Au Pérou, les résultats mitigés de l’arrachage
Les surfaces de culture de la coca ont diminué,
mais pas la production de cocaïne.
La solution ?
Que les cultures de substitution – coton
ou huile de palme – trouvent des
débouchés.
EL PAIS (extraits)
Madrid
DE LIMA
L’année 2008 est l’échéance fixée par les
Nations unies pour éliminer toutes les cultures
de coca et d’opium de la planète. Cette option
zéro, aussi connue sous le nom de “politique
du bâton et de la carotte”, entend associer
répression [contre les cultivateurs illicites]
et développement alternatif [subventions
pour les cultures de substitution]. De toute
évidence, ce nouvel objectif sur six ans
est irréalisable. Les grands producteurs
de coca (Colombie, Bolivie et Pérou) et d’opium
(Birmanie) continuent d’alimenter le marché
de la drogue, et un ancien producteur d’opium,
l’Afghanistan, revient sur le devant de la
scène conséquemment à la chute des talibans.
Lors de sa visite au Pérou [le 24 mars
dernier], le président George W. Bush
a surpris son auditoire en signalant
que
la lutte contre le trafic de drogue
supposait
aussi de freiner la demande. On n’est
pas
habitué à entendre reconnaître cette
évidence
par le président d’un pays qui est
le premier
consommateur de cocaïne de la planète.
L’apparent changement d’attitude de Washington
a défrayé la chronique ces jours derniers
au Pérou, l’un des principaux producteurs
de coca. “Tant qu’il y aura de la demande, il y aura
de l’offre. Le monde parle maintenant
de
coresponsabilité, avec plus de sincérité
qu’avant”, estime Ricardo Vega Llona, le responsable
péruvien de la lutte contre les stupéfiants.
Dans la bataille contre le narcotrafic, le
bâton supplante généralement la carotte,
comme on l’a vu dans la région andine.
Face
à l’échec des politiques menées en
Bolivie
et en Colombie, le Pérou a été présenté
pendant
un certain temps comme un modèle en
matière
de lutte contre le trafic de drogue
dans
la région andine. Les résultats semblaient
éloquents : entre 1992 et 2001,
on est passé de 130 000 à 49 260 hectares
de culture de coca.
Washington a salué l’action du président
Alberto Fujimori [qui démissionna en
avril 2000]
contre le trafic de stupéfiants, et
la CIA
était fière de compter parmi ses agents
Vladimiro
Montesinos, l’ancien chef des services
secrets
péruviens, qui s’est avéré être le
plus grand
corrompu [et narcotrafiquant] de toute
l’Amérique
latine. Mais les chiffres étaient trompeurs.
“La culture de coca a diminué, mais la production
de cocaïne a augmenté”, explique Patricio Vandenberghe, le représentant
au Pérou du Programme des Nations unies pour le contrôle
international des drogues. “Le plus préoccupant, c’est que le rendement
à l’hectare s’est accru, notamment
dans la
zone d’Apurímac, où la production atteint
deux tonnes à l’hectare, alors que
la culture
traditionnelle de coca varie entre
400 et
800 kg à l’hectare.” Et il ajoute : “Eradiquer n’est pas une solution parce que
cela prive les paysans de leur moyen
de subsistance
et qu’ils sont donc obligés d’émigrer
vers
les villes. Ce n’est pas constructif.
L’objectif
du Programme des Nations unies est
d’offrir
des solutions de rechange pour que
les paysans
n’aient pas pour seul recours la culture
de la coca.”
Les actuels responsables de la lutte contre
le trafic de drogue au Pérou rejettent
l’“option
zéro coca” mise en Suvre en Bolivie
et en
Colombie. Hugo Cabieses, un conseiller
du
responsable de la lutte contre le trafic
de stupéfiants, cite des chiffres qui
en
disent long sur l’échec de cette politique :
“Dans les années 1991-1992, les trois pays
andins comptaient 210 000 hectares
de coca. Entre 1992 et 2001,
on
en a éradiqué 300 000 hectares,
par arrachage volontaire au Pérou,
par la
force armée en Bolivie et par épandage en Colombie.
Or, en 2001, on se retrouve avec 230 000 hectares
plantés de coca.”
La nouvelle politique proposée par Contradrogas,
le service que dirige Vega Llona, part
du
principe que le problème de la production
de coca n’est pas spécifiquement agricole,
mais qu’il est lié à l’existence d’une
monoculture.
Ce n’est pas un hasard si la coca produit
trois récoltes par an et offre une
rentabilité
sans commune mesure avec les autres
cultures.
Il faut par conséquent substituer à
cette
monoculture une autre économie fondée
sur
des produits et des activités licites,
en
limitant la coca à la consommation
traditionnelle
et à d’éventuelles utilisations thérapeutiques.
