ACTEURS CRIMINELS ET DÉVELOPPEMENT DE SUBSTITUTION :
MÉTHODOLOGIE ET PROBLÉMATIQUE


Jean Rivelois
Chercheur IRD

 

Si toutes les activités criminelles sont illégales, tous les illégalismes ne sont pas criminels et certains peuvent même être légitimes ; telle est la base de la distinction entre délinquance criminelle liée aux trafics en bande organisée et délinquance financière liée au blanchiment. Aujourd-hui, la drogue comme support d’une activité illégale (de production, de transformation, de trafic, de blanchiment-recyclage ou de consommation) existe dans la plupart des pays du monde ; par ailleurs, si la drogue n'est pas le seul support des activités illégales (proxénétisme, contrebande, trafics divers d'œuvres d'art, d'êtres humains, d'armes...), ses enjeux politiques et économiques ainsi que son impact social en font l'une des grandes questions de notre temps. Ces banalités n'en débouchent pas moins sur la définition d'un objet pertinent d'étude scientifique car elles posent le problème du rapport entre le centre et la marge des systèmes politiques. Dit autrement, les activités criminelles liées à la drogue ne se développent pas dans tous les pays de la même manière car certains systèmes politiques sont plus perméables que d'autres à la tolérance de l'illégalité ; de plus, les acteurs de la marge peuvent infléchir, différemment selon les pays, l'orientation des systèmes politiques et économiques. Peuvent-ils acquérir une légitimité politique lorsqu’ils impulsent un développement local de substitution ?

Contrairement à une interprétation dualiste de la réalité, nous nous demanderons si ceux-là même qui défendent les valeurs de la légalité n'entretiennent pas des liens de connivence avec certains acteurs contrôlant les activités souterraines illégales, offrant la possibilité à ces derniers d'interférer sur les systèmes politiques, économiques et sociaux jusqu'à contribuer à les transformer ou à les déstabiliser. Il conviendra d'entendre ce terme de connivence dans sa triple acception de proximité, de complicité et de simultanéité, en prenant soin de distinguer chacune d'entre elle afin de ne pas confondre la concomitance de deux phénomènes avec un lien de cause à effet. Cependant, la proximité territoriale, même si elle n'implique pas une complicité, n'en est pas moins révélatrice de certaines affinités que nous tâcherons de cerner, en croisant les réseaux d'acteurs, les alliances d'Etats et les routes des trafics. En effet, les différents acteurs ne sont pas par hasard proches les uns des autres au même moment ; pour comprendre de telles liaisons, il devient nécessaire de construire un schéma explicatif plus proche de la complexité du réel[1] et qui, parce qu'il serait fondé sur l'observation et l'analyse des différents modes d'interactions entre la marge et le centre des systèmes politiques, permettrait de comprendre et de critiquer le dynamisme "fonctionnel" que la marge peut insuffler aux systèmes politiques au sein des Etats clientélistes réels. Dès lors, le clientélisme dEtat sera perçu, non pas en noyant le problème des relations marges-centre dans une mondialisation désincarnée, mais en faisant un retour à l'ancrage local ou national de ces relations ; c’est ainsi que l’orientation des Etats clientélistes pourrait devenir plus ou moins prévisible, compte tenu de la définition que les acteurs se donnent de l'ennemi intérieur ou extérieur, et de la nécessité, pour eux, d'opérer des alliances (entre le centre et la marge) afin de diminuer les tensions contraires à la reproduction ou à l'extension de leur pouvoir.

