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Les prospérités du crime: Trafic de stupéfiants, blanchiment et crises financières dans l’après-guerre froide
(extraits)

Guilhem Fabre[*]

UNESCO/Éditions de l'Aube, 1999[**]

   Le crime organisé et le recyclage de ses bénéfices ont une histoire inséparable du contexte politique. Tel est l’un des propos forts de ce livre, qui dresse un parallèle saisissant entre la colonisation de l’Asie avant 1914-1918, financée en partie par le trafic de stupéfiants, et la mondialisation de l’après Guerre froide, qui favorise les dérives mafieuses dans nombre de pays émergents, comme le montre l’exemple de la Chine.

   La corruption systémique, qui se développe aisément dans le nouveau contexte de libéralisation commerciale et financière, facilite la formation d’une véritable économie criminelle, reposant sur l’usage ou la menace de la violence, et infiltrant les pouvoirs politiques, à l’échelle provinciale ou parfois centrale.

   La croissance de cette économie et le recyclage de ses bénéfices, analysée surtout à travers le trafic de stupéfiants, qui en constitue la partie la plus connue, en arrive ainsi à jouer un rôle significatif dans les crises à répétition du système financier international. L’auteur le montre admirablement à travers les exemples du Japon, du Mexique, de la Thaïlande et, en conclusion, de la Russie. Sa démonstration pourrait s’étendre aux crises financières qui secouent l’Argentine et la Turquie en 2000-2001.

   Le glissement insensible de la corruption banalisée à une véritable économie criminelle, marginale par rapport à l’économie formelle, mais offensive et influente en termes politiques, crée une véritable course de vitesse, dont chaque étape influe sur la nature même du processus de mondialisation.
 
 

TABLE DES MATIERES

Préface
Introduction

Chapitre I : Le miroir de l’histoire
    Opium et colonisation

Chapitre II : Drogues et post-communisme
    L’essor du trafic et de la consommation de stupéfiants en Chine
    La nouvelle guerre à la drogue
    L’expansion et la diversification de l’offre des stupéfiants
    Le Yunnan : Drogues et la géopolitique des rapports sino-birmans

Chapitre III : Les enjeux socioéconomiques du trafic de stupéfiants
    La question du blanchiment
    Le rôle des places off-shore

Chapitre IV : Japon: la récession Yakuza
    Les leçons de la crise japonaise

Chapitre V : Crise et blanchiment au Mexique : de « l’effet tequila » à « l’effet cocaïne »

Chapitre VI : Crise et blanchiment en Thaïlande : les parrains provinciaux à l’assaut de Bangkok

Conclusion

Annexe : “Management of Social Transformation”
Notes
Bibliographie

Introduction

Depuis la fin de la guerre froide, on assiste à une montée de la corruption, du crime organisé, du trafic et de la consommation de stupéfiants. Ce livre tente de cerner les liens entre ces trois phénomènes, en partant du constat historique de leur convergence, au XIXe siècle, et du constat actuel de l’ampleur de l’économie illicite. L’ONU et les Fonds monétaire international évaluent aujourd’hui le chiffre d’affaires du crime organisé à 1 000 milliards de dollars US, soit 4% du produit intérieur brut mondial. La moitié environ revient au trafic de stupéfiants, qui reste le domaine le mieux connu. L’observation montre qu’il n’existe pas de réseaux criminels uniquement spécialisés dans la drogue, mais que le crime organisé tire parti de l’ensemble des activités illicites, la contrebande, le trafic d’armes et de matières fissiles, le trafic de main-d’œuvre et le proxénétisme, l’exportation de déchets dangereux et toxiques, le trafic de véhicules volés, d’objets archéologiques et d’objets d’art, etc. On assiste ainsi au renforcement de réseaux multiservices facilité par la mondialisation des échanges.

