latine, Arturo Valenzuela, prétendait que la nouvelle aide américaine n'avait "rien à voir" avec la lutte anti-guérilla, le "tsar" anti-drogue Barry McCaffrey admettait plus ouvertement que cet argent apporterait une contribution "importante" à la guerre livrée par l'armée colombienne contre les guérillas. Dans la pratique, les efforts de rhétorique entêtés de Washington pour maintenir une division stricte entre l'aide américaine pour les activités anti-narcotiques et les opérations anti-guérilla des militaires colombiens sont à la fois peu sincères et vains. La réalité colombienne actuelle ne se prête pas à des distinctions aussi faciles. Et de fait, pendant son voyage fin janvier 2000 à Washington pour s'assurer le support du Congrès américain en faveur du paquet d'aide à la Colombie proposé par le président Clinton, le président Pastrana a reconnu ouvertement que dans la mesure où les FARC étaient "dans les affaires", les fonds et le matériel antinarcotiques américains seraient utilisés contre les guérillas. Au fond, l'administration Clinton est peu à peu devenue plus soucieuse de la stabilité de la démocratie colombienne, et des implications pour la sécurité régionale d'un effondrement potentiel de l'état en Colombie, que du contrôle du trafic de drogue proprement dit, bien que les deux sujets restent évidemment très imbriqués. De fait, mi-janvier 2000 la "Secretary of State" (ministre des affaires étrangères), Madeleine Albright, a explicitement choisi la Colombie avec trois autres pays (le Nigeria, l'Indonésie et l'Ukraine) qui devaient faire l'objet d'une attention spécifique, "parce que chacun de ces pays peut représenter une force importante pour la stabilité et le progrès dans la région, et que chacun est à un point critique le long du chemin vers la démocratie".[77]
De facto, la Colombie est maintenant considérée à Washington comme le pays "posant problème" dans l'hémisphère occidental et apparaît donc comme l'un des points focaux de la stratégie américaine en Amérique latine en 2000.
Alors que l'attention accrue de la part de Washington signifie souvent l'attribution de ressources qui font cruellement défaut, l'expérience passée indique que cela implique également une plus grande "conditionnalité" américaine, et une plus grande implication dans les affaires domestiques du pays en question. Le cas colombien ne fait pas exception. En premier lieu, Washington a stipulé que la plus grande partie de l'aide américaine devait être utilisée pour les opérations de contrôle des drogues dans le sud du pays, où sont cultivés les deux tiers de la récolte totale de coca, et où les FARC sont le plus actives dans la protection des champs, des laboratoires de traitement et des terrains d'atterrissage. L'intensification du conflit entre le gouvernement et les FARC semblerait être un aboutissement inévitable du mandat donné par les Etats-Unis à Bogotá.
Deuxièmement, l'administration Clinton a pleinement conscience de l'implication des militaires colombiens dans des atteintes au droit humanitaire par le passé, et conditionne l'accroissement de l'aide américaine à un suivi permanent des activités des nouveaux bataillons antinarcotiques, et à la certification par les Etats-Unis de l'absence de liens entre l'armée ou la police avec les groupes paramilitaires. En fait, 93 millions de dollars sont explicitement destinés dans la nouvelle proposition de budget, pour l'amélioration du droit humanitaire, l'administration de la justice et la démocratie en Colombie (45 millions de dollars pour l'année fiscale 2000 et 48 millions pour 2001). Conscient de la probabilité d'une surveillance accrue du comportement de ses forces armées en matière de droit humanitaire, Pastrana, lors de son voyage à Washington fin janvier 2000 (son quatrième dans les 18 premiers mois de sa présidence), a explicitement demandé que l'aide américaine soit dissociée du droit humanitaire. "Nous savons que nous avons encore beaucoup de problèmes-- [mais] je ne crois pas qu'il soit bon pour le programme d'aide qu'on essaye d'y associer toutes sortes de conditions."[78] En dépit des préférences de Pastrana, cependant, des démocrates du Congrès, comme le Sénateur Patrick J. Leahy (représentant du Vermont) ont semblé résolus à imposer de telles conditions. "Je ne veux pas que nous commettions dans la guerre contre la drogue les mêmes erreurs que pendant la guerre froide, où nous donnions de l'argent... indépendamment de leur historique en matière de respect des droits de l'homme, pourvu qu'ils soient anticommunistes." [79]
Troisièmement, Washington a stipulé, de façon quelque peu contradictoire, que toutes les opérations des nouvelles unités antinarcotiques financées par les Etats-Unis doivent se rapporter directement à des missions de contrôle du trafic de drogue, et non à des actions anti-guérilla générales. Cette distinction sera incontestablement difficile à faire sur le terrain, mais tout manquement provoquera presque certainement un débat politique intense au Congrès américain et pourrait potentiellement mener à un refus d'aide future de la part des Etats-Unis. L'augmentation considérable de l'aide américaine en 2000 et les conditions afférentes font de la performance militaire colombienne, beaucoup plus que par le passé, un problème à la fois international et domestique.[80]
Finalement, les fonctionnaires américains recommandent vivement que la Colombie accélère ses efforts de suppression des cultures de coca et de pavot. Pour s'y conformer, le 21 janvier 2000, la police nationale colombienne s'est engagée à étendre sa campagne de fumigation (aspersion aérienne par herbicide) des 40.000 hectares initialement prévues en 1999 à 80.000 en 2000. Un total de 145 millions de dollars est destiné, dans le nouveau paquet d'aide, aux projets de développement alternatif (dont 53 millions pour l'année fiscale 2000 et 53 millions pour 2001). Cependant, si ces objectifs sont effectivement accomplis, il est probable que les opérations de fumigation vont déplacer des dizaines des milliers de paysans cultivateurs de coca dans les régions dominées par les FARC dans le sud du pays, provoquant des souffrances considérables, et alimentant des protestations civiques massives contre le gouvernement Pastrana. Bien que l'intention de cette stratégie soit clairement d'affaiblir les FARC en réduisant leur revenu provenant des cultures de coca, le résultat involontaire pourrait bien être un renforcement du mouvement de guérilla, en poussant vers ses rangs des milliers de paysans amers et appauvris.[81]
