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Le front du pavot dans le Sud du
Tolima
(résumé)
José Jairo González
Arias
Luis Hernando Briceño
Au sens large, la región du Sud du Tolima est composée par les communes d’Ataco, Chaparral, Planadas, Rioblanco, qui forment le bassin Atá-Saldaña; les communes d’Ortega, San Antonio, Rovira et Roncesvalles, qui forment la zone du Cucuana, ces deux bassin étant considérés dans la stratégie de régionalisation du Plan National de Développement Alternatif (PDA-PLANTE) comme ses zones d’intervention dans le département, région à laquelle o ajoute les communes de Coyaima et Natagaima.
Dans cette région habitent environ 22 peuples indigènes des ethnies Coyaimas- Natagaimas et Paeces, localisés dans les communes de Ortega, San Antonio, Chaparral, Planadas et Rioblanco. Au total les dix communes comptent une population de 263 268 habitants (soit approximativement 20 % du total de la population du département) et une superficie approximative de 10.354 km carrés, correspondant à 44 de la superficie du département[1].
Comme nous le montrons, le processus historique de configuration de ces vastes régions du Tolima a été associé, depuis les débuts de son peuplement et de sa colonisation, à de multiples conflits ethniques, agraires, à la violence du bipartisme et à la guerre entre insurgés et contre-insurgés, qui dure jusqu'à nos jours.
Dans un sens plus restreint, pour les besoins de cette étude, la sous-région sud du Tolima comprend les communes de Ataco, Planadas, Rioblanco et Chaparral, qui forment, selon la sous-régionalisation contenue dans le plan de développement, l’association de communes du Sud Tolima (AMUSURT).[2]. Les quatre communes couvrent une superficie de 5.935 km², soit 25 % du territoire du département et une population de 129.814 habitants, soit 10% de la population du département
Cette étude prend comme base pour les extrapolations de couverture et d'utilisation productive du territoire une superficie de 10.083 ha, le chiffre résultant de la somme de toutes les zones productives des 20 veredas couvertes par l'enquête. Cette superficie représente un peu plus de 7 % de la commune de Planadas, ce qui constitue un échantillon très représentatif. De plus, les veredas référencées sont les plus représentatives du phénomène des cultures de pavot, les inférences et l'analyse constituant donc une étude de cas.
Du point de vue de la géographie économique et de l’environnement, selon la proposition de Jaime F. Lozano, ces communes sont situées dans la sous-région cafetière du département et en même temps dans la sous-région des hautes Andes[3]. Planadas, commune où s’est déroulée la présente étude, a connu ses premiers habitants en 1932, et est devenue commune, séparée d’Ataco, en 1966. Depuis sa création elle apparaît comme un centre très dynamique, axe agricole et commercial du haut sud du Tolima, avec d'importants liens économiques avec le département du Huila avec le sud du Tolima. Elle compte actuellement une population de 32.660 habitants et, depuis la fin de la décennie 1970, connaît une croissance soutenue, surmontant en partie les conséquences de la violence du bipartisme dans la région et les opérations anti insurgés (opération Marquetalia) développées dans cette zone pendant les premières années de la décennie 1960.
Pour illustrer la problématique sociale et de l’environnement dans le sud du Tolima, la commune de Planadas comptait en 1970 près de 140 000 hectares de forêts, 1000 en élevage et 50 de cultures illicites. Vers 1992, sommet de la culture du pavot, on enregistrait un peu plus de 120 000 ha de forêts naturelles, 3000 d’élevage et 2000 de cultures illicites, notamment de pavot[4].
Selon les enquêtes réalisées et les informations recueillies dans les ateliers avec les communautés, complétées par des entretiens avec les producteurs, le pavot fait son apparition, de façon dispersée, entre 1984 et 1989. Plus tard, entre 1990 et 1995, il devient un phénomène généralisé qui implique de façon significative plus de 20 veredas de Planadas. Ce sont sur ces veredas, groupées en épicentre, que 20 porte la recherche de terrain de cette étude[5]. L’étude de González et Briceño est un travail nourri de données et d’information précise sur cette région du pays.
