Interview
Alvaro Uribe, un nouveau président musclé
DE BOGOTÁ
L’une de vos propositions les plus controversées
est l’implication de 1 million
de Colombiens
dans la guerre contre la guérilla.
Ceux-ci
ne risquent-ils pas de devenir de la
chair
à canon ou des groupes incontrôlés ?
Tous les Colombiens doivent mettre en place
une véritable résistance civile, continue
et organisée, pour faire échouer les
éléments
violents. J’offrirai toutes les garanties
de sécurité pour que les gens surmontent
la peur qui souvent les empêche de
porter
plainte et, dans bien des cas, de sauver
des vies. Nous soutiendrons tous la
force
publique, fondamentalement par l’information.
Nous commencerons par 1 million
de citoyens
coopérant pacifiquement avec les forces
de
l’ordre. Sans dérive paramilitaire.
Avec
des fronts locaux de sécurité dans
les quartiers
et les commerces ; des réseaux
de vigiles
sur les routes et dans les campagnes,
tous
coordonnés par la force publique, qui,
ainsi
épaulée, sera plus efficace et fonctionnera
dans la plus grande transparence. Les
transporteurs
et les chauffeurs de taxi participeront
à
la sécurité dans les villes et sur
les routes.
Un colonel de l’armée de terre ou de
la police
sera affecté à chaque route afin d’y
assurer
la sécurité. Le lundi sera le “jour
de la
récompense”, récompense que le gouvernement
versera aux citoyens qui la semaine
précédente
auront aidé les forces de l’ordre à
éviter
un acte terroriste et à en capturer
le responsable,
à libérer un otage et à en capturer
les ravisseurs.
Que pensez-vous du fait que les paramilitaires
aient appelé à voter pour vous ?
Je n’accepte ni le veto de la guérilla ni
les soutiens paramilitaires. Nous autres,
Colombiens, devons être conscients
que le
seul droit qu’on ne pourra jamais nous
enlever
est celui de participer à la démocratie.
C’est la raison pour laquelle j’ai
invité
tous mes compatriotes à voter en conscience.
Etes-vous partisan d’une éventuelle intervention
directe des Etats-Unis dans le conflit colombien ?
Je demanderai l’extension du Plan Colombie
pour prévenir le terrorisme, les enlèvements,
les massacres, les prises de municipalités.
Nous avons besoin de nouvelles formes
de
coopération internationale contre la
violence.
Alejandro Carra, ABC (extraits), Madrid |
Des dangers des fumigations
Déverser des produits toxiques sur les cultures
illicites est nuisible pour la santé des
Colombiens et pour l’environnement, dénonce
un sociologue argentin. Et les résultats
ne sont pas au rendez-vous.
Clarín
Buenos Aires
Dans la lutte contre le trafic de drogue,
Washington justifie l’épandage d’herbicides
sur les cultures illicites en partant de
quatre postulats. Le premier est que la demande
dépend de l’offre et qu’il faut par conséquent
s’attaquer aux cultures elles-mêmes, ainsi
qu’aux centres de production, de traitement
et de trafic des stupéfiants. Le deuxième
est qu’une action punitive contre les sources
d’approvisionnement est plus efficace en
termes de résultats (objectifs et réussites)
et de moyens (soutien dans le temps et budget) :
Washington s’en sort bien mieux, donc, en
concentrant tous ses efforts sur les origines
de l’offre. Troisième postulat : les
retombées d’une éradication à plus grande
échelle des cultures illicites seront multiples
pour les pays producteurs et comprendront
la chute des prix dans les zones de production,
l’amoindrissement du pouvoir des trafiquants
et la maîtrise de la violence générée par
le narcotrafic. Quatrième postulat, les conséquences
d’une destruction massive seront de trois
types pour les pays consommateurs :
diminution de l’offre, prix plus élevés et
risque de voir arriver sur le marché des
drogues moins pures.