Il se peut également que le nombre de formateurs et de conseillers militaires américains, d'agents de la DEA, de la CIA et de personnel de l'agence pour le développement international (AID) présents en Colombie augmente également de façon substantielle avec l'augmentation des flux d'aide des Etats-Unis dans les toutes prochaines années. Au vu des expériences amères vécues au Viêt-nam par le passé, il est hautement improbable que Washington envoie des troupes du combat américaines se battre en Colombie dans un avenir prévisible. Néanmoins, le changement dans la stratégie actuelle des Etats-Unis indique indubitablement que Washington ne vise plus tant les cartels colombiens de la drogue que la "narco-guérilla" montante. La possibilité que des personnels militaires ou civils américains soient tués suite à un renforcement de ce conflit n'est pas à exclure, ce qui entraînerait immanquablement la Colombie au coeur des débats de politique interne aux Etats-Unis. [82]
En soulignant cette possibilité, fin février 2000, un chef historique des FARC, Raul Reyes, a déclaré que son organisation ne voyait dans le paquet d'aide américaine, sous un léger déguisement, rien de plus qu'une déclaration de guerre de Washington contre les FARC. A son tour, il a déclaré la "guerre" aux Etats-Unis et a juré que les FARC se battraient contre l'intervention étrangère en Colombie.[83] Pour ne pas exposer le personnel militaire américain et pour éviter le tollé général qui s'ensuivrait inévitablement, Washington pourrait opter plutôt pour la pratique, bien connue dans le monde des affaires, de sous-traitance. Cette stratégie impliquerait de louer les services de civils (dont beaucoup sont des ex-militaires hautement qualifiés) pour supporter son programme d'aide, au lieu d'augmenter brusquement les effectifs de personnel militaire américain. Même si, du point de vue de Washington, une telle stratégie peut paraître indiquée, les organisations de défense des droits de l'homme comme Amnesty International soulèvent les sérieux problèmes de responsabilité qu'elle peut poser: "Le Département de la Défense lui-même, de par sa formation, doit se soumettre à certains critères de droit humanitaire car la loi lui en donne mandat. Mais il est difficile de préciser jusqu'où va ce mandat évolue quand on parle d'acteurs essentiellement privés."[84]
Tant Bogotá que Washington préféreraient certainement que les FARC réagissent en forçant l'allure des négociations de paix et en rompant tout lien avec le commerce de la drogue. Selon un sondage récent commandé par l'agence de presse El Tiempo à Bogotá, 70% des Colombiens seraient favorables à une augmentation de l'aide américaine à leur pays. Mais moins de la moitié d'entre eux croyait que cette aide permettrait de réduire l'intensité du conflit armé. Le scénario plus probable, selon la plupart des personnes interrogées, est une intensification du conflit entre les FARC et les militaires colombiens, au moins dans un avenir prévisible. De fait, la plupart des analystes croient probable que les FARC répondront par une nouvelle offensive d'envergure, incluant une recrudescence des sabotages d'infrastructure, des enlèvements et des assassinats, et des mobilisations massives de paysans pour protester contre le renforcement des programmes d'éradication de la coca et du pavot. La logique implicite de la nouvelle stratégie américaine devrait forcer les FARC à négocier sérieusement avec le gouvernement Pastrana en leur prouvant sur le champ de bataille qu'ils ont plus à gagner d'un règlement de paix que d'une poursuite de la guerre. Quant à savoir si cette stratégie fonctionnera, on peut en douter. Ce dont on ne devrait pas douter, c'est que le nouveau paquet d'aide des Etats-Unis prépare le terrain pour une nouvelle phase, encore plus violente et sanglante, des conflits internes colombiens au cours des toutes prochaines années. En outre il serait tout à fait illusoire de croire que la proposition actuelle de Clinton, sur deux ans, sera suffisante pour changer le cours des événements. Si la stratégie a une quelconque chance de succès, Washington devra maintenir des niveaux élevés de financement à destination de Bogotá pendant une bonne partie de la prochaine décennie, et il faudra trouver des donateurs supplémentaires (probablement en Europe) afin de compléter les engagements américains.[86]
Même en supposant des flux continus d'aide américaine et européenne, beaucoup de critiques restent sceptiques sur les perspectives d'arrêt de la violence politique et du trafic de drogue en Colombie, étant donnée la stratégie prônée actuellement par Bogotá et Washington. Les critiques se divisent, en gros, en deux camps. D'un côté, les "ligne dure" qui prétendent que les FARC sont maintenant si profondément impliquées dans le commerce de la drogue et d'autres activités illégales (qui leur procurent des revenus confortables) qu'elles n'accepteront jamais un règlement de paix qui les oblige à déposer les armes et à abandonner leurs sources illicites de revenu. Ce qui amène à conclure que les FARC devraient d'abord être vaincues militairement, après une guerre très longue, avant que la paix puisse être rétablie ou les cultures de drogues freinées en Colombie. Washington devrait admettre cette réalité, selon cette ligne dure, "d'abord, en déclarant la primauté absolue de la guerre contre les communistes, plutôt que la guerre contre les drogues".[87]
De ce point de vue, l'insistance de Washington sur la distinction entre opérations anti-drogues et anti-guérilla (et le financement uniquement des premières) est considérée comme artificielle et contraire au but recherché. En outre, le conditionnement de l'aide américaine au respect des droits de l'homme et à la suppression des liens entre police et armée et les paramilitaires ne peut que handicaper les forces de sécurité colombiennes, et laisser toute liberté aux guérillas, qui ne sont pas concernées par ces mesures. Au bout du compte, le scepticisme des tenants de la ligne dure provient de leur conviction que les forces armées colombiennes ne pourront pas vaincre les guérillas, même avec l'aide américaine, tant que Washington insiste sur la micro-gestion de l'effort de guerre.[88]
