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Les sales guerres de la coca
Courrier International n° 605 - 6-12 juin 2002



Interview

Alvaro Uribe, un nouveau président musclé

DE BOGOTÁ
L’une de vos propositions les plus controversées est l’implication de 1 million de Colombiens dans la guerre contre la guérilla. Ceux-ci ne risquent-ils pas de devenir de la chair à canon ou des groupes incontrôlés ?
Tous les Colombiens doivent mettre en place une véritable résistance civile, continue et organisée, pour faire échouer les éléments violents. J’offrirai toutes les garanties de sécurité pour que les gens surmontent la peur qui souvent les empêche de porter plainte et, dans bien des cas, de sauver des vies. Nous soutiendrons tous la force publique, fondamentalement par l’information. Nous commencerons par 1 million de citoyens coopérant pacifiquement avec les forces de l’ordre. Sans dérive paramilitaire. Avec des fronts locaux de sécurité dans les quartiers et les commerces ; des réseaux de vigiles sur les routes et dans les campagnes, tous coordonnés par la force publique, qui, ainsi épaulée, sera plus efficace et fonctionnera dans la plus grande transparence. Les transporteurs et les chauffeurs de taxi participeront à la sécurité dans les villes et sur les routes. Un colonel de l’armée de terre ou de la police sera affecté à chaque route afin d’y assurer la sécurité. Le lundi sera le “jour de la récompense”, récompense que le gouvernement versera aux citoyens qui la semaine précédente auront aidé les forces de l’ordre à éviter un acte terroriste et à en capturer le responsable, à libérer un otage et à en capturer les ravisseurs.

Que pensez-vous du fait que les paramilitaires aient appelé à voter pour vous ?
Je n’accepte ni le veto de la guérilla ni les soutiens paramilitaires. Nous autres, Colombiens, devons être conscients que le seul droit qu’on ne pourra jamais nous enlever est celui de participer à la démocratie. C’est la raison pour laquelle j’ai invité tous mes compatriotes à voter en conscience.

Etes-vous partisan d’une éventuelle intervention directe des Etats-Unis dans le conflit colombien ?
Je demanderai l’extension du Plan Colombie pour prévenir le terrorisme, les enlèvements, les massacres, les prises de municipalités. Nous avons besoin de nouvelles formes de coopération internationale contre la violence.

Alejandro Carra, ABC (extraits), Madrid

Des dangers des fumigations

Déverser des produits toxiques sur les cultures illicites est nuisible pour la santé des Colombiens et pour l’environnement, dénonce un sociologue argentin. Et les résultats ne sont pas au rendez-vous.

Clarín
Buenos Aires

Dans la lutte contre le trafic de drogue, Washington justifie l’épandage d’herbicides sur les cultures illicites en partant de quatre postulats. Le premier est que la demande dépend de l’offre et qu’il faut par conséquent s’attaquer aux cultures elles-mêmes, ainsi qu’aux centres de production, de traitement et de trafic des stupéfiants. Le deuxième est qu’une action punitive contre les sources d’approvisionnement est plus efficace en termes de résultats (objectifs et réussites) et de moyens (soutien dans le temps et budget) : Washington s’en sort bien mieux, donc, en concentrant tous ses efforts sur les origines de l’offre. Troisième postulat : les retombées d’une éradication à plus grande échelle des cultures illicites seront multiples pour les pays producteurs et comprendront la chute des prix dans les zones de production, l’amoindrissement du pouvoir des trafiquants et la maîtrise de la violence générée par le narcotrafic. Quatrième postulat, les conséquences d’une destruction massive seront de trois types pour les pays consommateurs : diminution de l’offre, prix plus élevés et risque de voir arriver sur le marché des drogues moins pures.

Voyons à présent les résultats de ce type de politique. La Colombie a commencé à utiliser du paraquat [herbicide hautement toxique et persistant classé dans les RUP (usage restreint) par les Etats-Unis] sur les cultures illicites à la fin du mandat du président Julio César Turbay (1978-1982). Les arrosages se sont ensuite poursuivis à un rythme plus soutenu, de 1982 à 1990, avec du glyphosphate [Roundup, dont l’usage est interdit dans la plupart des pays du monde] pour le cannabis et du Garlon-4 pour la coca. Cette politique a été renforcée entre 1990 et 1994, et l’application de glyphosphate s’est étendue au pavot. Le pays a battu tous les records nationaux et internationaux de destruction chimique et manuelle sous le gouvernement du président Ernesto Samper (1994-1998) et a employé des herbicides encore plus toxiques comme l’Imazapyr et le Tebuthiuron. Au cours de la seule année 1998, le gouvernement Samper, puis celui du président Andrés Pastrana (1998-2002) ont fait fumiger 66 083 hectares de coca et 2 931 hectares de pavot, et arracher manuellement 3 126 hectares de coca, 181 hectares de pavot et 18 hectares de cannabis. Le gouvernement Pastrana a détruit approximativement 90 000 hectares de coca entre 1999 et 2000. Enfin, depuis 2000, Washington exerce une pression sur Bogotá pour que le gouvernement se décide à utiliser un champignon pathogène dangereux, le Fusarium oxysporum. [On ne sait pas si le champignon respectera les cultures vivrières et l’on ignore les mutations génétiques qu’il pourrait provoquer chez d’autres végétaux.]