La frontière entre le légal et l'illégal reste donc floue dans un système où le respect total et systématique des lois est impossible et où les individus qui accordent les transgressions ou en profitent sont toujours habillés de leur statut de représentant de classe (pouvoir politique ou pouvoir économique). En effet, si le contrôle étatique est exercé concrètement par l'administration publique, celle-ci devient le lieu d'un dédoublement entre une dimension purement institutionnelle de "service public" et une dimension sociologique d’acteurs où les fonctionnaires agissent sous l'emprise de déterminations individuelles, leurs institutions d'appartenance étant mises au service d'un enrichissement personnel complètement illégal. Le problème est donc de savoir d’abord ce qui, dans un temps et sur un territoire donné, peut ou non être toléré en matière de transgression des lois afin d’assurer les objectifs de légitimation et de reproduction des pouvoirs, et, ensuite, de qui vient cette tolérance et qui en bénéficie, afin de cerner les acteurs dominants et leurs stratégies d’alliances entre amis ou de confrontation avec leurs ennemis. Finalement, l'établissement de la norme ne passe-t-il pas par la transgression tolérée de celle-ci et, si tel est le cas, jusqu'où est-il possible de transgresser tout en ne déstabilisant pas le système global (niveaux social, politique, institutionnel et économique insérés dans le légal et l'illégal) ?  Et si celui-ci est déstabilisé par le crime, vers quel nouvel équilibre tendra-t-il ? Peut-on ainsi imaginer que ces activités illégales débouchent sur un développement de substitution à l’intérieur des territoires qui abritent production illicites ou trafics, surtout lorsqu’il s’agit d’espaces appartenant à des régions perdantes, c’est-à-dire enclavées géographiquement ou ayant décroché de la croissance économique ? Pour tenter de répondre à cette dernière question, nous définirons le développement de substitution comme un développement qui échappe en partie à la légalité, éloigne les sociétés de l’instauration d’un Etat de droit, complémente ou remplace les politiques de développement (notamment à travers l’usage de la corruption), concerne les sociétés (rurales, urbaines et régionales), implique des pouvoirs politiques constitués et alimente les économies du Sud comme du Nord (à travers le blanchiment des bénéfices de la corruption et des activités criminelles). Dans ce cas, les cultures illégales de drogue contribuent-elles à réduire la pauvreté ou reproduisent-elles des inégalités préexistantes ainsi que des rapports de domination préexistants (entre élites locales et groupes dominés) ?

 

I. Corruption, développement du crime et clientélisme

Il faut tout d’abord distinguer le clientélisme social du clientélisme politique. La relation de clientèle, en tant qu’échange social, est de caractère communautaire et interpersonnel ; elle structure les relations sociales dans des sociétés souvent pré-démocratiques à dominante rurale et se fonde sur la domination exercée par certaines élites locales (chef de clan, patron, cacique, guide spirituel, mafieux) sur leurs clientèles qu’elles sont tenues d’entretenir en ayant recours à un système de faveurs et protection contre allégeance[2]. Le clientélisme politique surgirait de l’articulation de ces réseaux de clientèle (constitués à partir d’un échange social) à la vie politique et de leur instrumentalisation par les acteurs politiques. Le clientélisme politique sera ici défini comme structure permanente de pouvoir, originaire de rapports interpersonnels de soumission, rapports non contractuels mais normés par la confiance, plus ou moins consentis et fondés sur l'association protection-violence/corruption.