On trouve au sein même du camp de la ligne dure des différences de vues importantes quant aux priorités. Certains doutent de la volonté de se battre de l'élite colombienne, avec ou sans aide américaine. "Pourquoi devrait-on envoyer un seul dollar américain, sans parler d'un soldat américain, pour étayer une armée dans laquelle aucun Colombien nanti d'un diplôme universitaire ne veut servir?" "Le gouvernement colombien, incapable, corrompu et instable, mérite-t-il notre aide pour survivre?"[89] Le point fondamental de cette ligne de débat est que --comme cela s'est avéré au Viêt-nam-- aucune aide américaine, quel qu'en soit le montant, ne peut sauver un régime incapable de se sauver lui-même, et ne servirait qu'à prolonger un "horrible"
statu quo. "Le résultat inattendu de notre aide pourrait être de renforcer juste assez le système actuel pour en préserver les pires caractéristiques, sans améliorer réellement la situation".[90]
De tels doutes ne conduisent pas nécessairement les ligne-dure à nier la nécessité du paquet actuel d'aide promis par Clinton. En effet, même les plus prudents croient qu'on devrait envoyer l'aide pour fournir au gouvernement Pastrana une "dernière" opportunité de démontrer sa volonté et sa capacité de "sauver" la Colombie des griffes des terroristes et narco-guérillas de tout poil. Si Bogotá répond efficacement, tant mieux. Dans le cas contraire, cependant, beaucoup mettent en garde les Etats-Unis contre un déploiement des troupes de combat américaines en Colombie. "Nous devons garder à l'esprit le 'syndrome de l'Arabie', qui veut que des régimes étrangers qui ne le méritent absolument pas nous manipulent afin que nous combattions à leur place."[91] "Si Bogotá refuse de financer sa propre défense, ce ne devrait pas être à Washington de rattraper la situation."[92] Dans un tel scénario, la bonne alternative, pensent certains --certainement pas tous--, serait de laisser s'effondrer le régime actuel, corrompu, oligarchique et en faillite morale, au lieu de prolonger son agonie indéfiniment au prix de vies américaines. A la suite d'un tel effondrement, ils conviennent que les Etats-Unis pourraient finir, de toutes façons, par devoir se battre en Colombie pour protéger leurs intérêts stratégiques. Mais ils prétendent que Washington pourrait le faire dans le cadre d'un consensus régional sur la nécessité d'une intervention, et comme membre d'une coalition luttant pour supporter un nouveau régime "méritant" au lieu de soutenir artificiellement des titulaires "indignes". [93]
D'un autre côté, on trouve une "ligne réformiste" qui prétend que les conflits internes en cours ne seront jamais définitivement résolus, à moins que Bogotá n'entreprenne d'abord des réformes socio-économiques et politiques cruciales, conçues pour résoudre les injustices évidentes de la société colombienne et démocratiser son système politique corrompu, élitiste et qui favorise l'exclusion. De ce point de vue, la stratégie américaine actuelle ne semble pas relever d'un projet réaliste de lutte contre les drogues, ni d'un programme viable à long terme pour le rétablissement de la paix et de la stabilité. "Washington aurait dû apprendre il y a longtemps que le partenariat avec des militaires abusifs et inefficaces en Amérique latine produit rarement des résultats positifs et ébranle souvent la démocratie dans la région".[94]
Si l'on fait abstraction de la rhétorique américaine, les réformateurs croient que le paquet d'aide de Washington est beaucoup trop fortement biaisé vers les solutions militaires et accorde bien trop peu de ressources à la "construction institutionnelle" et à une réforme économique structurelle. Les avocats de la réforme n'ignorent pas la nécessité de réorganiser les forces armées colombiennes et de les renforcer. De fait, ils considèrent cette tâche comme un composant essentiel de la construction institutionnelle. Mais ils soulignent l'importance cruciale qu'il y a pour les militaires à respecter strictement les droits de l'homme, et à couper les ponts avec les paramilitaires, au lieu d'équiper ces derniers pour une longue guerre contre les insurgés. Ils insistent aussi sur la nécessité fondamentale de mettre un terme à l'impunité militaire en subordonnant le personnel militaire au contrôle et aux sanctions du système judiciaire civil. Ceci, en conséquence, exige que Washington et Bogotá assignent une priorité plus grande et plus de ressources à la réforme du faible système judiciaire colombien. Selon cette logique, les 45 millions de dollars prévus en 2000 (48 millions en 2001) pour les droits de l'homme, l'administration judiciaire et la démocratie sont cruellement insuffisants, et donnent un indicateur révélateur des priorités mal placées du paquet d'aide actuellement proposé par l'administration Clinton.
Tout aussi révélateurs sont les niveaux comparativement bas de financement (145 millions de dollars au cours des deux prochaines années) destinés aux programmes alternatifs de développement. Si ces programmes sont menés à bien, l'engagement de la Colombie de détruire 80.000 hectares de coca au cours de la seule année 2000 déplacera inévitablement des dizaines des milliers des paysans qui cultivent la coca dans les champs du sud du pays. Les ressources programmées dans la proposition actuelle de budget au Congrès américain sont absolument insuffisantes pour s'occuper de la population déplacée récemment, et encore moins des presque deux millions de colombiens déplacés pendant les quinze dernières années de conflit. En outre, la priorité donnée aux militaires colombiens ne laisse presque rien pour les nécessités pressantes: programmes de substitution de cultures ou de développement alternatif, investissements d'infrastructure (routes, ponts, école et dispositifs de santé publique). Au lieu de chercher à détacher la paysannerie colombienne de la culture de la coca, la stratégie actuelle a beaucoup plus de chances de "gonfler" la production de coca en la repoussant vers la vaste frontière agricole des plaines orientales, dans la région de l'Amazonie ou, plus loin encore, vers le Brésil et les autres pays voisins. Parallèlement, il est probable qu'au moins une partie de la population paysanne colombienne, de plus en plus désespérée, passe dans les rangs des FARC, des autres groupes de guérilla ou des paramilitaires.