Le miroir de l’histoire, tel qu’il est envisagé dans le premier chapitre à travers l’exemple de l’empire du Milieu et plus généralement de l’Asie, nous renvoie l’image des lien incestueux qui se sont tissés entre l’opium, l’accumulation coloniale et la corruption. La fin de la guerre froide marque un mouvement d’expansion planétaire de l’économie de marché comparable à la dynamique d’intégration qui prévalait avant la Guerre de 14-18. Ce mouvement s’accompagne d’un retour de l’économie illicite, du trafic de stupéfiants et de la corruption dans les pays émergents et les pays en transition. L’exemple de la Chine, développé dans le deuxième chapitre, permet d’analyser les enjeux institutionnels, sociaux et géopolitiques liés à la réapparition de la drogue, dans un pays où elle avait été éliminée après la révolution de 1949.

Les effets économiques du trafic de stupéfiants, et plus largement du crime organisé, sont envisagés dans le troisième chapitre, en partant de la question du blanchiment. L’un des paradoxes essentiels des politiques de la drogue tient à ce que la criminalisation est devenue effective au stade de la consommation de stupéfiants, alors que le blanchiment des profits, qui constitue le centre de gravité du marché économique, reste pratiquement impuni. Malgré les appels à la décriminalisation de la consommation de très nombreux praticiens et du secrétaire général d’Interpol Raymond Kendall, les prisons sont encombrées d’usagers-revendeurs qui alimentent la future main-d’œuvre criminelle. Aux Etats-Unis, par exemple, deux tiers des 1,7 millions de détenus ont de sérieux problèmes de drogue.

Le bruit qui est entretenue autour de la consommation de drogues contraste avec le relatif silence qui entoure le blanchiment des narco-profits. Bien que les signes s’accumulent au fil d’affaires judiciaires mettant en cause de nombreuses personnalités, dont plusieurs chefs d’Etat, l’opinion reçoit encore confusément le saut qualitatif opéré par la grande délinquance. Si, il a encore peu de temps, l’un de délits les plus rémunérateurs était d’attaquer une banque à main armée, le cœur du délit consiste aujourd’hui à y introduire de l’argent. La menace principale n’est plus le fait du braquer mais du banquier, dont il est souvent indispensable d’acheter la complicité, sous peine de dénonciation d’une transaction suspecte. En d’autres termes, la corruption tend à devenir l’arme du crime. La profession bancaire très reconnue socialement, dispose d’une image d’intégrité assez lointaine des tentations dont elle peut être l’objet. Elle reste à l’abri des suspicions que peut avoir l’opinion, par ailleurs abreuvée de détails anecdotiques sur les mafias. Les rendements très élevés des marchés financiers globalisés ont aussi habitué de nombreux opérateurs à des marges bénéficiaires qu’il s’avère difficile de retrouver dans la production réelle, mais qu’il peut être aisé de négocier dans les activités de blanchiment, rémunérées entre 25 et 30% des fonds placés.

La convergence entre les sphères licite, illicite et criminelle est facilitée par cette dynamique de financiarisation et par l’anonymat garanti aux intervenants sur des nombreuses places off-shore. Ses effets, analysés de façon très générale par le FMI, sont d’ores et déjà considérables, comme on le découvrira au fil des pages qui retracent les liens entre blanchiment et déstabilisation financière dans les crises mexicaine, puis thaïlandaise et japonaise, étendues par la suite à l’ensemble de l’Asie et du monde. Si les plus sûrs alliés du crime organisé sont la peur qu’il inspire et le silence qu’il entretient, il est temps aujourd’hui de mettre en lumière ses prospérités, qui constituent le plus puissant ressort de son expansion économique e politique.



[*] Sinologue et socioéconomiste, professeur à la faculté des Affaires Internationales de l’université du Havre.
[**] Publié en chinois
Pu Jilan (traduction: Li Yuping): FANZUI ZHI FU : DUPING ZOUSI, XI QIAN YU LENGZHAN HOU DE JINGRONG WEIJI Beijing, Shehui kexue wenxian chubanshe, 2001, 216p

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