LES CONSEQUENCES DIRECTES DU PLAN
COLOMBIE SUR LA SITUATION COLOMBIENNE:
Enjeux et intérêts pour chaque acteur
Jean-Paul Tamayo
A – PLAN
DE PAIX OU PLAN DE GUERRE ?
1. La
polarisation de la situation colombienne
Au terme d’un mandat de quatre ans, le président
Pastrana cède à Alvaro Uribe Vélez un pays où la guerre caractérise plus que
jamais les relations entre les parties en conflit. Cette guerre se développe
par ailleurs dans un contexte de radicalisation des acteurs de ce conflit, et
n’annonce à court et moyen terme aucun vainqueur. Après la rupture des
négociations en février 2002, le gouvernement abandonne l’idée de négocier avec
la guérilla « tant que celle-ci n’aura pas démontré une réelle volonté de
paix »[1].
Les nombreux pourparlers et le processus de paix avortés n’ayant pas réussi à
trouver de solution pacifiée, beaucoup de secteurs de la société colombienne
commencent à s’impatienter, et les secteurs militaristes adeptes des solutions
les plus radicales bénéficient chaque fois de plus d’attention de la part du
gouvernement national comme outre-atlantique. L’absence de l’Etat dans de
nombreuses régions du pays entraîne des difficultés pour que la loi et
l’autorité publique soient respectées, et la société colombienne, soumise a
toujours plus de violences, en arrive à partager l’idée que des alternatives de
rétablissement de l’ordre par la force et une politique de guerre totale
puissent constituer une option légitime et peut être une solution au conflit
armé. Ainsi le candidat Alvaro Uribe Vélez, avec pour slogan « main ferme
et cœur grand », prône une guerre totale aux FARC, un renforcement des
forces et du pouvoir militaires, et la création d’un réseau d’un million
d’informateurs civils, travaillant en collaboration avec les forces de l’ordre
et pouvant même être armés[2],
est celui qui remporte la victoire aux élections présidentielles du 26 mai 2002.
Interrogé sur l’ascension de la popularité du
candidat Alvaro Uribe, Francisco de Roux affirme au mois de mars 2002 (deux
mois donc avant le scrutin) : « Je
pense que c’est un fait, Alvaro Uribe va être élu à la présidence de la
République colombienne, peut être même dès le premier tour ».
Selon lui, plusieurs réalités ont rendu possible
cet événement. Tout d’abord la droite colombienne a voulu démontrer que ce qui arriverait
à la Colombie, ressemblerait beaucoup à ce qu’a vécu l’Espagne avec Franco, ou
encore le Chili avec Pinochet, c'est-à-dire l’avènement d’un pouvoir fort, avec
les idées de contrôle social, d’ordre, et de destruction de tout foyer de
mouvement insurrectionnel ou de participation libre. Ensuite ces courants ont
essayé de convaincre le plus de monde possible y compris la communauté
internationale, que ce scénario était celui qu’il fallait instaurer en
Colombie. Beaucoup de secteurs de la société étant de plus en plus propices à
ces idées, « après les évènements du
11 septembre 2001, il était très facile d’en convaincre en plus les Etats-Unis »58.
Au niveau national, la situation est telle que le peuple réagit désormais selon
la logique : « tous contre les FARC ». Certains épisodes ont mis
en scène des populations indigènes, des femmes, leur barrer la route et les
empêcher d’entrer dans des villages (ce type d’action sera développé plus loin
dans notre analyse)[3].
Les élections législatives du mois de mars 2002 manifestent en ce sens une
double réalité : quelques secteurs de la population civile croient encore
à la viabilité d’une sortie pacifique du conflit, comme le montre l’appui
considérable aux candidatures partisanes de la solution politique et négociée,
mais une percée conséquente des législateurs soutenant les solutions de force
s’est également fait ressentir. La société colombienne se polarise donc de plus
en plus. Se développe avec cette tendance, l’idée que les paramilitaires
puissent faire partie de la solution au conflit armé. Cette mouvance va même
jusqu’à se manifester dans l’élection présidentielle, puisque selon M. de Roux,
malgré l’intérêt qu’il a pu manifester pour certaines problématiques sociales
(M. de Roux travaille à Barrancabermeja, ville sous contrôle des
paramilitaires), Alvaro Uribe bénéficie du soutien des AUC, « qui ont d’ailleurs fait sa campagne
électorale dans plusieurs villages »[4].
D’un autre côté, 35 % des sièges du Congrès colombien attribués à des élus
indépendants en mars 2002, ont, selon les affirmations des AUC, exprimé leur
sympathie envers les paramilitaires[5].
Cette radicalisation de la société dans son
ensemble, peut en partie s’expliquer par l’identification d’une série de
ruptures en Colombie. D’abord le processus de paix : près de 20
ans après la première initiative de négociation du
président Belisario Betancourt, rien n’est sorti des multiples processus paix.
Et l’erreur a pu être de penser que la paix, la justice sociale, et la solution
de tous les conflits, puissent être réalisées exclusivement par ce que deux
parties, les FARC et le gouvernement, accordent entre elles : la société
colombienne ne s’est jamais préoccupée de remarquer qu’aux tables de
négociation, les seuls acteurs pris en compte étaient deux parties qui ne
peuvent à elles seules représenter les aspirations du peuple colombien de façon
entièrement légitime. Ensuite il y a également eu rupture de la viabilité des
deux partis traditionnels conservateur et libéral ; leurs programmes n’ont
plus rien à proposer, et la corruption et les pratiques clientélistes les ont
fait abdiquer. Cette rupture, avec celle du processus de paix avec les FARC (20
février 2002), constituent la toile de fond de l’avènement d’un « projet politique de droite profondément autoritaire,
[…] où s’imposent des formes de justice privées et d’autodéfense[… ] »[6].
Il y a eu rupture du modèle et de l’image de la guérilla : aujourd’hui le
pays, et les secteurs sociaux dans leur ensemble rejettent l’action armée des
insurgés, et soulignent le fait que 40 ans de lutte n’ont apporté aucun
résultat positif mais au contraire affecté principalement des civils sans
défense. « Le monde a changé et il
est aujourd’hui plus révolutionnaire de faire la paix que de faire la guerre »61;
l’absence de composant politique du mouvement guérillero ne passe plus inaperçu
de même que son langage toujours plus militariste. Enfin la société
civile a elle aussi subi quelques ruptures : elle n’a pas de
véritable capacité d’incidence ou de participation politique, elle ne s’est pas
articulée ou organisée, et elle n’a pas réussi à impulser une véritable
politique des Droits de l’Homme[7].
Les DH étaient pourtant largement évoqués dans le
corps du texte du Plan Colombie, de même que d’autres stratégies prévues pour
mener le pays vers plus de paix. Atteindre celle-ci au beau milieu d’un conflit
armé semble pour le moins contradictoire, et c’est là la majeure
difficulté qu’ont rencontré tous ceux qui ont d’une manière ou d’une autre
travaillé à la construction d’une stratégie de paix. Si celles-ci ont toujours
failli, ce peut être du en premier lieu à cette contradiction de vouloir
construire la paix sans que les parties en conflit aient au préalable accordé
un cessez-le-feu. Si on entend par la paix, l’absence d’affrontements armés, ce
qui doit être atteint est donc que les groupes armés déposent les armes, que la
guerre cesse, d’un point de vue purement militaire ; mais si on comprend
par la paix, plus de justice sociale, développer l’Etat de droit, ou équilibrer
la répartition des richesses, alors on parle d’une paix qui présente bien plus
de caractères que le militaire. Un des obstacles à la paix a pu être précisément le fait de ne pas distinguer ce
double agenda au moment d’établir des pourparlers, et « les négociations
n’ont en ce sens pas eu de cohérence, de même pour les réponses apportées ; les
militaires ne devraient par ailleurs pas être ceux qui régissent les affaires
civiles »[8].
La situation allant de pire en pire, la société colombienne, polarisée et
radicalisée, ne désigne plus que la guérilla comme unique responsable de la
violence perpétrée sur la société civile.
L’épisode de Bojayá
a été très traumatique pour le peuple colombien, et a contribué à accentuer la
perte de soutien populaire dont la guérilla a pu bénéficier
auparavant. Ferveur et enthousiasme ont donc accueilli une tendance du
gouvernement à adopter une attitude plus dure envers elle (comme nous le
verrons plus loin), dans le cadre du processus de paix. Cette attitude, au lieu
de manifester la volonté de trouver les moyens pour résoudre d’abord le
problème du processus de paix en tenant compte des facteurs que nous venons
d’évoquer, n’a fait qu’aider à ce que le conflit s’aggrave au point de voir se
rompre complètement les négociations avec les FARC, à ce que les tensions déjà
existantes se radicalisent encore plus, et à ce que les solutions adoptées pour
combattre la guérilla se militarisent davantage.
2. Les acteurs armés illégaux
a –
Violence et radicalisation
Lors de la rupture du processus de paix en février
2002, le gouvernement justifie sa décision par le manque de volonté à atteindre
la paix de la part de la guérilla, mais celle-ci tient le gouvernement pour
responsable de la fin des négociations. Deux ans durant, la zone de San Vicente del Caguan reste une zone
neutre et démilitarisée, sous contrôle des FARC. Le processus de paix
n’aboutissant à rien, et la pression montant sur le M. Pastrana, le président
annonce le 7 octobre 2001 qu’il change de façon unilatérale les garanties qui
régissent le fonctionnement de la zone[9]:
les Forces Armées colombiennes commencent à survoler le Caguan et les FARC prennent cela comme une violation du territoire.
Ils considèrent donc que le gouvernement ne tient pas ses engagements, alors
que le gouvernement, lui, reproche aux FARC de ne pas avoir arrêté la pratique
d’enlèvements, de massacres, et la violence en général. Le 9 janvier 2002, le
président Pastrana annonce à la télévision qu’il donne aux FARC 48 heures pour
abandonner les principales villes de la zone démilitarisée. Malgré cette
situation, James Lemoyne (délégué spécial auprès du secrétaire général de l’ONU
pour le processus de paix en Colombie) obtient de M. Pastrana le samedi soir 12
janvier, la possibilité d’organiser une rencontre entre les FARC et la
commission de « pays amis du processus de paix », coordonnée par
Daniel Parfait, ambassadeur de France en Colombie. Lundi 14 janvier, a moins de
cinq heures de la limite imposée par le président Pastrana (21h30 heure
locale), l’ambassadeur Parfait annonce que les FARC ont manifesté au
« groupe de pays amis » qu’ils
acceptent de
reprendre les négociations[10].
Grâce notamment au travail ardu de James Lemoyne et à cette médiation
internationale, les pourparlers sont à nouveau envisageables : le négociateur
des FARC, Raul Reyes, confirme en effet suite à la déclaration de Parfait, que
les
FARC ont exprimé leur détermination à mettre en
œuvre de façon immédiate les mesures nécessaires relatifs à un cessez-le-feu et
à l’arrêt des kidnappings[11].