Tout en favorisant une approche plus "orientée vers le développement" de la stratégie américaine en Colombie, quelques réformateurs insistent également sur la nécessité pour Washington de consacrer plus d'argent à réduire la demande de drogue aux Etats-Unis. Ces critiques soutiennent que les Etats-Unis ont régulièrement sous-financé leurs programmes domestiques de prévention, d'éducation, de traitement et de réhabilitation. "Il suffit de comparer la demande de 1,6 milliards de dollars destinée à la Colombie pendant une période de 18 mois, aux 2 milliards de dollars affectés pour la totalité des programmes de prévention et de traitement dans le budget proposé pour 2001..."[95] "Franchement, il vaudrait beaucoup mieux, pour la santé à long terme de l'Amérique, dépenser l'argent chez nous que dans des hélicoptères Blackhawk..."[96]
Clairement, la stratégie actuelle de Washington envers la Colombie ne satisfait complètement ni les tenants de la ligne dure, ni les réformateurs. En fait, elle cherche à rester en équilibre sur la frontière qui sépare ces deux camps. La guerre contre la drogue reste la priorité formelle, et le respect des droits de l'homme conditionne l'aide américaine. La majeure partie de l'aide sera déjà canalisée vers les militaires colombiens au lieu d'aller vers les réformes socio-économiques et institutionnelles. Cette stratégie de "deux pistes" pourrait bien se révéler capable de soutenir le régime politique colombien au moins pour les toutes prochaines années, mais il est peu probable qu'il suscite une paix durable ou la stabilité politique dans la prochaine décennie.
[1] GAO, Drug Control: Narcotics Threat From Colombia Continues to Grow. Washington, DC: United States General Accounting Office (GAO), Juin 1999, GAO/NSIAD-99-136, pp. 4-5.
[2] Les statistiques sur les niveaux de culture et de production jusqu'en 1998 proviennent du State Department, International Narcotics Control Strategy Report, Washington DC : US Government Printing Office, 1999. Données de 1999 et projections pour 2000 et au-delà : revue Semana, "Cultivos ilícitos : la ola verde", Revista Semana, numéro 903, 23 août 1999 ; Associated Press, "DEA, Cocaine Production Grows", The New York Times, 18 janvier 2000 ; Tim Johnson, "Colombian Coca Fields Flourishing, CIA Reports", The Miami Herald, 21 janvier 2000.
[3]
Asociacion Nacional de Institutos Financieros, La economia de la cocaina: La clave para entender
Colombia. Bogota: ANIF, 2000.
[4]
Voir State Department, op. cit.; Clifford Krauss, "Peru's Drug Success Erode as Trafficker Adapt," The
New York Times, 19 août 1999.
[5] State Department,
op. cit.; Adalid Cabrera Lemuz, "Bolivia Erradica una Cifra Record de Coca," El Nuevo
Herald, 19 décembre 1999.
[6] Clifford Krauss,
op. cit.; The Economist, "Andean Coca Wars: Special: A Crop that Refuses to Die," The
Economist, 4 mars 2000.
[7]
Ibid.
[8]
Ibid.
[9] Office of National Drug Control Policy, The National Drug Control Strategy, 1998: A Ten Year Plan. Washington DC: The White House, 1998, pp. 42-52; GAO, Drug Control: Assets DOD Contributes to
Reducing the Illegal Drug Supply Have Declined. Washington DC: United States General Accounting Office, décembre 1999, GAO/NSIAD-00-9.
[10] GAO, Customs Service: Drug Interdiction Efforts. Washington DC: United States General Accounting Office, Sept. 1996, GAO/GGD-96-189BR; Office of National Drug Control Policy, The National Drug
Control Strategy, 1997. Washington DC: The White House, février 1997, 49-62.
[11] Tim Golden, "Mexico and Drugs: Was U.S. Napping?" The New York Times, 11 juillet 1997; Peter Lupsha, "Transnational Narco-corruption and Narco Investment: A Focus on Mexico," Transnational Organized Crime Journal (printemps 1995).
[12] Sam Dillon, "Trial of a Drug Czar Tests Mexico's New Democracy," The New York Times, 22 août 1997;Tim Golden, "Mexican Tale of Absolute Corruption," The New York Times, 9 janvier 2000; J. Michael Waller, "The Narcostate Next Door," Insight Magazine. (www.insightmag.com/archive/199912048.shtml).
[13] Michael Riley, "Mexico Claims Greater Success in War on Drugs, Houston Chronicle.com, 26 janvier 2000; Ricardo Sandoval, "Albright Hails Mexican Role on Drugs," The Miami Herald, 17 janvier 2000.
[14] Larry Rohter, "Haiti Paralysis Brings a Boom in Drug Trade," The New York Times, 27 octobre 1998; Reuters, "Traffickers Moving Back to Caribbean--US Drug Czar," The New York Times, 10 février 200; The Associated Press, "Jamaican Fishermen's Tainted Boom: Rising Trade in Cocaine," The New
York Times, 11 février 2000; David Kidwell, "Haiti Now a Major Route for Cocaine Entering U.S.," The Miami Herald, 13 février 2000.
[15] Tim Johnson, "Radar Gap Helps Colombian Drug Smugglers," The Miami Herald, 5 février 2000.
[16] Tim Johnson, "Colombia's War on Drugs Goes Airborne," The Miami Herald, 11 février 2000.