“Il ne s’agit pas de promouvoir une ou deux
cultures dans ces zones, mais une bonne
quinzaine
de cultures et d’activités économiques”,
souligne Cabieses, qui évoque à titre d’exemple
la possibilité de planter des palmiers
à
huile dans les zones forestières des
hautes
terres – le Pérou est déficitaire
en
huiles et en matières grasses –,
tout
en accroissant la production de coton.
“Le Pérou n’a pas besoin de dons pour promouvoir
le développement alternatif, mais d’une
ouverture
des marchés pour le commerce de l’huile
de
palme, du coton, de la canne à sucre
(dont
on extrait de l’éthanol, qui sert à
produire
du biocarburant), du riz, du maïs,
de la
papaye, de l’ananas, de la banane…”,
énumère-t-il.
Pour cela, Cabieses réclame que le Sénat
des Etats-Unis donne le feu vert à
la loi
de préférences douanières andines (ATPA).
Par ailleurs, selon les calculs du
responsable
de la lutte contre les stupéfiants,
il faudra
dépenser 1,12 milliard de dollars
(1,23 milliard
d’euros) pour construire six axes routiers
de la forêt vers la côte, afin que
les produits
puissent accéder au marché national
et international.
Edwin Villanueva, ancien producteur de coca,
préside une coopérative de 500 agriculteurs
qui ont abandonné cette culture illicite
pour se consacrer à la production de
coton.
Il s’est rendu à Lima, depuis le département
d’Ucayali, pour demander au responsable
de
la lutte contre les stupéfiants un
soutien
financier pour l’achat de produits
phytosanitaires.
Il attend une réponse. “Nous voulons prouver au monde que la situation
est en train de changer au Pérou, mais
nous
avons besoin d’aide.”
Francesc Relea
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BRESIL
Quand l'armée ratisse la forêt amazonienne
Ces dernières semaines, l’armée brésilienne
se livre à la frontière avec la Colombie
à une opération militaire de très grande
envergure qui associe l’armée de terre, l’aviation
et la marine. La zone opérationnelle au cSur
de la forêt amazonienne couvre 252 000 km2, soit une superficie légèrement supérieure
à celle de l’Etat de São Paulo [et
comparable
à celle de la Belgique]. Le contingent
de
4 000 soldats [20 000
selon
le général Hedel Fayed, coordinateur
de l’opération]
est réparti sur des bases terrestres
et navales,
situées entre les communes de Tefé,
Tabatinga
et São Gabriel da Cachoeira, à l’ouest
de
l’Amazone. Les avions, hélicoptères
et embarcations
quadrillent la région de façon ostensible.
Les militaires apportent un démenti formel
au sujet d’une éventuelle relation
entre
ces opérations et l’élection présidentielle
du 26 mai en Colombie. Pourtant,
d’après
l’agence Folha, les faits sont indéniablement
liés, particulièrement si l’on tient
compte
des actions menées dernièrement [par
le gouvernement
colombien] contre les guérilleros des
FARC
(Forces armées révolutionnaires de
Colombie).
Le conflit a repris de plus belle depuis
la rupture, en février, des accords
passés
entre le gouvernement d’Andrés Pastrana
et
la guérilla. Les FARC ont abandonné
la zone
démilitarisée qu’elles occupaient et
ont
relancé leur offensive, remettant ainsi
de
nouveau le pays à feu et à sang.
Par ailleurs, les narcotrafiquants intensifient
leurs opérations à la frontière. L’un
des
objectifs de l’opération Tapuru des
Forces
armées brésiliennes, planifiée dès
le mois
de décembre, consiste à localiser et
à détruire
leurs pistes clandestines. Il s’agit
de tester
les procédures de commandement, de
soutien
logistique et de communications utilisées
par les trois unités si d’aventure
l’état
d’urgence était décrété.
La police fédérale se tient prête à intervenir
en cas d’arrestation de trafiquants.
Les
derniers incidents survenus à la frontière
entre le Brésil et la Colombie sont
dus aux
incursions des FARC. En mars dernier,
un
groupe de 197 Indiens menacé par
des
guérilleros est allé chercher refuge
dans
une base de Vila Bittencourt [Amazonie
brésilienne].
Le conflit colombien avait déjà provoqué
un incident diplomatique entre les
deux pays,
en 1998, lorsque les militaires colombiens
avaient utilisé une piste, dans la
région
de Cabeça do Cachorro (Amazonie), sans
l’autorisation
du Brésil. L’incident le plus grave
s’était
produit en 1991, lorsque des guérilleros
des FARC avaient tiré sur un détachement
militaire brésilien du Rio Traira [le
long
de la frontière entre le Brésil et
la Colombie],
en tuant trois soldats et faisant neuf
blessés.
Sept des leurs y avaient laissé la
vie.
Katia Brasil, Folha de São Paulo (extraits), São Paulo
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