La situation est toutefois assez critique en ceci que d’un côté le président a
fait preuve durant cette crise des négociations d’une force décisionnelle
encore jamais observée auparavant - dans la journée du dimanche 13 janvier,
12.000 soldats colombiens sont mobilisés autour de la zone démilitarisée et
prêts à attaquer – et de l’autre côté, les FARC ont semble-t-il tenter de
« pousser » la limite le plus loin possible en insistant pendant près
de trois mois sur leur refus des restrictions trop aiguës de la part du
gouvernement sur la zone démilitarisée ; puis les FARC cèdent le 14
janvier. Mais un peu plus d’un mois plus tard, ils enveniment définitivement la
situation en kidnappant le sénateur Jorge Gechem Turbay lors de l’épisode du 20
février (auquel nous avons déjà fait allusion plus haut).
Le thème de la zone démilitarisée en lui-même a été
l’objet de nombreuses critiques. D’abord à l’égard d’un gouvernement trop
complaisant, mais aussi à l’égard de la façon dont les FARC ont géré cette
zone. Selon le groupe insurgé, cette zone était destinée à établir le modèle
d’un nouveau pays, où l’emploi, l’éducation, la santé, et la sécurité de ses
habitants et de ses visiteurs étaient assurés. Or, le Caguan s’est avéré être une zone où les FARC ont pu établir une
base logistique et opérationnelle, pour accomplir des missions militaires et
réaliser ses entraînements, ainsi que pour détenir les kidnappés et développer
des cultures illicites, sans jamais être gênée par le gouvernement[12].
Comment juger les FARC, dans le conflit qui les
opposent au gouvernement colombien, et comment juger leur volonté à atteindre
la paix et la justice sociale, alors que leurs procédés font preuve de tant de contradictions ?
Lorsqu’il leur est demandé leur vision du conflit
armé, les FARC argumentent que le gouvernement est en grande partie responsable
du piétinement des négociations, parce qu’il n’a pas fait assez preuve d’une
réelle volonté d’atteindre la paix, parce qu’il n’a jamais mis en place de
politique permettant de mettre un terme aux inégalités économiques et sociales
dans le pays, et que de toute façon ils ne sont pas prêts de déposer les armes[13].
Ils on effet déjà tenté l’expérience en 1984, rendu les armes et créé un
mouvement politique (la Union Patriotica) :
poursuivis et traqués, plus de 2000
ex-combattants sont alors tués[14].
Cela constitue déjà à leurs yeux un argument suffisant, pour ne pas se fier à
une supposée volonté de négocier du gouvernement, et pour être plus que
réticents à l’idée de déposer les armes sans un maximum de garanties.
Ensuite, certains arguments des FARC leurs sont
rendus plus faciles à avancer du fait de la radicalisation que nous évoquions
précédemment, au sujet du climat dans lequel évolue le processus de paix. Face
à la militarisation et au durcissement croissant de l’attitude optée par le
gouvernement pour les affronter - et encore plus après la rupture du processus
de paix en février 2002 - les FARC se sont d’abord elles aussi radicalisées
dans leur position d’insurgés, notamment en durcissant leur discours. Elles ne
savent parfois plus quoi répondre après avoir épuisé un discours idéologique
dans la lignée des idées communistes qu’elles revendiquent, comme par exemple
la domination de la classe bourgeoise colombienne, sur la grande
majorité pauvre du peuple ; elles se justifient alors en mettant en
avant des propos beaucoup moins argumentées. Ainsi, lors de la fin d’un
meeting, répondaient-ils à la question : « mais que feriez-vous du pouvoir
si vous l’obteniez ? – mais de toute façon l’Etat ne nous le laissera
jamais, et c’est bien pour cela que nous ne lâcherons jamais les armes »[15].
De même lorsqu’on leur reproche les différentes
opérations militaires qu’elles ont engagées et qui ont trop souvent provoqué la
mort de civils, comme par exemple lors de l’incident de Bojayá, et qu’on leur
fait part d’une impression généralisée selon laquelle elle nereprésenterait
plus le peuple dans les intérêts duquel elle affirme lutter :
« comment peut-on affirmer une telle chose, alors que le guérillero est celui
qui se lève tous les jours à six heures du matin, qui marche toute la journée,
doit se battre et utiliser les armes, pour défendre les droits du peuple et
l’aider à le libérer de la guerre dans laquelle se trouve la Colombie ? –
mais que faites-vous de la mort de civils, de femmes et d’enfants, comme par
exemple à Bojayá ? – et bien…écoutez une guerre entraîne toujours la mort
d’innocents… »[16]. Une certaine perte de repères entre
ainsi en jeu dans la définition de ce que sont aujourd’hui les FARC. Leur nature
est devenue contradictoire et non seulement leur discours n’est plus viable au
yeux de la société colombienne et de la communauté internationale, du simple
fait de ses actes et de ses méthodes comme nous l’avons vu en première
partie, mais des changements se sont également opérés à l’intérieur même des
FARC. Une partie d’entre eux agissent encore selon les enseignements de Jacobo
Arenas (mentor de Manuel Marulanda, mort en 1987), c’est à dire selon une
idéologie qui diagnostique que ce qui aboutira en Colombie, est une situation
de polarisation de la société. Dans une logique manichéenne, les 40 millions de
colombiens se soulèveront tous contre el establecimiento, (l’Etat qui
représente les intérêts de la classe bourgeoise dominante) et ce par le biais
des armes, donc en choisissant les FARC comme représentants de leurs intérêts,
en tant que structure organisée capable de mener ce soulèvement de masse, par
les armes, donc par la guerre. Dans ce cas de figure, le peuple est celui qui
pose les conditions lorsque l’Etat négocie la sortie de la situation de guerre
vers la paix : le dialogue qui s’instaure alors, s’effectue dans le cadre
d’une situation où l’Etat, demandant l’armistice, est perçu comme le perdant de
la guerre qui l’a opposé aux FARC. Une autre partie des FARC pense que la
révolution totale n’est désormais plus possible ; que ce qui va se
développer maintenant est une guerre continue. Dans un tel contexte, sortir du
conflit veut dire négocier avec le gouvernement, et se trouver ainsi dans une position
de « demandeur » et donc d’infériorité[17].
Dans un climat comme celui-là, la guerre est de toute façon la seule option qui
reste, et les FARC sont précisément investis dans une logique essentiellement
militaire : il faut frapper et cet ennemi est représenté d’une part par
les forces armées du gouvernement, et d’autre part par les AUC. Évoluer dans
une logique militaire n’est pas la même chose qu’évoluer dans une logique de
négociations. Dans la première, déposer les armes signifie perdre l’unique moyen
de survie, perdre la guerre. Les FARC, l’ELN, ainsi que les paramilitaires
évoluent aujourd’hui dans cet état d’esprit, et les stratégies engagées dans
cette logique ne peuvent qu’avoir trop de difficultés à coexister avec celles
qui sont pensées dans le cadre d’un cessez-le-feu ou d’un processus de paix.
Une preuve de ceci peut être perçue dans le fait
que les paramilitaires n’aient jamais été invités à la table des négociations.
Et pour cause, comment inviter, et considérer comme acteur politique à part
entière un groupe qui est accusé des plus
graves violations aux Droits
de
l’Homme commis en Colombie[18].
Les dirigeants et les membres des AUC sont conscients que c’est là l’image
qu’ils véhiculent surtout au niveau international, et que déposer les armes
signifieraient pour eux la mort ou la prison. Eux aussi s’enferment donc dans
leur statut d’illégalité, et dans leur condition de belligérant. On peut même
aller jusqu’à se demander si le fait de ne pas les avoir inclus dans les
multiples processus de paix, n’a pas aidé à ce qu’ils persistent comme ils
l’ont fait dans une logique de guerre ouverte à toute personne ayant de près ou
de loin un rapport de sympathie avec les FARC. Un acteur armé qui ne se sent
pas pris en compte, a d’autant plus de raisons d’utiliser ses armes pour se
faire écouter. « Ne pas accorder de
reconnaissance à un groupe armé est très dangereux, alors que maintenir le
dialogue est important, tout en ayant au préalable été extrêmement clair quand
à sa propre position, pour ne pas
risquer de manipulation[19]
». Loin de pouvoir être considérés comme un interlocuteur
politique, les AUC restent une organisation paramilitaire et illégale, et leur
image, surtout aux yeux de la communauté internationale, celle d’un groupe de
personnes commettant les pires atrocités. En termes de Droits de l’Homme, les
AUC, l’ELN et les FARC sont les principaux responsables des violations les plus
graves en la matière. Une véritable catastrophe humanitaire se répand et
affecte chaque fois plus de secteurs sociaux et d’aires géographiques :
entre le 1er janvier et le 31 mars 2002, au moins 90.179 personnes
ont été déplacées en Colombie. Massacres, assassinats sélectifs, déplacements
massifs caractérisent ces migrations forcées. Pour la même période, 23
massacres ont été enregistrés, entraînant l’assassinat de 128 personnes :
6 cas ont été attribués aux AUC, 5 cas aux FARC, 1 cas à l’ELN, et 11 cas à des
auteurs inconnus. 42 assassinats ciblés ont donné la mort à des membres des
autorités locales, ecclésiastiques, à des leaders communautaires et à des
responsables d’organisations sociales[20].
En ce qui concerne le thème des Droits de l’Homme lié à celui des
paramilitaires, sa nature est d’autant plus polémique qu’elle met en jeu le
lien présumé que les AUC ont eu dans le passé et ont encore aujourd’hui, avec
l’armée colombienne[21].
Siège d’un village ou évacuation forcée, ces
opérations entraînent des migrations à l’intérieur même des départements, ainsi
qu’à l’extérieur des frontières colombiennes (les déplacés de Norte de Santander se dirigent surtout
vers le Vénézuela). Les armes utilisées sont aussi bien artisanales (bonbonnes
de gaz, comme à Bojayá) que de haute
technologie : ainsi le 10 mai 2002 l’armée colombienne s’est emparée d’un
campement des FARC, et y a saisi 22.000 cartouches, 11 mitrailleuses M-60 et
des mortiers de 60 mm de fabrication portugaise[22].
Ce genre d’opérations, et d’une manière générale,
les objectifs militaires et géographiques que se fixent les groupes armés illégaux, constituent une
véritable stratégie de guerre, établie pour répondre à des intérêts précis.
Chacun cherche en effet à établir un contrôle le plus étendu possible sur le
territoire colombien, en le ciblant sur des régions présentant un intérêt
économique particulier.
b – Les
intérêts stratégiques
Le pétrole est une richesse énergétique de la
Colombie qui présente un caractère stratégique pour les groupes armés. Ainsi
toute zone productrice de pétrole suscite leur intérêt, comme le Putumayo par
exemple (région qui coïncide avec celle que nous avons évoquée à propos du push into southern Colombia). Texaco Petroleum y entre en activité
dans les années 1960. L’irruption de cette entreprise pétrolière provoque un
dérèglement de l’économie locale (hausse des salaires des ouvriers, accompagnée
d’une hausse des prix et d’une baisse du pouvoir d’achat de la population) et
très vite, attirées par la dimension stratégique du site, les guérillas
s’installent dans la région profitant du vide institutionnel ou de la faiblesse
de l’Etat[23].