[17] Bruce Michael Bagley, "Dateline Drug Wars: Colombia: The Wrong Strategy," Foreign Policy, no. 77 (hiver 1989-90): 154-171; Patrick L. Clawson and R. W. Lee III, The Andean Cocaine Industry. New York: St. Martin's Griffin, 1998, pp. 37-61.
[18] Bruce Michael Bagley, "The New Hundred Years War? U.S. National Security and the War on Drugs in Latin America,"Journal of Interamerican Studies and World Affairs, Vol. 30, no. 1 (1988): 71-92; John P. Sweeny, "Colombia's Narco-Democracy Threatens Hemispheric Security." Backgrounder # 1028 The Heritage Foundation, 21 mars 1995; Michael Shifter, "Colombia on the Brink," Foreign Affairs, Vol. 78, no. 4 (juillet/août 1999): 14-20.
[19] Presidencia de la Republica, La lucha contra las drogas ilicitas. 1996, un ano de grandes progresos. Bogota: Presidencia de la Republica, 1997, pp. 24-25; Semana, "Narcotrafico: Cuentas Pendientes," Revista Semana, Edicion 913 (1er novembre 1999); Adam Thomson, "Colombia: 'Mafia Links' Boost Cocaine Exports," The Financial Times,29 novembre 1999.
[20] Semana, "Narcotrafico: El Imperio de 'Juvenal'," Revista Semana, Edicion 912 (25 octobre 1999); Kirk Semple, "Major Arrests Sabotage Colombian Drug Network," The Washington Post, 14 octobre 1999.
[21] Pour des analyses de la corruption institutionnelle en Colombie, voir Fernando Cepeda Ulloa, "Seguimiento y evolucion de la lucha contra la corrupcion," in Beatriz Franco-Cuervo, compilador, La corrupcion y la lucha contra la corrupcion. Bogota: Funcacion Konrad Adenauer y el Goethe-Institut, février 1997, pp. 99-116; David Roll, "La corrupcion politica en Colombia, de subrealismo a la realidad virtual," in B. Franco-Cuervo, compilador,
Ibid., 117-134; Fernando Cepeda Ulloa, Coordinador, La corrupcion administrativa en Colombia: Diagnostico y recomendaciones para combatirla. Bogota: Tercer Mundo Editores, Contraloria General de la Republica y Fedesarrollo, 1994; Fernando Cepeda Ulloa, "El Congreso Colombiano ante la Crisis," in Francisco Leal Buitrago, ed., Tras las huellas de la
crisis politica. Bogota: Tercer Mundo Editores, FESCOL, IEPRI (UN), 1996; and Fernando Cepeda Ulloa, "Virtudes y vicios del proceso descentralizador," in Jaime Jaramillo Vallejo, ed., El reto de la
descentralizacion. Bogota: Pontificia Universidad Javeriana, CEJA y Fundacion Konrad Adenauer, 1996.
[22] Semana,"Corrupcion," Semana, Edicion 928, 28 février 2000.
[23] GAO, Drug Control. Washington DC: United States Government Accounting Office, GAO/NSIAD-99-136, 22 juin 1999; and GAO, Drug Control: U.S. Efforts in Latin America and the Caribbean. Washington DC: United States Government Accounting Office, GAO/NSIAD-00-90R, 18 février 2000. p. 7.
[24] Semana, "Informe Especial: Los Negocios de las FARC," Revista Semana, Edicion 879 (8 mars 1999).
[25] Steven Ambrus and Joe Contreras, "Fighting the Enemy Within: The 'FARC Republic': A New Outlaw State in the Heart of South America," Newsweek International, 29 novembre 1999; Reuters, "Colombia's Pastrana Plays down FARC's Drug Links," The Miami Herald, 29 juillet 1999.
[26] Cesar Garcia, "Tirofijo: Si Me Muero, Hay Mil que Me Reemplacen," El Nuevo Herald, 30 janvier 2000.
[27] Associate Press, "Comandante colombiano rebate declaraciones de lider guerrillero," El Nuevo Herald, 30 janvier 2000.
[28] Il est extrèmement difficile d'obtenir des informations précises sur les rentes des FARC liées à la drogue, d'où le fait que les estimations varient considérablement, entre 100 millions et 600 millions de dollars par an. Les chiffres présentés sont basés sur des entretiens avec des informateurs fiables menés par l'auteur en Colombie en novembre 1999. Pour des discussions des sources de revenus des FARC, voir Semana, "Informe Especial: Los Negocios de las FARC," Revista Semana, Edicion 879, 8 mars 1999; Douglas Farah, "Drug Sales Change Colombia's Power Balance," The Washington Post, 4 novembre 1999; et Agencia EFE, "La guerrilla obtuvo $3.121 millones en ocho anos," El Nuevo Herald, 12 mai 1999.
[29] Voir Alejandro Reyes Posada, "Investigacion sobre geografia de la violencia," El Tiempo, 17 octobre 1999.
[30] Pour la déclaration d'intention initiale sur le processus de paix, voir Andres Pastrana, "Una politica de paz para el cambio." Bogota: 8 juin 1998, mimeo, 17p. Pour une étude des initiatives de paix en Colombie au cours des deux décades passées voir Juan Gabriel Tokatlian, "Colombia en guerra: las diplomacias por la paz," Desarrollo Economico--Revista de Ciencias Sociales (Buenos Aires), vol. 39, no. 155, oct.-dic. 1999 (pp. 339-360).
[31] Ambrus and Contreras,
op. cit.