La compatibilité entre clientélisme social et clientélisme politique est rendue évidente à travers la permanence de la relation de don dans le clientélisme politique contemporain. En effet, le don, comme structure sociale, implique toujours une réciprocité (retour du don vers le donateur) ainsi qu’une confirmation de hiérarchies sociales préexistantes et de rapports de domination (inter-personnels) ou de puissance (inter-nationaux) lorsque, dans ce dernier cas, le don fonde la dépendance entre pays industrialisés et pays en développement. Avant d’être interdit (à partir de la Réforme protestante, remise en question des échanges entre vivants et morts, entre clerc et laïcs et entre Dieu et les hommes aboutissant à l’abandon des indulgences catholiques et à la reconnaissance de la gratuité du salut) ou sécularisé (relégation du don dans la sphère temporelle de la vie privée ou de la corruption publique), le don a d’abord surgi des grandes religions monothéistes : si tout est don de Dieu, cela nous contraint à multiplier les présents, les offrandes et les bienfaits vis-à-vis de nos semblables à travers les gages en nature, les petites gratifications données aux serviteurs ou aux plus puissants, les cadeaux, les aumônes (charité chrétienne ou zadkat islamique), les offrandes aux morts, les héritages... La plupart du temps, le don au plus faible signifie la subordination du bénéficiaire du don en échange de la protection accordée par le donateur au bénéficiaire du don, tandis que le don au plus puissant (Dieu ou roi, notables, seigneurs, mafieux, c’est-à-dire hommes de pouvoir ou d’influence) signifie la subordination du donateur en échange de la protection accordée par le bénéficiaire du don au donateur[3] ; donc, le don, en même temps qu’il marque une hiérarchie, implique une dette paternaliste informelle de protection. Telle est la raison pour laquelle la remise en question par Marx des hiérarchies sociales de production consistera d’abord à rendre évidents les rapports de subordination et d’exploitation qui sous-tendent le don, en supprimant l’informalité de la dette paternaliste à travers la généralisation du salariat ; de cette manière, le don n’apparaîtrait plus comme une faveur inter-personnelle, mais comme un échange inégal justifiant la lutte des classes. Mais, déjà, depuis le XVIe siècle, les progrès de l’économie monétaire, l’accélération des échanges marchands et l’accroissement des inégalités sociales avaient commencé à entamer la suprématie du don dans les échanges sociaux[4], avant que le Droit, à partir de la Révolution de 1789, se substitue progressivement aux anciens rapports basés sur les faveurs informelles, le problème étant que le Droit n’est toujours pas parvenu à remplacer entièrement et universelle­ment, dans les relations inter-personnelles, intra-nationales ou inter-nationales, les anciennes relations fondées sur le don et la faveur. C’est ainsi qu’on pourrait également reconnaître au don, en même temps qu’une fonction de reproduction des inégalités (à travers l’héritage, notamment), une autre fonction de renforcement de la concorde sociale (‘amitié, la générosité entre voisins). En fait, que ce soit d’une manière légale ou illégale, le don, comme structure sociale, semble subsister dans toutes les sociétés contemporaines ; en effet, on peut également voir dans les services publics (éducation, santé, science donnée gratuitement) une forme de sécularisation légale du don (adéquation du Droit et du don contre la faveur), dont le revers apparaît dans la corruption illégale (adéquation de la faveur et du don contre le Droit), c’est à-dire à travers la pénétration du don dans la chose publique et les rouages de l’Etat afin, par exemple, d’accélérer le cours de la justice ou de faciliter l’obtention de marchés publics au bénéfice d’entrepreneurs privés contre cadeaux prodigués par ces derniers aux fonctionnaires publics ou aux détenteurs du pouvoir politique (corruption politico-administrative).

Pour éclairer la manière dont les organisations criminelles utilisent le clientélisme, nous privilégierons comme première caractéristique du clientélisme politique la protection accordée à des tiers par les agents politico-administratifs, ces derniers étant ainsi amenés à déroger à l'application des lois produites par eux-mêmes ; cette protection est accordée contre corruption. Pour qu’il y ait corruption, il faut donc : 1) que soit opérée une interférence entre le public et le privé, et 2) que la corruption elle-même soit perçue comme telle, c’est-à-dire qu’elle soit nommée et prohibée par des normes (lois). Ainsi, dans les Etats bureaucratiques ou libéraux, on parlera de corruption liée au clientélisme politique lorsque la relation sociale (privée ou communautaire à l’origine de solidarités familiales, ethniques, régionales, confessionnelles) de clientèle déborde sur le domaine public, c’est-à-dire sur la sphère politico-administrative, aboutissant à du favoritisme, à de l’abus de bien social, à des détournements de finances publiques, à des trucages de marchés publics...