Dans le département d’Arauca, la compagnie Occidental Petroleum (Oxy) possède
le site d’extraction de pétrole Caño Limon qui, en 1998, produit un tiers
de l’exportation nationale (175.000 barils par jour). Les guérillas ont attaqué
ce site des centaines de fois depuis sa création dans les années 80, entraînant
un coût pour l’Etat et pour les compagnies pétrolières d’environ 1.5 milliards
de dollars. La principale responsable de ces attaques est l’ELN[24],
qui émet des communiqués publics pour justifier ses actions, en argumentant
notamment que l’Etat ne réinvestit pas les bénéfices de l’exploitation
pétrolière dans le pays. Oxy signe en 1992 un contrat avec Ecopetrol (la
compagnie nationale de pétrole) l'autorisant à exploiter pendant vingt-huit ans
la totalité d’un autre site, le « Bloc Samoré ». Il s’agit d’une aire
de 208 934 hectares, située sur les départements de Santander, Norte de
Santander et Boyaca (frontière avec le Vénézuela). Ce vaste territoire comprend
le parc naturel de la Sierra Nevada del
Cocuy et celui de Tama, qui
font partie des 25% du territoire de Samoré reconnus comme appartenant au
peuple indigène Uw’a. Celui-ci s’oppose radicalement à tout type d’exploration
et d’exploitation pétrolière sur leurs terres. Après plusieurs années de lutte,
de pression sur le gouvernement, de recours en justice, et avec le soutien de
la communauté internationale, le peuple Uw’a obtient du gouvernement la
création d’une « Réserve Unie U'wa » en août 1999. Mais un mois plus
tard, le même ministère donne à Oxy, le 21 septembre 1999, une licence
d'exploitation. En oubliant ainsi, l'article 330 de la Constitution Colombienne
qui signale que: « l'exploitation des ressources naturelles dans les
territoires indigènes se réalisera sans détériorer l'intégrité culturelle, sociale
et économique des communautés indigènes ». Pour les dirigeants d'Oxy, le
« Bloc Samoré » représente le site le plus propice à prendre la
relève de Caño Limon, menacé par les attaques des guérillas, et par les
affrontements provoqués par les actions de paramilitaires qui essaient de
reprendre à la guérilla ce territoire stratégique. Une fois la licence
d’exploitation obtenue, Oxy instaure son nouveau projet : le creusement du
puits « Gibraltar » (distant de 500 mètres avec la réserve Uw’a)[25].
L’ELN continue ses opérations en s’en prenant tant aux oléoducs qu’aux
personnes impliquées dans les activités liées à l’extraction de ce pétrole. La
présence des FARC est plus récente : elle se manifeste en mars 1999,
lorsqu’elles enlèvent et exécutent trois militants d’ONG nord-américaines.
Toute cette problématique mettant en cause l’intérêt du gouvernement colombien
et des multinationales étasuniennes, la guérilla utilise l’image d’une lutte en
défense de la cause des Uw’a pour justifier ses attaques et ses convoitises sur le « Bloc Samoré »[26].
La présence du pétrole représentant une source de
revenus, les guérillas et les paramilitaires sont présents dans les régions qui
en produisent.
Il en est de même en ce qui concerne les aires
productrices de cultures illicites. Comme nous l’avons évoqué en première
partie, les guérillas ainsi que les AUC tirent des bénéfices du commerce de la
drogue en protégeant les cultures, et en prélevant un impôt sur les
transactions qui se trouvent en début de chaîne de ce commerce. Comparons les
cartes suivantes, qui illustrent les aires enregistrant les plus grandes
cultures de pavot et de coca, et les aires de plus grande présence de groupes
armés[27]:
Les zones de production de pavot qui sont situées
dans les départements du Cesar, en Antioquia, ainsi que dans le sud du Choco,
le Valle del Cauca, le Cauca et le Huila, sont situés sur des territoires où
sont présents les trois principaux acteurs armés (FARC, ELN et paramilitaires).
L’ELN est principalement présente dans deux zones : au nord sur une
étendue de territoire qui couvre les départements de Cordoba, Sucre, Bolivar et
Norte de Santander, et
au sud-ouest dans les départements abritant les
cultures de pavot. La particularité en ce qui concerne les FARC, est que leur
zones d’influence s’étendent largement autour des aires productrices de
coca qu’elles comprennent : elles contrôlent ainsi plus de la moitié du
territoire colombien. Elles dominent toute la partie nord du pays (excepté le
nord de la côte caraïbes) jusqu’à l’est (Arauca et Vichada), et la quasi
totalité du centre de la partie sud du pays : la région la plus
productrice de coca, qui couvre les départements de Meta, Guaviare, Caqueta et
Putumayo. Le Putumayo est au début des années 80 une partie du pays très
délaissée par l’Etat. Beaucoup de régions du pays manquent de possibilités de
crédits, de routes, d’intégration aux marchés nationaux, de coûts de production
agricole trop élevés, et le Putumayo n’y échappe pas. Ces données, ajoutées à
l’arrivée de la culture de la coca à la fin des années 70, selon le phénomène
décrit en première partie de notre recherche, expliquent la présence des FARC.
3 – Le rôle du gouvernement colombien dans
la radicalisation du conflit
L’absence de l’Etat de nombreuses régions du pays
(tels que le Putumayo ou l’Arauca) ont beaucoup contribué aux différentes
problématiques que nous avons étudiées. Vient s’ajouter à cela, un manque
d’efficacité de l’Etat dans sa capacité à garantir une meilleure justice
sociale. Ceci s’explique par le fait que la classe dirigeante n’a pas voulu
appliquer les réformes sociales nécessaires lorsque celles-ci menaçaient, ne
serait-ce que partiellement, leurs intérêts. « Elle a de ce fait une grande responsabilité en matière d’inégalités,
d’exclusion et d’injustice sociale, phénomènes qui favorisent tous la violence
et la situation de guerre ».[28]
Dans cette guerre, l’opposant historique des
guérillas est représenté par l’Etat et l’instrument dont il se sert pour se
défendre : l’armée. Celle-ci a subi plusieurs défaites de le part des
guérillas. Le 30 août 1996, elles attaquent la base de Las Delicias (Caquetá), capturent 60 soldats et en tuent 27 autres.
En mars 1998, un bataillon professionnel
de contre - insurrection est quasi-anéanti, a Billar, toujours dans le Caquetá[29].
A tel point que, le 12 août 1999, M. Pastrana promulgue un nouveau code
militaire permettant de destituer les officiers de haut rang par trop
inefficaces dans la lutte contre les guérillas et les paramilitaires. Les
secteurs les plus radicaux de l’armée profitent alors de l’occasion pour
engager une épreuve de force avec le gouvernement, et faire en même temps
pression sur M. Pastrana pour qu’il change sa politique de négociation par une
attitude plus dure envers les guérillas. Le 26 mai 1999, appuyé par 18 généraux
et 200 officiers, le ministre de la Défense Rodrigo Lloreda démissionne, il
reproche au président d'être trop conciliant à l'égard des FARC, et critique en
particulier une déclaration de Victor G. Ricardo dans laquelle le Haut
Commissaire pour la Paix affirme que la zone du Caguan pourra être reconduite indéfiniment[30].
Les généraux Fernando Tapias, commandant en chef des forces militaires, et
Jorge Enrique Mora, commandant de l'armée, présentent à leur tour leur
démission, le 19 novembre suivant, mais elles seront refusées[31].
Ces évènements, loin de renforcer l’autorité de l’Etat, viennent s’ajouter au
défi et à la remise en question de sa souveraineté nationale que représente
déjà l’opposition armée de la guérilla. Les liens qui lui sont attribués avec
les paramilitaires, en font de même, tout en mettant en doute la capacité de
l’Etat à renforcer ses institutions et son autorité : les mesures adéquates
pour rompre ces liens ne sont pas prises, alors que les AUC continuent à violer
constamment les normes du Droit Humanitaire.
En revanche, pour répondre au climat de violence et
d’insécurité provoqué par l’affrontement entre les guérillas et les
paramilitaires dans les zones de production pétrolière, le gouvernement répond
par les mesures suivantes : il militarise la production du pétrole et les
oléoducs, ce qui a pour conséquence la persécution de toute personne présumée
sympathisante des guérillas ; il établit un impôt de guerre de un dollar
par baril, prélevé aux industries pétrolières étrangères ; enfin, ses
mesures entraînent le recours de la part des multinationales et des compagnies
pétrolières, à des entreprises militaires privées pour protéger leurs
investissements. Pour ce budget de protection militarisée, Occidental dépense
en 1997, plus de 20 millions de dollars : 17 millions vont à l’impôt de
guerre prélevé par l’Etat, et 3 millions vont au financement de deux nouveaux
bataillons spécialement créés à l’intérieur de l’armée colombienne pour
protéger l’oléoduc qui va de Caño-Limon jusqu’à la ville portuaire de Coveñas.
Ces facteurs provoquent une recrudescence des violations des Droits de l’Homme
dans les départements d’Arauca et Norte de Santander, où les paramilitaires
agissent de façon conjointe avec l’armée colombienne, dans le cadre de la protection
des installations pétrolières[32].
La violence est ainsi alimentée indirectement par les actions de l’Etat, qui
laisse trop facilement agir les paramilitaires, et provoque une plus grande
militarisation du conflit par la politique de durcissement de sa position
vis-à-vis de la guérilla. Malgré les différends que nous avons évoqués plus
haut entre le président et le commandement militaire colombien, l’application du Plan Colombie par le
gouvernement Pastrana, a donné satisfaction aux instances militaires qui
faisaient pression pour obtenir du gouvernement une position plus dure envers
les guérillas.
4 – L’interventionnisme militaire des
Etats-Unis
Getting
in deeper -The United States’growing involvement in Colombia’s conflict CIP, www.ciponline.org
Cette pression pour une militarisation accrue de la
politique gouvernementale contre -
insurrectionnelle, venait également de Washington, où le département de
la Défense, ou encore le Southern Command
(Commandement sud de l'armée des Etats-Unis), redoutaient de plus en plus le
danger de voir surgir un narco-Etat colombien. Mais en décidant d’apporter un
soutien massif à l’armée colombienne, à travers le Plan Colombie, les
Etats-Unis ne font que continuer d’une manière simplement plus ouverte,
l’assise militaire dont il bénéficie déjà en Colombie. Si les nouveaux
équipements (hélicoptères, armes), la création des counternarcotics battalions, ou encore la création de la brigade
marine basée à Puerto Leguizamo, sont des mesures prises récemment dans le
cadre du Plan Colombie, la carte ci-dessus illustre combien la présence
militaire des Etats-Unis dans le pays est déjà importante en 1998.