[32] Agence France Presse, "Aseguran que las FARC Poseen un Poderoso Arsenal de Guerra," El Nuevo
Herald, 21 janvier 2000; "Colombian Rebels Tap E. Europe for Arms," The Washington Post, 4 novembre 1999; Semana, "Los misiles de las FARC," Revista Semana, Edicion 905, 6 septembre 1999; J. Hammer and M. Isikoff, "Fighting the Rebels: A Mysterious Plane Crash Highlights Covert U.S. Operations," Newsweek, juin 1999; Semana, "Proceso de Paz: La Paz Armada," Revista Semana, Edicion 873, 25 janvier 1999.
[33] The Associated Press, "Colombian Militias Tax Drug Trade," The New York Times, 10 janvier 2000; Semana, "Narco-Castano?" Revista
Semana, Edicion 886, 26 avril 1999.
[34] Sur les liens entre les paramilitaires et l'armée colombienne, voir Human Right Watch, The Ties that
Bind: Colombia and Military-Paramilitary Links. New York: Human Rights Watch, Vol. 12, No. 1, février 2000.
[35] Linda Robinson, "Where Angels Fear to Tread: Colombia and Latin America's Tier of Turmoil," World
Policy Journal, hiver 1999/2000, p 64.
[37]
Ibid. pp. 64-65; Human Rights Watch, Colombia's Killer Networks: The Military-Paramilitary Partnership
and the United States. Washington DC: Human Rights Watch Publications, novembre 1996; Cambio, "Carlos Castano, jefe de las autodefensas," Revista Cambio, du 29 novembre au 6 décembre 1999.
[38] Reuters, "Pastrana destituye a generales acusados de nexos paramilitares," El Nuevo Herald, 9 avril 1999; Margarita Martinez, "Colombia Sergeants Convicted," The Washinton Post, 20 décembre 1999.
[39] Agence France Presse, "Guerra total a paramilitares," El Nuevo Herald, 15 janvier 2000. Lors d'une visite à Washington début mars 2000, afin d'influencer les législateurs américains à propos du paquet d'aide de Clinton, le vice-président colombien Gustavo Bell a déclaré que sept militaires membres du haut commandement avaient été récemment destitués par l'administration Pastrana pour collaboration avec les groupes paramilitaires de droite. Il annonça également que sept paramilitaires avaient été tués et 42 capturés par les troupes gouvernementales au cours des deux premiers mois de l'année 2000. George Gedda, "Colombia Breaking Paramilitary Ties," The Washington Post, 8 mars 2000.
[40] El Tiempo, "Castano se ve en la mesa de negociaciones," El Tiempo, 2 mars 2000. Dans cet article, Castaño se vantait de compter 11200 personnes dans les rangs de l'AUC forces, un chiffre considérablement supérieur à l'estimation de 7000 sur laquelle tombent d'accord la plupart des analystes indépendants.
[41] Jusqu'à Mai 1999 l'ELN contrôlait approximativement 30.000 hectares de coca à Catatumbo, Norte de Santander, mais perdit par la suite le contrôle de cette région au profit des paramilitaires de l'AUC. Etant donnée la position officielle de l'ELN, qui est de ne pas financer ses activités via le trafic de drogue, et leur taille comparativement plus faible que celle des FARC, Washington s'en préoccupe moins que des FARC. Diana Lozada, Unidad de Paz, "Diez obstaculos con el ELN," El Tiempo, 26 mars 2000.
[42] Semana, "El ELN y los alemanes," Revista Semana, Edicion 893, 14 juin 1999; Semana, "La bofetada," Revista Semana, Edicion 894, 21 juin 1999; Semana, "Si estamos cobrando," Revista
Semana, Edicion 918, 20 décembre 1999.
[43] El Tiempo, "Eln si pide despeje en el sur de Bolivar," El Tiempo," 8 janvier 2000; El Espectador, "Coca, nudo para el despeje," El Espectador, 8 février 2000.
[44] The Associated Press, "Colombian Rebels Vow More Sabotage," The New York Times, 20 janvier 2000.
[45] Javier Baena, "Medellin bajo racionamiento electrico tras un grave atentado de la guerrilla," El Nuevo
Herald, 19 janvier 2000; El Tiempo, "El pais, al borde del racionamiento por atentados del Eln," El
Tiempo, 23 janvier 2000; Luis Jaime Acosta, "Colombia sufre perdidas incalculables por los atentados," El Nuevo Herald, 22 janvier 2000.
[46] Depuis mi-février, les unités paramilitaires ont tué plus de 60 personnes soupçonnées de sympathies pour l'ELN. The Associated Press, "Groups Kill 11 in Colombia," The New York Times, 13 mars 2000. Semana, "La caldera del diablo," Revista Semana, Edicion 930, 28 février 2000; Javier Baena, "Pastrana acusa a Venezuela de 'irrsponsabilidad'", El Nuevo Herald, 10 mars 2000.
[47] Agencia France Presse, " Ataques recuerdan que la guerra continua en Colombia," El Nuevo Herald, 2 janvier 2000; Reuters, "Cae en combate el lider del tercer grupo guerrillero colombiano," El Nuevo
Herald, 29 janvier 2000. Le 7 mars 2000, une victime d'enlèvement récemment libérée par l'EPL annonça à la presse que l'EPL avait décidé d'entamer des pourparlers de paix avec les gouvernement Pastrana. El Tiempo, "Sucesos del dia," El Tiempo, 7 mars 2000.
[48] Semana, "La suerte de ERP," Revista Semana, Edicion 930, 28 février 2000.
[49] Semana,
Ibid.
[50] The Associated Press, "Colombia Breaks Kidnap World Record, The New York Times, 28 janvier 2000; Reuters, "Former Cycling Champ Kidnapped in Colombia," The New York Times, 4 mars 2000.
[51] Larry Rohter, "Driven by Fear, Colombians Leave in Droves," The New York Times, 5 mars 2000.
[52] Maria Travierso, "Representantes federales abogan por los inmigrantes colombianos," El Nuevo Herald, 20 janvier 2000.