Le développement des cultures de pavot dans le sud du Tolima, en particulier, a été rendu possible par les conditions de biodiversité du territoire, par les structures sociales existantes, par l'intercommunication avec d'autres zones productrices de cultures illicites et par la crise de l'économie paysanne. Certains auteurs signalent, au niveau régional, que la crise du café a a été un facteur déterminant[6]. Néanmoins, cette étude relativise cet argument, indiquant que plutôt que la crise du café, l'aspect déterminant a été la crise de l'économie paysanne, notamment dans une perspective d'analyse qui examine les phénomènes locaux dans un contexte régional plus large.
Dans les années quatre-vingt-dix, la reconversion du paysage lié à la culture du pavot s'exprime par le remplacement de 1.257 ha de forêts (60 %), 706 ha de buissons (34 %) et de cultures agricoles sur 143 ha (7 %), soit un total de 2.106 ha[7], avec un coût important sur la forêt et les buissons. La superficie agricole substituée, 143 ha, n'est pas négligeable, étant donné que la frontière agricole actuelle est de 322 ha, c'est-à-dire que la substitution d'aliments représente dans la perspective actuelle environ 44 % de la frontière agricole actuelle. Ce rapport important donne la mesure de la réduction de la production locale d'aliments qui, un moment donné, a été compensée par des importations d'aliments depuis d'autres localités ou d'autres régions.
En synthèse, à partir de 1990, suite à l'arrivée du pavot, la colonisation a augmenté de façon fulgurante, avec des moyennes annuelles de déforestation de plus de 2.000 ha par an. Cette situation perdure plus ou moins jusqu'en 1996, moment de la crise du pavot occasionnée par les fumigations aériennes répétées et par la tendance à la baisse du prix du latex de pavot.
En 1994, les calculs officiels de superficie de cultures de pavot dans la région du sud du Tolima donnaient 5.124 ha, soit 25,4 % du total national; en 1998, bien que les superficies cultivées aient été réduites sensiblement, suite aux fumigations, à 3.000 ha, ces superficies représentaient 38,5 % du total national[8].
Les huit campagnes de fumigation à grande échelle qui, aux dires des habitants de la région, se sont succédé depuis 1992, ont amené une réduction de la zone cultivée, mais de façon intermittente. Il faut signaler la dynamique générée par ces fumigations : après chaque campagne, la réponse des cultivateurs a été de disperser un peu plus leurs cultures de pavot, c'est-à-dire de cultiver des champs plus petits, moins concentrés, plus éloignés des sites de production d'aliments et situés dans des zones plus escarpées, afin de limiter l'efficacité des fumigations. C'est ce qui explique que la réduction des zones cultivées soit intermittente et peu efficace, si l'on considère que ce processus s'est déroulé sur presque toute la décennie.
Par ailleurs, bien que les fumigations aient contribué à la réduction des zones cultivées, soit par les dommages infligés aux cultures, soit par effet dissuasif, le phénomène économique parallèle de diminution des prix au producteur a découragé la production. Curieusement, la diminution des superficies cultivées n'a pas amené une augmentation des prix, comme on pourrait l'espérer dans le cas de cultures normales ; au contraire, parallèlement à la diminution des superficies, le prix payé aux producteurs est tombé, passant de 1.800.000 pesos par kilo en 1992 à 1.500.000 en 1994, atteignant même depuis 1998 et jusqu'à aujourd'hui des prix de 600.000, 400.000, voire 200.000[9]. L'explication de ce phénomène est la position de monopole de l'acheteur, par rapport au producteur, pour imposer le prix. Les difficultés d'accès à la zone, dues aux fumigations et aux opérations contre les trafiquants, ont été mises à profit par les intermédiaires acheteurs, et en termes économiques, les points de valeur ajoutée perdus par le producteur ont été transférés à la chaîne intermédiaire, étant donné que les prix au consommateur se sont maintenus, voire même ont augmenté.