Quotidiennement, le personnel militaire nord-américain présent sur le sol colombien,
oscille entre 350 et 400 personnes, beaucoup d’entre elles étant des membres
des unités de Forces Spéciales comme les Green Berets ou bien les Navy SEALs[33].
Selon les termes du Département d’Etat, ces personnes sont des instructeurs et
des conseillers militaires, et « ils
ne participent pas aux opérations engagées contre les groupes armés ou les
trafiquants de drogue »90. La carte précédente permet
d’observer que leur présence au sol est toutefois notoire, et se caractérise
par des missions d’entraînement du personnel colombien sur tout le territoire
colombien, du département de Nariño à celui du Caqueta, et du Vichada à la
ville côtière de Cartagena au nord, et par des missions de protection
d’installations radar destinées à détecter et à surveiller toute activité liée
au trafic de drogue, ces sites étant sous la stricte juridiction des Etats-Unis[34].
Certes, les brigades entraînées par le personnel militaire étasunien restent
incorporées à l’armée colombienne, et l’Etat colombien coopère pleinement avec
cette politique, mais cette présence étrangère sur le territoire colombien
semble sur certaines questions prendre la forme d’une intervention destinée
surtout et uniquement, à combattre les guérillas, et non les cultures
illicites, pour lesquelles une des stratégies spécifiquement adoptées pour la
cause, est l’éradication par fumigations. Reste l’argument que les guérillas
sont liées directement au trafic de drogue, et qu’elles attaquent les avions
qui effectuent les fumigations, mais subsiste le doute quant au véritable
objectif de la politique d’intervention des Etats-Unis, à savoir la lute
anti-drogue ou bien une politique de contre-insurrection. Cette ambiguïté s’efface le 21 mars
2002, lorsque l’administration Bush soumet au congrès de son pays une demande
d’aide financière supplémentaire pour la Colombie. Cette aide devait être
dépensée pour l’année en cours aussitôt après approbation du congrès, mais
elle présentait la particularité de permettre l’utilisation des fonds
administrés par le département d’Etat à la police et à l’armée dans le cadre de
programmes de lutte anti-drogue, pour le support d’une campagne unifiée « contre le trafic de drogue, les activités
terroristes, et tout autre menace pour la sécurité nationale »[35].
Ce paquet d’aide constitue la première assistance militaire de grande
envergure, destinée à la Colombie dans un objectif qui ne soit pas celui de la
lutte anti-drogue. Ceci manifeste donc la volonté de franchir la « ligne
invisible » qui sépare la lutte anti-drogue de la lutte contre-insurrectionnelle,
en fournissant une aide destinée à combattre les groupes armés colombiens, que
leurs activités soient liées ou pas au trafic de drogue. Il semble ainsi que la
politique de lutte anti-drogue nord-américaine ait soit subi volontairement un
changement d’objectif et de nature pour devenir une intervention militaire de
contre insurrection, soit qu’elle ait en fait dissimulé ce véritable objectif,
et que ses préoccupations ne se limitent
pas uniquement aux cultures illicites.
B – LES INTERETS STRATEGIQUES DES ETATS-UNIS
EN COLOMBIE
1- Lutte anti-drogue ou
contre-insurrection ?
Le push into
southern Colombia, tel que nous l’avons décrit en deuxième partie, définit
une mesure, inclue dans une politique anti-drogue, mais destinée à évacuer la
guérilla des zones de production de coca, pour pouvoir effectuer les
fumigations avec le plus de sécurité possible. A partir de 1995, des programmes
de fumigations sont appliqués dans le Guaviare et le Caqueta, les deux
principales zones de production de coca à l’époque, mais les cultures s’étant
déplacées dans le Putumayo, ce département devient le centre de la culture de
coca en Colombie, avec une superficie de 55.000 hectares de coca cultivée,
selon les chiffres du gouvernement colombien : la mission d’éradication
des cultures illicites, qui subissait déjà des difficultés d’ordre sécuritaire
et militaire dans le Caqueta et le Guaviare, allait en subir encore plus dans
le Putumayo, où l’Etat et les forces armées ne s’aventurent plus depuis
longtemps du fait du contrôle presque total des zones rurales de ce département
par les FARC, bien que certaines villes, aient été reprises par les
paramilitaires, comme Puerto Asis[36].
Les Etats-Unis prennent donc conscience que la
lutte anti-drogue impliquera désormais de plus en plus la possibilité
d’affrontements directs avec la guérilla. Mais cette prise de conscience n’est
pas clairement et publiquement manifestée, et elle se traduit par la prise de
mesures discrètes et subtiles, insérées dans des programmes qui eux sont
publiquement annoncés. Le Plan Colombie fait partie de ces programmes, et si
l’on observe à nouveau la carte qui illustre l’implantation militaire des
Etats-Unis en Colombie (voir partie précédente), on remarque que c’est
précisément là où la présence militaire est la plus forte, autour de Tres
Esquinas, que l’armée colombienne a subi ses plus importantes
défaites (Patasco , Billar, Las Delicias).
L’appareil de guerre est donc renforcé, et l’aide est modifiée pour prendre un
caractère plus militaire, mais une réforme est également opérée à l’intérieur
même de l’armée colombienne - nous l’avons déjà évoquée plus haut - et c’est
dans ce cadre que le personnel du renseignement étasunien se voit par exemple à
partir de mars 1999, autorisé à partager avec l’armée et la police colombienne,
des informations concernant l’activité de la guérilla dans le sud de la
Colombie, même si celles-ci ne sont pas liées à des opérations anti-drogue.
Jusqu’alors, cette pratique était évitée par peur de la part des officiers nord-américains,
qu’au moment où ces informations étaient échangées, une tierce partie puisse
les intercepter, par exemple, des paramilitaires, qui en utilisant
l’information pourraient attaquer des populations civiles[37].
Car les paramilitaires restent dans l’esprit de beaucoup de nord-américains,
les principaux responsables des massacres, enlèvements et déplacements forcés
de population civile, et les chiffres qui illustrent ces faits, les liens avec
l’armée colombienne et l’impunité des membres ayant été impliqués dans une
telle coopération, sont des arguments qui sont avancés preuve à l’appui par
nombreuses ONGs internationales, mais aussi par certaines instances officielles
étasuniennes. Ainsi le département d’Etat rappelle dans son rapport sur les
Droits de l’Homme du 4 mars 2002, que pendant l’année 2001, « des membres de
force de l’ordre ont parfois collaboré illégalement avec les forces
paramilitaires »[38].
Le gouvernement étasunien a d’ailleurs été incapable de certifier que les
bénéficiaires de son aide remplissaient les conditions nécessaires en termes de
Droits de l’Homme, exigées par le Congrès pour l’approbation du paquet d’aide
supplémentaire 2000-2001 (le président Clinton fit alors abstraction de ces
conditions, argumentant, comme la loi le permettait, que l’intérêt de la
sécurité nationale était en jeu)[39].
L’aide américaine, malgré les réticences de l’appareil législatif, est donc
fournie, l’argent, dépensé, et les résultats de la première phase de
fumigations dans le Putumayo laissent tirer de premières conlusions. Tout
d’abord, les opérations se sont déroulées sans majeure incident : durant les
premières sept semaines de fumigation, huit avions et hélicoptères d’escorte
ont été touchés par balles provenant d’armes légères, sans provoquer de bléssés
ou de dommages matériels importants, alors que lors des fumigations effectuées
dans le Caqueta et le Guaviare pendant l’année 2000, les avions ont été touchés
56 fois. Il semble difficile de penser qu’une telle sécurité a pu être assurée
par les deux bataillons de lutte anti-drogue qui auraient été capables à eux
seuls d’évacuer une guérilla présente depuis plus de vingt ans dans la région,
habituée à affronter l’ennemi en conditions de combat irrégulier, bien armée et
connaissant bien son territoire. Les habitants de la ville de Puerto Asis et de sa périphérie rurale,
affirment que les paramilitaires ont joué un rôle primordial dans le fait que
les opérations de fumigations aient rencontré si peu de résistance de la part
de la guérilla, et que celle-ci avait été évacuée des nombreux endroits qu’elle
avait auparavant toujours dominés. Le Département d’Etat explique lui, que la
zone où s’est déroulée cette première phase de fumigations, était en grande
partie sous contrôle des paramilitaires. Il semble que cela soit vrai
aujourd’hui, mais que les paramilitaires sont en fait arrivés peu avant le mois
décembre 2000, date du début des fumigations dans le Putumayo. S’il n’y a
aucune preuve de stratégie quelconque mise au point spécifiquement pour
utiliser les paramilitaires dasn le but de faciliter les opérations de
fumigations, il est en tout cas certain qu’ils se sont chargés de créer les
conditions de sécurité necessaires à la réalisation des fumigations, ce pour
quoi le push into southern Colombia
était justement destiné[40].
Leur action a donc contribué, volontairement ou pas, aux objectifs visés par la
mission que s’étaient attribuée les Etats-Unis dans cette zone : la volonté de
combattre la guérilla, pour son rôle d’insurgée, et non pour ses liens avec le
trafic de drogue. Le paramilitarisme constitue ainsi plus que jamais un sujet
délicat à aborder : non seulement le Plan Colombie n’adopte aucune mesure
concrète pour lutter contre lui, alors que les AUC partagent au moins la même
part de responsabilité que la guérilla, en ce qui concerne la violence armée
que vit le pays, mais encore leur présence a pu s’avérer être bénéfique dans
des opérations de contre-insurrection. L’aide américaine a donc pour
bénéficiaire une armée qui a pour consigne et pour objectif, de sécuriser le
plus possible le territoire colombien, mais qui pour cela emploie des méthodes
illégales lorsque des paramilitaires sont impliqués dans les opérations de
sécurité : ce rôle des paramilitaires dans la lutte contre la guérilla,
peut expliquer pourquoi les Etats-Unis n’affichent pas une politique ouverte et
publique de contre-insurrection. Ces données, ajoutées à la peur de se
retrouver totalement impliqués dans une guerre civile en Amérique Latine,
laissent comprendre pourquoi la politique étrangère des Etats-Unis envers la
Colombie a pu être aussi ambiguë. Toutefois l’ambiguïté et le doute s’effacent
presque entièrement lorsqu’on étudie une série de documents classifiés obtenus
par le National Security Archive (NSA). Le NSA fait généralement valoir le
Freedom Information Act auprès du gouvernement et des institutions
nord-américaines, pour obtenir des documents officiels. 70 documents concernant
la Colombie sont ainsi rendus publics le 3 mai 2002, et montrent que si le
Congrès avait pendant 15 ans insisté sur la nécessité que l’assistance
sécuritaire étasunienne envers la Colombie se limite à l’effort anti-drogue,
notamment pour des questions relatives aux Droits de l’Homme, aujourd’hui
l’administration Bush avait raison de cette tradition (comme l’a fait M.