[53] Le 11 mars 2000, Francisco Santos, journaliste au quotidien El Tiempo et leader du mouvement de paix Pais Libre, qui avait organisé les marses pour la paix d'octobre 1999, auxquelles 12 millions de colombiens avaient participaté, fut forcé de s'exiler aux Etats-Unis après la découverte d'un plan conçu par les FARC pour l'assassiner. En tout, neuf journalistes ont été assassinés en Colombie par divers groupes armés dans les 15 derniers mois, plus de 300 ont reçu des menaces de mort, et au moins 11, outre Santos, se sont exilés. Agence France Press. "Existe un complot para matarme," El
Nuevo Herald, 13 mars 2000; The Associated Press, "Peace Protests Planned in Colombia," The New York Times, 4 janvier 2000;Henry Orrego, "Salida de figuras publicas muestra dimension de la violencia en Colombia," El Nuevo Herald, 14 mars 2000.
[54] Sergio F. Kovaleski, "Thousands Roam Colombia to Escape Brutal Rural War," The Washington Post, 11 août 1999, p. A01; Reuters, "Se han desplazado un million 700 mil colombianos por la guerra," La
Jornada, 25 novembre 1999.
[55] Consultoria para los Derechos Humanos y el Desplazamiento (CODHES), Crisis humanitaria y catastrofe
social. Bogota: Codhes, novembre 1999.
[56] Kovaleski,
op. cit.
[57]
Ibid.
[58] El Tiempo, "El 'boom' de las invasiones," El Tiempo, 8 mars 2000.
[59] Tim Johnson, "Colombia's Child Soldiers," The Miami Herald, 23 janvier 2000.
[60] Larry Rohter, "Crisis in Colombia as Civil Strife Uproots Peasants," The New York Times, 21 octobre 1999; Semana, "Violencia joven," Revista Semana, Edicion 932, 27 mars 2000; Semana, " Los acuerdos de paz," Revista Semana, Edicion 932, 27 mars 2000.
[61] Tim Johnson,
op. cit.
[62]
Ibid.; Rafael Prieto Sanjuan, ""Conflicto Armado en Colombia y Deplazamiento Forzado: Que Proteccion?" Revista IIDH, No. 28, (Julio-Diciembre 1998) pp. 39-68.
[63] Semana, "Trafico de armas: La conexion venezolana," Revista Semana, Edicion 898, 19 juillet 1999; Servicios de El Nuevo Herald, "Chavez no tratara directamente con la guerrilla colombiana," El Nuevo
Herald, 17 août 1999; Gerardo Reyes, "Advertencia para Chavez: Manos Fuera de Colombia!," El
Nuevo Herald, 2 octobre 1999.
[64] Bruce Bagley, "Panama-Colombia Border Conflicts could Threaten the Canal." Special to CNN Interactive (http://cnn.com/SPECIALS/1999/panama.canal/stories/border/), décembre 1999.
[65] Bien que des hauts-fonctionnaires américains aient alimenté les espérances colombiennes d'un nouveau paquet d'aide dans la deuxième moitié de 1999, les chamailleries partisanes et d'intenses débats sur les priorités budgétaires entre républicains et démocrates du Congrès conduisirent à l'ajournement de la requête initiale de Clinton. Voir Michael Shifter, "The United States and Colombia: Partners in Ambiguity," Current History, février 2000, p. 51.
[66] Bruce Bagley, "Hablando Duro: La politica internacional antinarcoticos de los Estados Unidos en los anos noventa," in Juan Gabriel Tokatlian, compilador, Colombia y Estados Unidos: Problems y
Perspectivas. Bogota: Tercer Mundo Editores, 1998, pp. 103-118
[67] Henry Orrego, "Saldo en rojo muestra la economica de Colombia,"El Nuevo Herald, 7 août 1999, p. 5B; Semana, "Economia y Negocios: En tierra de ciego--," Revista Semana, Edicion 879, 8 mars 1999; Semana, "Economica y Negocios: El Chorro," Revista Semana, Edicion 913, 1 novembre 1999.
[68] Semana, "Luz al final de tunel," Revista Semana, Edicion 924, 17 janvier 2000; Semana, "Como nos ven en Wall Street?" Revista Semana, Edicion 931, 6 mars 2000.
[69] Les 289 millions de dollars représentaient 3 fois le montant de l'aide américaine reçue par la Colombie pour l'année fiscale 1998, pendant la dernière année complète du gouvernement Samper. Pendant le mandat de Samper, le flux réduit d'aide anti-narcotique américaine passait pratiquement complètement aux mains de la Police nationale, dirigée par le Général Jose Rosso Serrano, plutôt qu'aux militaires, que les Etats-Unis considéraient comme corrompus et impliqués dans des atteintes aux droits de l'homme. GAO, Drug Control: U.S. Counternarcotics Efforts in Colombia Face Continuing Challenges. Washington DC: United States General Accounting Office, 12 février 1998, GAO/NSIAD-98-60; GAO, Drug
Control: Narcotics Threat From Colombia Continues to Grow. Washington DC: United States General Accounting Office, juin 1999, GAO/NSIAD-99-136.
[70] El Nuevo Herald, "Estados Unidos y guerrilla de Colombia hablan de paz," El Nuevo Herald, 4 janvier 1999. Le meurtre par les FARC de trois membres américains d'une organisation humanitaire en mars 1999 rendit pratiquement impensable tout nouveau contact entre les diplomates américains et les FARC.
[71] Madeleine Albright, "Colombia's Struggles and How We Can Help," The New York Times, 10 août 1999; Reuters, "High-level Visit Signal U.S. Alarm Over Colombia," The Washington Post, 11 août 1999, p A15; Entretiens personnels de l'auteur avec des fonctionnaires américains en 1999.
[72] Semana, "El Cheque de Tio Sam," Revista Semana, Edicion 924, 17 janvier 2000.