Voyons à présent les résultats de ce type
de politique. La Colombie a commencé à utiliser
du paraquat [herbicide hautement toxique
et persistant classé dans les RUP (usage
restreint) par les Etats-Unis] sur les cultures
illicites à la fin du mandat du président
Julio César Turbay (1978-1982). Les arrosages
se sont ensuite poursuivis à un rythme plus
soutenu, de 1982 à 1990, avec du glyphosphate
[Roundup, dont l’usage est interdit dans
la plupart des pays du monde] pour le cannabis
et du Garlon-4 pour la coca. Cette politique
a été renforcée entre 1990 et 1994,
et l’application de glyphosphate s’est étendue
au pavot. Le pays a battu tous les records
nationaux et internationaux de destruction
chimique et manuelle sous le gouvernement
du président Ernesto Samper (1994-1998) et
a employé des herbicides encore plus toxiques
comme l’Imazapyr et le Tebuthiuron. Au cours
de la seule année 1998, le gouvernement Samper,
puis celui du président Andrés Pastrana (1998-2002)
ont fait fumiger 66 083 hectares
de coca et 2 931 hectares de pavot,
et arracher manuellement 3 126 hectares
de coca, 181 hectares de pavot et 18 hectares
de cannabis. Le gouvernement Pastrana a détruit
approximativement 90 000 hectares
de coca entre 1999 et 2000. Enfin,
depuis 2000, Washington exerce une pression
sur Bogotá pour que le gouvernement se décide
à utiliser un champignon pathogène dangereux,
le Fusarium oxysporum. [On ne sait pas si le champignon respectera
les cultures vivrières et l’on ignore les
mutations génétiques qu’il pourrait provoquer
chez d’autres végétaux.]
En dépit de tous ces efforts, les effets
de la destruction chimique des cultures illicites
ont été insignifiants aussi bien en Colombie
qu’aux Etats-Unis. En 1981, il y avait en
Colombie 25 000 hectares de plantations
de cannabis et de coca. En 2001, d’après
la CIA, 120 000 hectares étaient
consacrés à la seule culture de la coca.
Alors qu’en 1990 la production colombienne
d’héroïne était insignifiante, elle représentait
63 tonnes en 1996. Aujourd’hui, le pays
a supplanté le Mexique en tant que principal
pourvoyeur d’héroïne de l’hémisphère. La
production de cocaïne, qui en 1998 avait
été de 435 tonnes, était passée à 520 tonnes
en 1999. Dans les années 80, la Colombie
avait une criminalité naissante. Aujourd’hui,
elle est confrontée à des cartels puissants,
violents et provocateurs.
En ce qui concerne la demande, la situation
aux Etats-Unis ne montre aucun progrès définitif
puisqu’il reste encore 14 millions de
consommateurs de stupéfiants. Chez les jeunes,
la consommation de cocaïne s’accroît de manière
alarmante depuis 1997 et celle de cannabis,
qui avait baissé à la fin des années 80,
a notablement augmenté entre 1992 et 1995,
et continue de croître à l’heure actuelle.
Pour finir, le nombre de personnes incarcérées
aux Etats-Unis pour des délits liés à la
drogue est le plus élevé du monde industrialisé.
En conclusion, la Colombie a déjà utilisé
sur son territoire trop de produits nocifs
pour sa population et son environnement [on
relève dans les régions fumigées à l’herbicide
un taux élevé de cancers, de maladies de
peau et de problèmes respiratoires parmi
la population, sans parler de la contamination
de l’eau et des nappes phréatiques]. Et pourtant
la demande de stupéfiants des citoyens des
Etats-Unis ne cesse de croître. Une nouvelle
éradication chimique ne représenterait qu’une
autre victoire à la Pyrrhus et n’apporterait
aucune solution au narcotrafic. La donne
reste la même : les Colombiens continuent
de payer les pots cassés de la prohibition
et l’argent que rapporte cette entreprise
lucrative continue à être blanchi, entre
autres, dans les banques des Etats-Unis,
des Caraïbes, de Suisse, de Monaco et d’Argentine.
Juan G. Tokatlian
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