Clinton pour pouvoir lancer la contribution étasunienne au Plan Colombie) et
que l’aide apportée à la Colombie avait déjà effacé la ligne qui séparait
l’action anti-drogue de la contre-insurrection[41].
Ainsi le Plan Colombie, et la pression exercée par
les milieux les plus radicalisés à l’intérieur des diverses parties impliquées,
peuvent donc être clairement perçus comme l’entrée de fait des Etats-Unis dans
cette guerre, ainsi que dans le jeu d’intérêts et la logique d’action
propre au conflit armé qui oppose l’armée colombienne et la guérilla.
Considérer la politique extérieure des Etats-Unis
comme une politique contre-insurrectionnelle, change nettement la vision qu’on
peut avoir du conflit colombien.
2 – Les
intérêts cachés
a – L’aspect géostratégique et régional du conflit
colombien
La
Colombie occupe une place géographique stratégiquement importante au sein du
continent sud-américain. Elle possède en effet des frontières avec des pays qui
présentent tous un intérêt pour les Etats-Unis, qui, s’ils se sont
assurés un contrôle militaire important en Colombie, en ont fait de même dans le
voisinage immédiat du pays,
et le reste de la région Amérique Latine/Caraïbes.
Just the Facts 2001-2002, CIP, www.ciponline.org
Rappelons que le Plan Colombie est le nom
communément donné au paquet d’aide approuvé par le congrès américain et signé
par le président Clinton, en juillet 2000, et qu’à l’occasion de cette aide
anti-drogue, la somme de 1.3 milliard de dollars a été attribuée à la Colombie
et à ses pays voisins, pour l’exercice 2001-2002. L’Initiative Régionale
Andine, programme de plus grande envergure, répond à la même nature, et vise à
prolonger cette aide pour les pays voisins de la Colombie, en augmentant
l’assistance à la police et à l’armée de ces pays. Une baisse qualitative de
cette aide pour la Colombie - qui
s’explique notamment par l’absence dans le nouveau paquet 2002, d’hélicoptères
à coûts élevés qui avaient fait monter de 350 millions de dollars, le montant
du paquet 2001-2002 - permettra ainsi d’augmenter l’aide militaire accordée aux
cinq pays frontaliers de la Colombie plus la Bolivie, pour l’exercice
2002[42].
Les Forward Operating Locations
(FOL), comme on peut en observer l’illustration ci-dessus (document n°2) sont
des accords qui permettent aux avions nord-américains d’utiliser certaines
bases aériennes. Ainsi, la base de Manta en Equateur, permet une surveillance effective sur le Putumayo
colombien ainsi que sur les activités liées au trafic de drogue au Pérou et en
Bolivie. Une importante aide anti-drogue
sera également fournie à la garde nationale vénézuélienne ; à la police et
à l’armée boliviennes, notamment dans la région du Chapare, région productrice
de coca ; à la police brésilienne,
qui recevra une assistance pour la mise en place d’un programme de trois ans
destiné à renforcer sa frontière avec la Colombie ; aux forces armées de police, maritimes et
aériennes du Panama, pour défendre également la frontière avec la Colombie.
Tous ces pays ont pu d’une manière ou d’une autre, voir d’un bon œil une
assistance militaire de la part des Etats-Unis, par peur de voir le conflit
colombien pénétrer leur territoire.
Une vision globale du positionnement étasunien dans
la région (document n°2 ci-dessus) montre combien une telle concentration
militaire étasunienne, fait bénéficier les Etats-Unis d’une assise militaire
plus que confortable, dans une zone qui s’étend entre le nord du continent
sud-américain (la Bolivie et les six pays frontaliers du pays se trouvant
au centre stratégique de cette zone, la
Colombie) et les caraïbes. Cette militarisation au nom de la lutte anti-drogue,
peut traduire pour Washington plusieurs préoccupations.
D’abord au Vénézuéla, les relations avec le
président Hugo Chávez ont été controversées. Celui-ci s’est d’abord révélé être
contre tout impérialisme étasunien, et a ainsi
lors de son arrivée, annoncé être sympathique au mouvement des FARC,
dans leurs discours contre l’intervention des Etats-Unis en Colombie. Ainsi le gouvernement vénézuélien interdit
par exemple l’utilisation de son espace aérien pour les opérations de
surveillance anti-drogue étasuniennes, et rompt, en août 2001, un accord de 50
ans qui permettait aux forces armées nord-américaines d’utiliser la base
militaire de Fuerte Tiuna à Caracas.
A cette occasion, le ministre vénézuélien de la défense José Vicente Rangel,
qualifia cet accord de « pièce de musée de la guerre froide ». Par la
suite, les débordements du conflit colombien à la frontière vénézuélienne, ont
pu convaincre Hugo Chavez qu’il était nécessaire de se protéger des effets de
ce conflit (notamment des déplacement de populations qui se réfugient au
Vénézuéla) dans lequel les FARC présentaient de plus en plus une responsabilité
importante. De plus, le pays
souffre d’une crise économique qui dure depuis
plusieurs années, et tant l’instabilité économique, que l’attrait que peuvent
représenter les cultures illicites dans les régions frontalières entre les deux
pays, sont des raisons suffisantes faire de l’assistance anti-drogue
étasunienne, une aide précieuse. Les Etats-Unis ont
ainsi réussi à rétablir des liens favorables
avec un gouvernement qui au départ leur était
plutôt hostile.
Au Panama,
le canal é été rendu le 31 décembre 1999 ; or deux tiers des
navires proviennent
ou se dirigent vers des ports étasuniens. La
sécurité du canal est donc toujours de l’intérêt des Etats-Unis, et le Panama
possède une armée trop faible et incapable de contrer toute tentative
d’incursion paramilitaire ou de la guérilla. L’aide anti-drogue est donc plus
que justifiée.
L’Equateur
et le Pérou, présentent également des facteurs qui traduisent une instabilité
économique et politique importantes.
Quant au Brésil, il représente aux yeux des Etats-Unis
la puissance la plus importante dans cette région du continent sud-américain.
Dans cette optique, toute approche du conflit colombien, exprimée par le
Brésil, aura tendance à être suivie par ses voisins, ce qui constitue un bon
argument pour que les Etats-Unis soient en bons termes avec ce pays, et pour
qu’ils puissent aussi y développer une influence militaire[43] :
le budget 2002 demandait une aide pour l’armée et la police au Brésil s’élevant
à 16.31 millions de dollars, alors qu’en 2000-2001, cette aide s’élevait à
seulement à une moyenne de 3.68 millions (document n°1 ci-dessus).
L’Initiative Régionale Andine et le Plan Colombie,
analysées d’un point de vue géographique et militaire, laissent imaginer
plusieurs hypothèses, en ce qui concerne les intérêts réels des Etats-Unis à
vouloir installer une telle emprise sur la région.
b - Une politique de «guerre globale»
On peut reconnaître dans l’Initiative Régionale
Andine, et dans le Plan Colombie, une certaine tradition nord-américaine à
opérer selon une politique étrangère bien précise. Celle-ci répond à une
stratégie de guerre globale.
Si la drogue a pu être vue par certains analystes
comme un prétexte pour intervenir en
Colombie[44],
et si l’argument d’un débordement frontalier et d’un souci de maintien de
l’équilibre politique régional, a pu aussi justifier l’interventionnisme des
Etats-Unis, les attentats du 11 septembre 2001, portant atteinte à
l’intégralité du territoire nord-américain et à sa sécurité nationale, ont
terminé de donner raison à la volonté de soutenir tout effort de guerre en
Colombie. Le Département d’Etat ayant désigné les FARC, l’ELN et les AUC sur la
liste des terroristes internationaux, il devient plus que nécessaire de les
combattre et donc d’intervenir en Colombie en appuyant toute initiative de
guerre contre ceux qui menacent l’ordre et l’autorité d’un Etat
démocratiquement élu. Plus qu’établir une liste de terroristes internationaux,
le Département d’Etat a radicalisé encore plus l’approche qu’il avait du
conflit colombien, comme c’est le cas d’ailleurs des autres conflits dans le
monde où les Etats-Unis sont d’une
manière ou d’une autre impliqués.
La guerre contre le terrorisme étant devenue
mondiale, ils appuient partout où cela est nécessaire, la partie d’un conflit
subissant la menace de ceux qui répondent aux critères définissant la notion de
terrorisme. Dans le conflit colombien, les FARC et l’ELN, étant des guérillas,
elles constituent les groupes identifiés clairement comme des terroristes, dans
la mesure où leurs actions et leur discours sont expressément dirigés contre
l’autorité de l’Etat. En ce qui concerne les paramilitaires, et même s’ils sont
tenus pour responsables de nombreux massacres et d’attaques aux populations
civiles, ils gardent tout de même un rôle qui - malgré ses méthodes illégales –
contribue finalement à lutter concrètement contre la guérilla, souvent dans des
zones reculées où l’Etat et l’armée régulière n’osent plus s’aventurer. A
partir du moment où ils combattent les guérillas, leur cause va d’une certaine
manière dans le même sens et le même objectif que la lutte contre
insurrectionnelle menée par les Etats-Unis. Encore une fois, fournir une aide
militaire à l’armée colombienne, sachant que des liens entre elle et les
paramilitaires ont été établis, et que de tels liens sont de plus rappelés par
le législatif étasunien lorsque les paquets d’aide militaire sont proposés,
traduit une ambiguïté qui ne peut s’expliquer que par des motivations à
intervenir dans un pays étranger, qui ne correspondent pas à ce qui est exprimé
publiquement. Même si les AUC sont inclues dans la liste de terroristes
internationaux, elles se réclament elles-même d'une vocation antiterroriste, de
par leur engagement à combattre les guérillas, tout en admettant qu'elles ont
des pratiques terroristes et des activités liées au trafic de drogue. Mais,
elles sont aussi conscientes de l’importance du rôle qu’elles ont dans le
conflit colombien : dans une sorte de lettre ouverte aux Etats-Unis, publiée le
15 février 2002, M.Castaño écrit, « il
faut bien savoir choisir ses alliés dans la lutte antiterroriste, et l'armée
colombienne sans les paramilitaires ne peut pas remporter la victoire sur les
FARC ; les Etats-Unis ont eu recours à des troupes irrégulières,
l'alliance du Nord, pour venir à bout des Talibans. En Colombie, ce sont les
AUC qui sont faites pour éradiquer les terroristes tandis que les forces armées
régulières se chargent de remettre en place, par leur présence, la souveraineté
de l'Etat »[45].
Même si une telle stratégie n’est évidemment pas
affichée publiquement, elle s’est effectivement répétée à plusieurs reprises
dans différentes parties du monde, d’où son caractère global. Ainsi Alain Joxe,
directeur du CIRPES[46],
compare même le conflit colombien, au conflit israélo-palestinien : si les
deux processus de paix se sont rompus à quelques semaines d’intervalle, c’est
qu’ils ont été gérés avec la même méthode. Les Etats-Unis ont choisi dans les
deux cas, d’appuyer les parties les plus radicalement partisanes de la guerre,
qui se sont avérées avoir des liens directs ou indirects avec une forme de
paramilitarisme101.