En dépit de tous ces efforts, les effets de la destruction chimique des cultures illicites ont été insignifiants aussi bien en Colombie qu’aux Etats-Unis. En 1981, il y avait en Colombie 25 000 hectares de plantations de cannabis et de coca. En 2001, d’après la CIA, 120 000 hectares étaient consacrés à la seule culture de la coca. Alors qu’en 1990 la production colombienne d’héroïne était insignifiante, elle représentait 63 tonnes en 1996. Aujourd’hui, le pays a supplanté le Mexique en tant que principal pourvoyeur d’héroïne de l’hémisphère. La production de cocaïne, qui en 1998 avait été de 435 tonnes, était passée à 520 tonnes en 1999. Dans les années 80, la Colombie avait une criminalité naissante. Aujourd’hui, elle est confrontée à des cartels puissants, violents et provocateurs.

En ce qui concerne la demande, la situation aux Etats-Unis ne montre aucun progrès définitif puisqu’il reste encore 14 millions de consommateurs de stupéfiants. Chez les jeunes, la consommation de cocaïne s’accroît de manière alarmante depuis 1997 et celle de cannabis, qui avait baissé à la fin des années 80, a notablement augmenté entre 1992 et 1995, et continue de croître à l’heure actuelle. Pour finir, le nombre de personnes incarcérées aux Etats-Unis pour des délits liés à la drogue est le plus élevé du monde industrialisé.

En conclusion, la Colombie a déjà utilisé sur son territoire trop de produits nocifs pour sa population et son environnement [on relève dans les régions fumigées à l’herbicide un taux élevé de cancers, de maladies de peau et de problèmes respiratoires parmi la population, sans parler de la contamination de l’eau et des nappes phréatiques]. Et pourtant la demande de stupéfiants des citoyens des Etats-Unis ne cesse de croître. Une nouvelle éradication chimique ne représenterait qu’une autre victoire à la Pyrrhus et n’apporterait aucune solution au narcotrafic. La donne reste la même : les Colombiens continuent de payer les pots cassés de la prohibition et l’argent que rapporte cette entreprise lucrative continue à être blanchi, entre autres, dans les banques des Etats-Unis, des Caraïbes, de Suisse, de Monaco et d’Argentine.

Juan G. Tokatlian


Culture

Un musée Botero pour oublier le narcotrafic

“Ouvre bien les yeux et regarde, fiston, c’est ce qui s’est passé de plus important dans cette ville depuis cent ans”, disait un père plein de fierté à son fils en lui montrant les sculptures de Fernando Botero qui se dressent en face du nouveau musée Botero de Medellín. Celui-ci a pu être construit grâce à une donation de plusieurs millions [de dollars] que Fernando Botero a faite à sa ville natale. “Jamais je n’aurais imaginé que je pourrais organiser cela, tout installer. C’est une merveille ! Après avoir vu ce musée et ce projet, on peut mourir tranquille”, s’exclame un Botero euphorique qui inscrit enfin son Suvre dans la ville qui l’a tant inspiré. Il y a seulement deux ans, l’artiste colombien le plus universel d’Amérique latine voyait à sa grande honte son fils aîné jeté en prison pour s’être enrichi illicitement grâce à l’argent de la drogue. Aujourd’hui, plus personne ne parle de cet épisode, et Botero est pour la Colombie davantage qu’un mécène : c’est un héros dont la générosité contribuera à effacer la mauvaise image internationale de son pays. “Nous ne voulons plus que Medellín soit la ville de la drogue, la ville de Pablo Escobar et des tueurs, mais que, partout dans le monde, elle soit synonyme d’un grand projet culturel”, déclare Fernando Botero en parcourant les salles pour choisir le meilleur endroit où accrocher ses toiles.

Si l’on additionne les donations de Medellín et de Bogotá, Botero a peut-être offert à son pays pour plus de 200 millions de dollars.

A propos des critiques qu’on lui a faites pour avoir consacré un tableau au trafiquant de drogue Pablo Escobar ou à “Tirofijo”, le chef des Forces armées révolutionnaires de Colombie [FARC], Botero répond : “Tirofijo est le guérillero le plus célèbre de Colombie. Je me suis contenté de témoigner pour l’Histoire. Et Pablo Escobar fait partie de notre folklore criminel, c’est pourquoi j’ai voulu en laisser un témoignage, célébrer le jour de sa mort.” Botero veut aider Medellín à conjurer définitivement les fantômes du passé et à retrouver sa fierté face au reste du monde.

Après avoir séjourné à Madrid, à Paris, à Florence, à New York, les “grosses” en bronze de Botero sont arrivées à Medellín. Elles trônent désormais devant le musée, sur la place des Sculptures. Comme leur créateur, elles resteront pour toujours dans la capitale de l’Antioquía.

Ana Cristina Navarro, El País, Madrid


Des adresses web

gobiernoenlinea.gov.co: le site du gouvernement colombien.

farc-ep.org: le site officiel des FARC.

narconews.com: un journal en ligne indépendant, consacré à l’actualité du narcotrafic en Amérique latine et dirigé par Alberto Giordano, ex-enquêteur du Boston Phoenix. Révélations et informations exclusives très sérieuses.

courrierinternational .com/ kiosk/ _AmSu. htm: le kiosque de CI, qui propose des liens avec les principaux sites de la presse colombienne.

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