Face à la crise de l'économie paysanne, le pavot est arrivé pour compenser la chute des revenus dérivés de produits comme le lulo, le haricot et le café entre autres. Aux meilleurs moments du pavot, vers 1991-92, le prix du kilo de latex était de 1.800.000 ou de 1.500.000 pesos; il n'y avait pas aucune comparaison possible, en termes de rentabilité, avec n'importe quelle autre culture. Même avec des rendements peu élevés du pavot, en comparaison avec d'autres régions productrices comme le Huila ou le Cauca, le rapport bénéfice/coût était extraordinaire. Les rendements oscillaient entre 4,1 kg/ha et 9,13 kg/ha, soit en moyenne 6,98 kg/ha. Ces rendements sont bas, entre autres parce que les variétés utilisées, connues dans la région comme "tresmesuna" (à trois mois), sont de cycle très court et produisent très rapidement, ce qui offre donc aux cultivateurs de plus grandes liquidités ; ce cycle très court permet également de diminuer le risque d'éventuelles fumigations, les pertes étant limitées en cas de destruction des cultures. Les hauts rendements enregistrés dans d'autres régions correspondent à des variétés de semences de cycle plus long, avec lesquelles on obtient des rendements de jusqu'à 20 kg/ha.
En ce qui concerne l'impact du pavot au niveau social et sur l'environnement, il faut signaler que, à part la déstructuration sociale avec des manifestations de décomposition, la déforestation indiscriminée et le fait que les conditions locales et régionales préexistantes de pauvreté ne sont pas remises en cause, la fumigation participe également à la détérioration de la structure socio-économique et de l'environnement, par contamination des sols, de lots et de la végétation, par action sur les cultures agricoles existantes, par apparition de nouvelles maladies et par l'incertitude sur le futur immédiat de la sous région. Les fumigations, si elles ont permis de réduire les zones cultivées, présentent donc un coût social et environnemental élevé, et il faudrait faire un calcul de bilan pour savoir si les sous-régions et les communes en tirent un quelconque bénéfice. La détérioration de l'environnement résulte également de l'approfondissement de la pratique culturelle d'abattage et brûlis des forêts et de buissons, pour préparer les terrains destinés à la culture de pavot, laquelle réaffirme le processus de détérioration préexistant et rend encore plus vulnérable la capacité d'autosuffisance de l'économie paysanne.
La réaction des communautés face aux fumigations est variée et, par certains aspects, très parlante. 26 % des personnes interrogées n'offrent aucune réaction particulière ou ne répondent pas, 37% disent avoir abandonné les cultures de pavot, 27 % disent avoir arrêté les cultures d'aliments; 16% ont utilisé des substances protectrices du pavot, 53 % ont changé leur façon de cultiver, et seulement 5 % se sont plaints aux autorités. On remarquera que la crédibilité des autorités est minime, qui peut sembler normal venant de personnes qui ont des activités illicites. Il est remarquable que plus de la moitié des personnes affectées aient changé leur façon de cultiver, ce qui se traduit par une atomisation des cultures, par l'éloignement des cultures de production d'aliments loin des sites de culture de pavot, et par la diminution de la taille des terrains voués à la culture du pavot, entre autres. Il est également significatif que 27 % ont arrêté de produire des aliments sous la pression des fumigations, soit à cause des dommages causés au sol, soit par incapacité technique et financière de recommencer des cultures à haut risque.
87 % des personnes interrogées, cultivateurs et non cultivateurs, répondent que les fumigations les ont affectées de façon importante, et même gravement pour certains. Ils ont perdu leurs cultures alimentaires à cause des fumigations, ils ont souffert des maladies inconnues auparavant, allergiques et éruptives (particulièrement chez les enfants), des animaux présentent également des maladies, les eaux ont été contaminées et les sols ont été "empoisonnés"[10]
Dans ce contexte, les perspectives pour le pavot dans la sous-région, et son impact, dépendent de la résolution des problèmes qui ont facilité son arrivée, mais également et tout particulièrement de la continuation ou non de la politique actuelle d'éradication forcée des cultures, car, comme on l'a montré, celle-ci va en sens contraire des possibilités de recomposition de la paysannerie et de la reconversion des productions dans des conditions sociales et environnementales acceptables et durables. Si la politique actuelle "éradicationniste" est maintenue, les superficies de production de pavot se maintiendront, même à des niveaux de subsistance, malgré les fumigations (comme cela a été évident par la décennie passée), avec un coût social et environnemental élevé, qui se traduit par le déplacement des producteurs vers de nouvelles zones forestières, la baisse de la sécurité alimentaire régionale et locale (et son impact dans d'autres régions), le déplacement forcé des populations et l'approfondissement du conflit social et armé.
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