En remontant plus loin dans le temps, on peut
identifier une telle manière d’appliquer la politique extérieure étasunienne
pendant les périodes de la guerre froide et de l’après guerre froide. La guerre contre le communisme était aussi
une guerre globale, menée sur tous les fronts où il se déclarait, et où il
menaçait la politique et les intérêts des Etats-Unis (Vietnam, Corée, « baie
des cochons » à Cuba). Or, le personnel qui compose l’exécutif nord-américain,
dont les principales agences sont le Département d’Etat, le Département de la
Défense, le Conseil de Sécurité Nationale, et le bureau du chef de la lutte
anti-drogue (« Drug Czar »),
compte parmi ses membres des personnalités réputées adeptes d’une telle
politique étrangère des Etats-Unis. Par exemple, lorsque Georges W. Bush arrive
au pouvoir, il nomme John Maisto, chef du National
Security Council : M. Maisto était chargé d’affaires au Panama pendant
l’incursion militaire des Etats-Unis en 1989 qui fit tomber le général Manuel
Noriega[47].
De même, le Drug Czar en 1999, Barry
Mc Caffrey, est qualifié par le NACLA de « soldat habitué à combattre les
guérillas marxistes depuis le Vietnam »[48].
La stratégie de guerre globale des Etats-Unis s’est
appliquée ainsi non seulement dans l’espace et le temps, mais encore avec une
même caractéristique qui se retrouve aussi dans le cas colombien. Elle a pour
habitude de mener militairement cette guerre « de l’intérieur », c’est
à dire en intervenant indirectement dans le pays concerné par le biais de
groupes armés issus d’un conflit lui-même. Au Salvador, en 1980, la stratégie
contre-insurrectionnelle des Etats-Unis consiste à soutenir l’action des
« escadrons de la mort » : ces groupes paramilitaires, alliés
aux forces de l’ordre du gouvernement pour éviter que ne s’organise
l’opposition, se livrent à des actes terroristes « planifiés par des
militaires de haut rang »[49].
De même dans les années cinquante, le secrétaire d’Etat John Foster Dulles
affirme que pour maintenir la puissance nord-américaine dans le Pacifique, il
est nécessaire de « laisser que les Asiatiques se battent contre les
Asiatiques »[50].
Minimiser les risques, et ne pas intervenir directement, surtout après l’épisode
traumatique du Vietnam, rappelle dans le cas colombien, que pour assurer la
maintenance et l'appui nécessaire aux vols d'éradication de la coca, les
Etats-Unis ont recours à la firme privée de défense DynCorp, et à ses employés
sous contrat privé (ironiquement d'anciens pilotes du Vietnam). Cette pratique
porte le nom d'« Outsourcing »,
et correspond à une véritable politique de privatisation de la guerre[51].
Celle-ci s’illustre aussi par l’attitude adoptée
par les entreprises pétrolières pour protéger leurs installations, les firmes
telles que Occidental Petroleum, ou British Petroleum (BP), prévoient dans
leurs budgets des fonds pour assurer leur sécurité : en 1996, BP signe un
accord sur trois ans d’un montant de 60 millions de dollars, avec le Ministère
de la Défense colombien,
destiné à créer un bataillon de 150 officiers et
500 soldats pour protéger un oléoduc[52].
De même, le gouvernement nord-américain propose pour 2002 un supplément d’aide,
par le biais des fonds du FMF (Foreign
Military Financing), d’un montant de 6 millions de dollars pour commencer
l’entraînement d’unités militaires chargées de protéger l’oléoduc Caño
Limón-Coveñas, des attaques des FARC et l’ELN. L’administration nord-américaine
prévoit même pour 2003, 98 millions de dollars de plus, en utilisant encore les
fonds du FMF en assistance militaire, incluant hélicoptères, entraînement et
équipement pour la 18ème brigade de l’armée colombienne, basée dans le
département d’Arauca[53].
Cette « guerre privatisée » mettant ici
en jeu le rôle du pétrole, il ne semble pas impossible que la stratégie
étasunienne inclue également comme partie intégrante de ses objectifs, des
intérêts purement économiques, liés toujours à l’action subversive qui
s’effectue sur les mêmes zones abritant d’importantes ressources économiques.
Le CIRPES reconnaît dans la stratégie
transfrontalière des Etats-Unis et dans l’application du Plan Colombie, une volonté d’exercer une emprise stratégique
sur l’Amazonie, perçue comme une sorte de « Méditerranée terrestre »
qui pourrait devenir l’espace naturel d’articulation de ses ambitions
économiques sur toute la région, y compris le cône sud[54].
Le pétrole ou encore la richesse écologique
amazonienne, peuvent ainsi constituer des intérêts économiques qui viennent
s’ajouter de façon complémentaire à une volonté de maintenir un contrôle
militaire et une hégémonie géostratégique sur la région.
c – Les intérêts économiques
Les multinationales
implantées en Colombie sont principalement liées aux marchés
énergétiques : gaz, électricité, eau, pétrole. La « privatisation de
la guerre », mettant en jeu le rôle des paramilitaires, et leur présence
dans une région coïncidant avec la présence de production énergétique, une
militarisation accrue est plus que bénéfique pour les intérêts économiques de
ces entreprises étrangères. Les régions sous emprise paramilitaire
correspondent entre autres aux régions
du Choco, d'Antioquia, et d'Urabá, à la frontière du Panamá. Zone bananière,
l'Urabá est également une zone d'exploitation pétrolière où agissent compagnies
américaines et britanniques. Elle recèle d'importantes réserves de gaz et suit
le tracé d’un projet de canal interocéanique qui pourrait doubler celui de
Panamá. Dans l'est de l'Antioquia, ce sont de grands projets hydroélectriques
et touristiques qui sont à la base des déplacements forcés de paysans. Le
Putumayo, où les paramilitaires ne sont, comme nous l’avons vu, que récemment
présents, est une région traversée par d'importants fleuves qui seraient inclus
dans un mégaprojet d'interconnection fluviale de l'Amérique du Sud. La
frontière avec l’Equateur représente, elle, la porte d'entrée de l'Amazonie et
de sa biodiversité. Enfin le pétrole, peut constituer un des intérêts
stratégiques les plus importants en Colombie. Les
Etats-Unis importent aujourd’hui plus de pétrole de Colombie, du Vénézuéla et
d’Equateur, que de tous les pays du golfe persique réunis.
Inquiétés par une consommation de pétrole nationale prévue à la hausse (25%)
pour les vingt prochaines années, et soucieux de ne pas dépendre uniquement de
leurs importations provenant du Moyen Orient, les Etats-Unis portent un grand
intérêt au pétrole colombien. Les réserves colombiennes connues jusqu’à ce
jour, représentent un total de 2.6 milliards de barils (quantité presque aussi
important que chez les principaux pays producteurs de pétrole). Mais seulement
20 % du potentiel des réserves terrestres a été exploré à cause de la violence
et du conflit armé. Le principal investisseur étranger en Colombie, le
consortium anglo-étasunien BP Amoco, contrôle la plus grande réserve de pétrole
colombienne, la station Cusiana-Cupiagua (département de Casanare), d’où sont
tirés quelque 1.5 milliard de barils. Oxy contrôle la station de Caño Limón, et
y produit un peu plus de 1 milliard de barils[55].
D’autres compagnies pétrolières ont investi en Colombie, comme Shell, Elf
Aquitaine, ou Exxon. Plusieurs de ces entreprises, soucieuses de protéger leurs
investissements, soutiennent la volonté des Etats-Unis d’assister militairement
la Colombie. L’aspect régional du conflit inquiète également les intérêts
économiques étasuniens liés au pétrole : les FARC et ELN, fortement présents
dans le département d’Arauca, menacent l’entreprise Petroleos de Venezuela (PDVSA), appartenant au gouvernement
vénézuélien. 3ème fournisseur de pétrole des Etats-Unis et unique
membre de l’OPEC de l’hémisphère occidental, le Vénézuéla possède en réserve 77
milliards de barils. La réticence du président Chávez à privatiser PDVSA, et le
fait qu’il ait convaincu les membres de l’OPEC de réduire la production,
fragilisent aussi la fiabilité du lien qui assure aux Etats-Unis un
approvisionnement en pétrole
vénézuélien, sans compter que M. Chávez a été le premier mandataire
démocratiquement élu, depuis le guerre du Golfe, à avoir rendu visite à Saddam Hussein.
Les effets du conflit colombien affectent aussi l’autre fournisseur de pétrole
de la région : l’Equateur. En face du Putumayo, la ville de Lago Agrio produit du pétrole
équatorien, et se trouve affectée par l’influence des FARC[56].
Le pétrole colombien présente donc un intérêt très important dans une région
qui constitue pour les Etats-Unis, le 2ème fournisseur de pétrole du
monde.
Enfin, les principales dispositions du Plan
Colombie, son aspect trop militaire et ses conséquences tant sur le conflit en
lui-même, que sur les populations colombiennes et voisines, ont suscité bien
avant l’entrée en vigueur du Plan, de fortes oppositions de la société civile
colombienne et internationale.
C. LES
OPPOSANTS AU PLAN COLOMBIE
1 – Les
« mauvaises » stratégies du Plan
a – La drogue au centre des problèmes
Un des principaux axes sur lequel se base le Plan
Colombie pour remédier aux problèmes de la situation colombienne, est, nous
l’avons vu, la lutte contre le trafic de drogue.
L’intervention des Etats-Unis dans ce domaine, est
d’abord critiquée par le simple fait de ne s’attaquer à ce problème qu’à
l’étranger, au lieu de commencer par le faire au niveau national. En 1995, une
étude de la Rand Corporation établit que 23 dollars dépensés en éradication et
en lutte anti-drogue à l’étranger, sont aussi effectifs qu’un seul dollar
dépensé pour des programmes de réhabilitation de consommateurs de drogue aux
Etats-Unis ; sous le gouvernement Clinton, les financements de traitements
de réhabilitation ont augmenté de 41%, alors que les financements de programmes
d’éradication à l’étranger ont augmenté de 175%. La situation est telle qu’un
consommateur désirant intégrer un de ces programmes doit se mettre sur liste
d’attente[57].
Ensuite, il est reproché au Plan d’appliquer la même méthode pour lutter contre
toutes les violences présentes dans le pays (violence « commune »,
violence économique et sociale, violence dérivée du conflit armé, de la lutte
contre - insurrectionnelle, ou de la lutte anti-drogue), à savoir la lutte
anti-drogue. Or, la drogue ne constitue finalement pas à elle seule l’origine
première du conflit colombien, mais plutôt un facteur du conflit parmi d’autres. En traitant le thème des FARC
et celui de la drogue de façon conjointe, le Plan Colombie permet aux
Etats-Unis d’intervenir facilement en Colombie[58].