[73] Presidencia de la Republica, Plan Colombia. Bogota: Presidencia de la Republica, septembre 1999. Le Plan Colombia fut initialement rédigé en anglais, et distribué à Washington avant d'être mis à disposition du Congrès colombien en espagnol, ce qui constitue une indication claire de ce que son objectif initial était de convaincre les Etats-Unis de supporter le gouvernement Pastrana.
[74] Secretary of State Madelaine K. Albright, "Statement on U.S. Assistance to Colombia." Washington DC: Office of the Spokesman U.S. Department of State, 11 janvier 2000; The White House, "Fact Sheet: Colombia Assistance Package." Grand Canyon, Arizona: Office of the Press Spokesman, The White House, 11 janvier 2000.
[75] Sergio Gomez Maseri, "Clinton le apuesta a Colombia," El Tiempo, 12 janvier 2000.
[76] Luis Torres de la Llosa, "La Ayuda de Estados Unidos ira contra las FARC si trafican droga," El Nuevo
Herald, 27 janvier 2000.
[77] Reuters, "Albright Declares 'New Relationship' with Colombia," The New York Times, 25 janvier 2000; Steven Dudley, "Albright Discusses Anti-Drug Aid in Colombia," The Washington Post, 15 janvier 2000, A20.
[78] Tim Golden, "Colombian Asks Congress for Aid Not Tied to Human Rights," The New York Times, 26 janvier 2000.
[79]
Ibid.; The Associated Press, "Doubts over US-Colombia Policy," The New York Times, 15 février 2000.
[80] Semana, "Guerra de dos mundos," Revista Semana, Edicion 930, 28 février 2000; Michael Radu, "Aid to Colombia: A Study in Muddled Arguments." Distributed by e-mail by the Foreign Policy Research Institute, Philadelphia, PA [mailto; fpri[at]fpri.org} pp.1-4.
[81] Sur les effets contraires des programmes d'éradication de la coca en Colombie, voir Coletta Youngers, "Coca Eradication Efforts in Colombia," in WOLA, ed., WOLA Briefing Series: Issues in International Drug
Policy. Washington DC: WOLA, 2 juin 1997; Juan Gabriel Tokatlian, Estados Unidos y la Fumigacion de Cultivos Ilicitos en Colombia: La Funesta Rutinizcion de una Estrategia Desacertada." Mimeo, Buenos Aires Argentina, février 2000.
[82] John P. Sweeny, "Tread Cautiously in Colombia's Civil War." Washington DC: The Heritage Foundation, Backgrounder No. 1264, 25 mars 1999; Juan Gabriel Tokatlian, "Colombian Catastrophe," The World Today, Vol. 56, No. 1, janvier 2000, pp. 13-15; Gabriel Marcella and Donald Schultz, "Colombia's Three Wars: U.S. Strategy at the Crossroads," Strategic Review, Vol. XXVIII, No. 1 (hiver 2000): pp. 3-22.
[83] Reuters, "Colombia Rebels 'Declare War' on United States," The New York Times, 29 février 2000; The Associated Press, "Colombia Rebel Rips Pastrana Plan," The Washington Post, 29 février 2000.
[84] Matthew Brigs, "Contractors Playing Increasing Role in U.S. Drug War," Dallas Morning News, 27 février 2000.
[85] El Tiempo, "Buenos ojos a la ayuda de E.U.," El Tiempo, 23 janvier 2000.
[86] Sous la pression de membres sceptiques du Congrès lors de son témoignage sur le paquet d'aide Clinton face au sous-comité chargé des aides à l'étranger, le Directeur du Bureau national de contrôle des stupéfiants, le Général Barry McCaffrey, répondit: "Je pense personnellement que nous devons l'envisager comme un effort sur cinq ans". Ce serait selon lui le délai nécessaire pour obtenir "une réduction substantielle de la production de drogues". Certains de ses critiques du sous-comité manifestèrent leur crainte que le projet ne mène les Etats-Unis vers une nouvelle intervention sans issue visible, type Viêt-nam, tandis que d'autres pensaient qu'il vaudrait mieux dépenser dans le pays, pour contrôler la demande de drogue, les fonds destinés à la Colombie. Alan Fram, "US: Colombia Drug War to Take Five Years," The Washington Post, 29 février 2000. Sur les difficultés à obtenir des ressources de la part de l'Union européenne, voir Hernando Corral G., "Sin Censura: Dinero, Paz y Union Europea," El Tiempo, 7 mars 2000.
[87] Radu,
op. cit. p. 3.
[88]
Ibid. pp. 2-3.
[89] Ralph Peters, "The U.S. Is Setting a Trap for Itself in Colombia," The Washington Post, 5 mars 2000, p. B01.
[90]
Ibid., p. B01
[91]
Ibid., p. B01
[92] Radu,
op. cit., p. 4
[93] Peter,
op. cit., p. B01
[94] The New York Times, "Dangerous Plans for Colombia," The New York Times, 13 février 2000.
[95] Seattle Post-Intelligencer Editorial Board, ""Spraying Coca Crop is a Misplaced Priority," Seattle Post-Intelligencer, 9 mars 2000.
[96]
Ibid. Cultures et production de drogue en Colombie
Cultures et production de drogue dans les Andes
Répression du transport
Le déclin des cartels colombiens
Les FARC et le trafic de drogue en Colombie
Le processus de paix Pastrana et la Zona de Despeje
Les paramilitaires, le droit humanitaire et le commerce de la drogue
L'ELN, l'EPL, l'ERP et la quête de la paix
Violence, migration interne et catastrophe sociale
Conflits internes colombiens et sécurité régionale
Trafic de drogue, guerre de guérilla et relations U.S.A.-Colombie
Implications du changement de priorités dans la stratégie américaine
Conclusions
Professor of International Studies, School of International Studies - University of Miami, Coral Cables, FL.
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