Les stratégies centrées sur la lutte anti-drogue laissent, enfin, transparaître
un manque d’effectivité des composants socio-économiques du Plan : ni les
réformes judiciaires, ni celles relatives aux Droits de l’Homme, n’ont été
appliquées. Les paysans ayant signé des « pactes sociaux » et accepté
d’abandonner progressivement les cultures illicites pour d’autres légales,
n’ont pas bénéficié des aides sociales et des programmes de développement
alternatif comme le prévoyait le Plan. La politique de fumigations n’aide
finalement qu’à ce que les cultures se déplacent d’une zone à une autre, en
laissant derrière elles, des paysans appauvris, et un environnement endommagé[59].
Avant même de nuire à l’environnement,
l’éradication forcée de cultures illicites part d’un mauvais principe : en
s’attaquant à l’offre et à la production, la demande et la consommation de
drogue sont supposées baisser. Les résultats montrent pourtant que la production
au lieu de baisser, évolue, s’adapte et se déplace, et que donc la demande ne régresse pas. L’utilisation depuis
maintenant 25 ans du modèle d’éradication forcée par fumigations, n’a réussi à
enrayer l’augmentation des surfaces dédiées aux cultures illicites (de 40.000 à
100.000 entre 1992 et 1998)[60],
ni avant le Plan Colombie ni après : le rapport annuel de la CIA sur la
production de coca en Colombie, annonce en mars 2002, que malgré les
fumigations effectuées sur une surface totale de 200.000 hectares pour l’année
2001, les cultures ont augmenté[61].
Plusieurs ONGs internationales ont de plus prouvé que des effets secondaires
s’étaient manifestés chez les habitants des zones ayant subi les fumigations.
Le Round-Up Ultra semble avoir provoqué des troubles de l’appareil digestif,
des troubles respiratoires, des allérgies, ou encore des irritations de la peau
et des yeux, en Colombie mais aussi en Equateur ; dans le même temps,
lorsque des programmes sont prévus pour remplacer les cultures illicites par
d’autres légales, le gouvernement ne donne aux paysans qu’une période de temps
trop court. Si la coca peut être cultivée en quelques mois, les autres cultures
ont parfois besoin de plus d’un an avant de pouvoir être récoltées : le paysan
qui a donc choisi de passer à une culture licite, doit attendre une période
prolongée pendant laquelle il ne pourra
compter sur aucun revenus[62].
b – Contre la stratégie de guerre
La lutte anti-drogue se traduisant, via le Plan
Colombie, par une militarisation accrue des solutions adoptées pour combattre
les guérillas, beaucoup voient dans l’application du Plan un moyen trop dangereux d’enfoncer la
Colombie dans une guerre prolongée. D’abord, dans le cadre de la lutte
antiterroriste, les groupes armés illégaux colombiens désignés comme
terroristes internationaux sur la liste du Département d’Etat, sont clairement
identifiés, même par certaines ONGs aux
Etats-Unis, comme des armées plus que comme des cellules terroristes : les combattre au nom de
l’anti-terrorisme nécessiterait un énorme effort militaire de
contre-insurrection. Or, certains secteurs de la société étasunienne ne
manquent pas de remarquer que la Colombie est 53 fois plus grande que le
Salvador, et que si à l’époque de l’intervention américaine au Salvador, ce pays
recevait 1million de dollar par jour en aide militaire, le Plan Colombie permet
déjà que la Colombie en reçoive environ 2.5 millions par jour pour la période
2001-2002[63].
La guerre coûte donc beaucoup d’argent et beaucoup de vies humaines, et « une campagne de contre-insurrection en
Colombie était une mauvaise idée avant le 11 septembre, et le reste aujourd’hui »[64].
Certains journaux étasuniens n’hésitent pas même à afficher leur opposition au
Plan Colombie, qui « ne reflète ni
une stratégie réaliste pour combattre les drogues illicites, ni une approche
effective de long terme pour établir la paix et la stabilité », pour
le New York Times en février 2000 ; un article du Chicago Tribune publié
quelques jours avant, juge qu’ « avant de s’impliquer dans le chaos
colombien, Washington devrait se pencher sur ce qui le nourrit en premier
lieu : la demande insatiable en Amérique de drogues illicites, et un
système qui les criminalise et fait que leur production et leur distribution
soient immensément profitables »[65].
Malgré ces mises en garde, tout se passe, aux yeux
de certains critiques, comme si l’administration étasunienne avait connaissance
de ces risques, mais qu’elle était prête à les prendre, et que la lutte
anti-insurrectionnelle était donc prévue bien avant la proposition d’aide
militaire du 21 mars 2002[66]
qui supposait une première dans une telle attitude, qu’« il n’y a jamais
eu de possibilité de séparer la lutte contre la drogue, de celle contre la
guérilla et [que] l’administration [étasunienne] le sait très bien »[67].
Le coût humain du conflit colombien se mesure
enfin, pour beaucoup d’acteurs critiques du Plan Colombie, par l’ampleur des
violations des Droits de l’Homme (DH), des déplacements forcés de population,
par un nombre toujours trop important de civils en tant que premières victimes
du conflit armé, et par le déséquilibre existant entre l’argent dépensé pour le
financement de la guerre, et celui dépensé pour en réparer les effets sur les
populations civiles. Les stratégies annoncées ne correspondent pas à la réalité
qui a été appliquée : une fois de plus elles sont essentiellement liées au
trafic de drogue, plus qu’à une réforme judiciaire ou à la protection des DH.
Des mesures nécessaires auraient été par exemple de donner un statut de crime à
la disparition forcée, de lutter concrètement contre l’impunité, et de
démontrer un réel engagement à appliquer les recommandations internationales en
termes de DH, et ceci malgré l’existence d’un bureau du Haut Commissariat des
Nations Unies pour les DH à Bogota[68].
On rappellera ici, le chiffre de 90.179 personnes déplacées en Colombie entre
le 1er janvier et le 31 mars 2002, suite à des massacres, des
assassinats sélectifs, et des déplacements massifs, « composants d’une véritable stratégie de guerre de la part des acteurs
armés illégaux »[69].
2 –
L’organisation de la société civile
Une série d’alternatives contraires à
l’utilisation des armes et à la militarisation
des solutions adoptées dans le cadre du processusde paix, se manifeste
au travers de diverses actions menées par la société civile colombienne, par
des organisations sociales ou de confession religieuse. Indépendamment de leur
nature, elles présentent toutes la particularité d’employer des méthodes non
armées, pour négocier, s’organiser et survivre, au milieu du conflit armé.
La création du réseau Pueblos Hermanos - Lazos
Visibles (Peuples Frères – Liens visibles) à Medellin, Colombie en 1999, répond
à une tendance où la société civile se développe de plus en plus en tant
qu’acteur politique, notamment grâce au travail d’ONG de Droits de l’Homme, de
mouvements sociaux, et à diverses initiatives de paix. Dans les campagnes, les
petits villages, les villes comme Medellin, Barrancabermeja, ou Cali, les
institutions travaillant sur les Droits de l’Homme et leurs membres
s’organisent pour être mieux protégés, et leur organisation en réseau cherche à
édifier un espace où elles puissent être solidaires entre elles, autonomes
quant à leur action et leur façon de penser le conflit, et où elles puissent de
façon démocratique inclure les propositions de tous les secteurs de la société
civile pour la recherche des solutions au conflit. Concrètement l’Hermanamiento consiste à ce que
s’allient entre elles des organisations nationales, mais aussi des ONG colombiennes
avec des ONG internationales. Un tel réseau permet par ailleurs de faire
connaître à la communauté internationale, la vision différente et les
propositions de la société civile pour la résolution du conflit[70].
De la même façon, en 1996 est lancée l’initiative
de l’Assemblée Permanente de la Société Civile, en tant que réaction de la
société civile au conflit, avec entre autres l’idée d’un positionnement par
rapport au processus de paix, d’arriver à une solution politique négociée, et
d’un rôle actif à jouer de la part de la communauté internationale. Ses deux
premières plénières, à Bogota et à Cali, en 1998 et 1999 réunissent 5000
personnes à chaque fois, et elle mobilise avec d’autres organisations sociales
plus de 12 millions de personnes à travers le pays, lors de manifestations
contre la violence et la poursuite de la guerre[71].
Ces initiatives manifestent encore plus leur
volonté de considérer le processus de paix avec les acteurs armés illégaux,
sous un angle différent de celui de la guerre, lorsque des civils vivant dans
des zones en conflit et sous contrôle d’un acteur armé, s’organisent pour gérer
leur propre vision d’un processus de paix. C’est ce qui est ressorti de
plusieurs témoignages recueillis lors d’un congrès national de la société civile
colombienne, les 7, 8 et 9 mai 2002 à Bogota (le CNPP)[72].
Par exemple, le témoignage du mouvement des alcaldes del oriente antioqueño,
regroupant plusieurs maires de municipalités se trouvant dans l’est du
département d’Antioquia. L’ensemble de ces maires et du mouvement représente
une population d’environ un million d’habitants, dans une région économiquement
forte, notamment par sa production agricole, et donc terrain d’affrontement
privilégié des acteurs armés. Face à l’augmentation des conflits dans la région
– 220 assassinats pour 100.000 habitants – et décidés à ne pas suivre la
consigne du gouvernement national – qui est, suite à la rupture du processus de
paix en février 2002, de ne pas négocier avec la guérilla - ces maires
développent de façon conjointe et coordonnée avec des membres du gouvernement
du département, et diverses organisations sociales, des négociations et des
pourparlers avec la guérilla (FARC et ELN) comme avec les paramilitaires (AUC).
Ces pratiques ont été mises en place depuis septembre 2001, et elles se sont
avérées fructueuses : l’intensité du conflit a effectivement baissé. Les
négociations avec l’ELN fonctionnent un peu mieux qu’avec les FARC, mais les
deux guérillas négocient. Lorsqu’on interroge un de ces maires, il affirme que
« les colombiens ne veulent pas la guerre contrairement à ce que les
médias voudraient faire croire »[73].
Un autre témoignage qui reflète une méthode pacifique pour affronter les groupes armés illégaux, est le Mouvement fédératif de femmes colombiennes (Mujeres de Paz, Redepaz, Organización Femenina Popular). Représentantes de nombreuses régions du pays, Bolívar, Cauca, est d‘Antioquia (oriente Antioqueño), entre autres, elles ont tenu plusieurs réunions préparatoires avant le congrès et ont abouti à un constat d’ignorance sur les pressions subies par les femmes à cause du conflit armé. Dans la région de production de café par exemple (eje cafetero), la violence est liée d’abord à l’intérêt que portent les acteurs armés à toute région économiquement forte, mais aussi à la condition féminine en elle-même : en plus du conflit armé, beaucoup les femmes subissent une violence interne au foyer (conjugale, enfants battus). Elles dénoncent en plus d’un manque de protection de la part de l’Etat, une forte corruption, dans les projets de reconstruction établis après les tremblements de terres et les éruptions volcaniques subis dans cette région, et des situations où les acteurs armés contraignent les femmes, par la force, à la prostitution, et les enfants par la force également, à s’engager au combat. Malgré toutes ces violences, ces femmes ont choisi la résistance civile pacifique, pour manifester leur opposition à la militarisation du conflit : lorsque des groupes armés veulent s’attaquer à leurs villages, elles font barrage et ne leur permettent pas de pénétrer leurs terres. Ces femmes lancent un appel à la communauté internationale, pour un soutien à leurs propositions pacifiques, et prônent comme unique solution au conflit armé, une sortie politique et négociée[74].
[1] El Tiempo, 20/02/01
[2] programme de la campagne
présidentielle 2002 du candidat Alvaro Uribe Vélez, Elecciones presidenciales, www.semana.com
[3] intervention de Francisco
de Roux, colloque «Une paix est-elle possible en Colombie ?»,
Assemblée Nationale, Paris, le 21/03/02
[4] entretien avec le père
jésuite Francisco de Roux, directeur du Programme de Développement et Paix du
Magdalena Medio, et du laboratoire de paix de l’Union Européenne, le 13/03/02
[5] Discours de Mary Robinson,
responsable du Haut Commissariat pour les Droits de l’Homme, Genève, 18/04/02
[6] intervention de Jorge
Rojas, colloque à l’Assemblée Nationale, 21/03/02
[7] Rupturas y crisis, Jorge Rojas, intervention écrite envoyée à
France Libertés, 28/03/02
[8] intervention de Jaime
Zuluaga, colloque à l’Assemblée Nationale, 21/03/02
[9] Key dates in Colombia's
peace talks , The Associated Press, 11/0102, www.nizkor.org
[10] El Tiempo, 15/01/02
[11] Rencontre extra-officielle
entre Mme Mitterrand et l’ambassadeur français à Bogota, M. Daniel Parfait,
11/05/02
[12] Les stratégies des
guérillas et leur discours, cour pays, séminaire de Sophie Daviaud, IHEAL,
14/11/01
[13] Conférence-débat sur le
Plan Colombie autour de deux invités colombiens : un étudiant de
l’Université Nationale de Bogota et un représentant des FARC pour la communauté
internationale, Université de Stockholm, Suède, avril 2001
[14] Cours Violencia y proceso de paz, professeur invité Jaime Zuluaga, IHEAL,
Paris, 02/04/02
[15] Idem 13
[16] Intervention d’un
représentant des FARC pour la communauté internationale, Université de
Stockholm, Suède, avril 2001
[17] Entretien avec le père
jésuite Francisco de Roux, directeur du Programme de Développement et Paix du
Magdalena Medio, et du laboratoire de paix de l’Union Européenne, le 13/03/02
[18] Discours de Mary Robinson,
devant la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies, 58ème cession,
Genève, 18 avril 2002
[19] Entretien avec le père
jésuite Francisco de Roux, directeur du Programme de Développement et Paix du
Magdalena Medio, et du laboratoire de paix de l’Union Européenne, le 13/03/02
[20] Boletín de la Consultoría
para los Derechos Humanos y el Desplazamiento, Bogotá, Número 41, 09/05/02, www.codhes.org.co
[21] point développé plus loin
dans la partie « l’Etat et l’armée »
[22] Revue de presse, Ambassade
de France en Colombie, le Premier Secrétaire, 10/05/02
[23] Résister à la mort ou lutter pour la vie, Guillaume Fontaine, DEA,
IHEAL, 1999
[24] Colombia and oil, article extrait de Blood of our Mother, p.11, revue étasunienne, 1998
[25] Droits des peuples et exploitation pétrolière, article extrait de
Tegantai No. 14, pulication http://www.oilwatch.org.ec/
[26] mission d’expertise sur le
conflit du bloc Samoré réalisée par l’OEA, 1998, in Résister à la mort ou lutter
pour la vie, Guillaume Fontaine, DEA, IHEAL, 1999
[27] cartes extraites de The Colombian dilemma, février 2000,
CIP, www.ciponline.org
[28] intervention de Jaime
Zuluaga, colloque «Une paix est-elle possible
en Colombie ?», Assemblée Nationale, Paris, le 21/03/02
[29] Getting in deeper, Colombia Project, www.ciponline.org
[30] Bilan du processus de paix, cours pays, séminaire de Sophie
Daviaud, IHEAL, 28/11/01
[31] Plan Colombie, passeport pour la guerre, août 2000, Maurice Lemoine,
dossier sur la Colombie, www.lemonde-diplomatique.fr
[32] Occidental and the
Colombian military- Blood of our Mother, p.12,
revue étasunienne, 1998
[33] Getting in deeper,
the United
States’ growing involvement in Colombia’s conflict, Adam Isacson,
February 2000, Colombia
Project, www.ciponline.org
[34] The United States and Colombia, State
Department Washington File, www.usia.gov/regional/ar/colombia/
[35] Plan Colombie, passeport
pour la guerre, août 2000, Maurice Lemoine, dossier sur la Colombie, www.lemonde-diplomatique.fr
[36] Colombia’s coca capital -
Plan Colombia’s "Ground Zero", Adam Isacson and Ingrid Vaicius, April
2001, Colombia Project, www.ciponline.org
[37] Intelligence-sharing - Getting in
deeper, Adam Isacson, February 2000, Colombia Project, www.ciponline.org
[38] Colombia - Country Reports on
Human Rights Practices, U.S. Department of State,
march 2002, http://www.state.gov/g/drl/rls/hrrpt/2001/wha/8326.htm
[39] Testimony of Adam Isacson,
CIP, Subcommittee on the Western Hemisphere, House International Relations
Committee, 11/04/02
[40] Fumigation and the U.S. aid package, Plan Colombia’s "Ground Zero",
Adam Isacson and Ingrid Vaicius, April 2001, Colombia Project, www.ciponline.org
[41] Guerrillas, Drugs and Human Rights in U.S.-Colombia Policy, 1988-2002,
NSA, www.gwu.edu/~nsarchiv/NSAEBB/NSAEBB69
[42] Just the Facts 2001-2002 -
A Quick Tour of U.S. Defense and SecurityRelations With Latin America and the
Caribbean, 25/09/01, CIP, Washington D.C., www.ciponline.org
[43] Beyond drugs : U.S.interests in the Andean Region, CIP’s
Getting in deeper, www.ciponline.org
[44] Le « prétexte » de la drogue - Plan Colombie, passeport pour la guerre,
Maurice Lemoine août 2000, www.lemonde-diplomatique.fr
[45] Colombie et Palestine : du peace making au war
keeping, Alain Joxe, in Le Débat Stratégique nº60 ,Janvier 2002
[46] CIRPES : Centre
Interdisciplinaire de Recherches sur la Paix et d’Etudes Stratégiques, Paris
[47] Oil Rigged, Thad Dunning and Leslie Wirpsa,
February 2001, www.americas.org
[48] U.S. Colombia policy : a willful myopia,
Frank Smyth, NACLA (North American Congress on Latin America) Report on the
Americas, Vol.23, N°2, septembre/octobre 1999
[49] affirmation Thomas Enders
devant la Commission de Relations Extérieures du Sénat, le 2 février 1983 - De la guerra sucia a la contrainsurgencia, Daniel
Siegel et Joy Hackel, in Contrainsurgencia,
proinsurgencia y antiterrorismo en los 80, p.150, ediciones Grijalbo,
Mexico, 1988
[50] Los costos y peligros de
la intervencion, Richard J. Barnet in Contrainsurgencia, proinsurgencia y
antiterrorismo en los 80, p.267, ediciones Grijalbo, Mexico, 1988
[51] Le Monde diplomatique, articles de Maurice Lemoine, dossier
sur la Colombie, www.lemonde-diplomatique.fr
[52] Colombia and oil,
article extrait de Blood of our Mother,
p.10, revue étasunienne, 1998
[53] estimony of
Adam Isacson, CIP, Subcommittee on the
[54] Groupe de Sociologie de la
Défense/CIRPES (EHESS), programme de recherche Observatoire comparatiste des zones de conflit, Alain Joxe, Elie
Kheir, Paris, 2000-2001
[55] Le Monde diplomatique, articles de Maurice Lemoine, dossier
sur la Colombie, www.lemonde-diplomatique.fr
[56] Oil Rigged - There’s something slippery about the U.S. drug war in
Colombia February 2001, Thad Dunning and Leslie Wirpsa,
www.americas.org
[57] Why we oppose the Andean Regional
Initiative, www.ciponline.org
[58] Les obstacles à la paix, Jaime Zuluaga, colloque « Une paix
est-elle possible en Colombie?», Assemblée Nationale, Paris, le
21/03/02
[59] Statement
of
[60] The Anti-Narcotic Strategy - Plan Colombia: A Strategy Without A
Solution, Brussels, February 2000,
OIDHACO, www.nizkor.org
[61] US: Results of Drug Spraying Unclear, George
Gedda, Associated Press Writer, mars 2002, www.nizkor.org
[62] Report from CIP’s trip to Putumayo, Colombia, March 9-12, 2001, www.ciponline.org
; Reporte de
investigacion sobre los impactos de las fumigaciones en la frontera
ecuatoriana, Accion Ecologica, juin 2001
[63] Getting in deeper, www.ciponline.org
[64] Statement
of
[65] Plan Colombia : the debate in
congress, 2000, www.ciponline.org
[66] voir note 35
[67] Colombia : a questionable choice of objectives,
Mark Falcoff, American Enterprise Institute,
mars 2002, http://www.aei.org/lao/laofront.htm
[68] Judicial
system, human rights and human rights protection - Plan
[69] Boletín de la Consultoría para los Derechos Humanos y el Desplazamiento,
Bogotá, Número 41, 09/05/02, www.codhes.org.co,
[70] projet Lazos visibles,
France Libertés, mars 2002
[71] rencontre avec une
dirigeante de la Asamblea Permanente de
la Sociedad Civil, réseau national d’organisations sociales, déplacement en
Colombie du 7 au 19 mai, stage à France Libertés
[72] CNPP
« Congreso Nacional Paz y Pais
», Hotel Tequendama, Bogota, 9-11/05/02
[73] rencontre avec William
Ospina Naranjo, maire de la municipalité de Sansón, département d’Antioquia,
CNPP, Bogota, 10/05/02, déplacement en Colombie, stage à France Libertés
[74] Rencontre entre Mme
Mitterrand et le Mouvement fédératif de femmes colombiennes (Mujeres de Paz, Redepaz, Organización
Femenina Popular), CNPP, Bogota, 08/05/02, déplacement en Colombie, stage à
France Libertés
Home
•
Iniciativas
•
Ponencias •
Documentos •
Mama Coca
©2003 Mama Coca.
Please share this information and help us to
circulate it quoting Mama Coca.