Une deuxième caractéristique du clientélisme politique à être ici prise en compte sera l'usage de la violence, légitime ou non et qui peut être utilisée soit systématiquement, soit en dernier recours, soit comme menace symbolique, dans un cadre conjoncturel où la soumission implique qu'aucun des protagonistes (partenaires) ne peut trahir les autres et se passer d’eux, d’où leur interdépendance qui caractérise la dialectique du maître et de l’esclave (l’esclave est autant esclave de son maître que le maître est esclave de son esclave). Ainsi, dans l'Etat clientéliste paternaliste, l'exploitation de la main-d'œuvre s'opère à partir de l'endettement des personnes ou de l’oppression exercée par des milices privées ; cette relation s'oppose à la relation capital-travail qui s'impose dans l'Etat clientéliste bureaucratique et se fonde, ainsi que l'a spécifié Marx, sur l'achat et la vente libres d'une force de travail qui n'excluent pas non plus les infractions tolérées (contre corruption des agents administratifs qui laissent faire) à la législation du travail.

Une troisième caractéristique majeure du clientélisme politique sera de lier l'exercice du pouvoir à l'influence, c'est-à-dire à des relations personnelles informelles qui mêlent l'amitié et l'intérêt, l'entreprise et l'Etat ; cela est manifeste, par exemple, à travers le clientélisme électoral associé aux groupes de pression et au système des dépouilles (lobbying, bossing, spoil system)[5].  De fait, si la corruption politico-administrative se développe sur le terreau du clientélisme social, elle permet également au clientélisme politique de se reproduire ; en effet, pour se protéger contre la répression de l’Etat, les différents contractants doivent construire des chaînes d’échange sociaux qui constituent de véritables réseaux occultes[6], comme c’est le cas des réseaux mafieux qui sont des réseaux particuliers de clientèle mêlant le recours à la force et la logique de l’échange social. Ce type de réseaux mafieux peut même aller jusqu’à prédominer sur les liens sociaux qui étaient à la base du clientélisme social ou jusqu’à remettre en cause les fondements de l’Etat en corrompant les institutions répressives (armée, police) ; dans ce cas, on pourrait conclure que la corruption, alliée à l’influence et à la violence, constitue un facteur de sous-développement. Il faudra donc s’interroger pour savoir sur quelle solidarités sont constitués ces réseaux d’influence.

Finalement, on retiendra surtout que la relation clientéliste aboutit à l'institutionnalisation d'une relation entre un maître et ses subordonnés, le premier pouvant être qualifié de maître de clientèle et les autres d’obligés de  celui-ci. Transposée au niveau des Etats contemporains, on reconnaîtra, à la suite de Weber, que la relation clientéliste aboutit à pervertir l'administration, ce qui est manifeste dans le clientélisme administratif qui nie le citoyen en le soumettant au régime des faveurs et au racket continuel des agents de l'administration (extorsion), ou dans le clientélisme politico-administratif qui lie, au sein de transactions fondées sur des relations corruptives, les détenteurs du pouvoir politique et ceux qui disposent du pouvoir économique ; dans tous les cas, la relation entre maître et subordonné est faussée par des alliances d'intérêts entre sphères publique et privée qui s'opèrent au préjudice de l'Etat de droit. Certains analystes structuralistes iront jusqu’à soutenir que le clientélisme politique, fondé sur des réseaux relationnels légaux ou illégaux, fait partie intégrante du mode de fonctionnement de certains Etats[7]. Quoi qu’il en soit, une distinction théorique semble prévaloir : alors que l’Etat légal-rationnel wébérien ou post-wébérien se caractériserait par l’institutionnalisation (les relations impersonnelles se substituant aux relations interpersonnelles à travers la médiation institution­nelle), l’Etat où domine le clientélisme politique reposerait sur la patrimonialisation ; on parlera ainsi, avec J.-F. Médard, d’Etat néo-patrimonial lorsque le clientélisme politique est non seulement parvenu à instrumentaliser le clientélisme social, mais qu’il structure l’Etat lui-même. Cet Etat néo-patrimonial est régulé par une redistribution légitimatrice impliquant que les dirigeants (patrons pratiquant le patronage, c’est-à-dire contrôlant un pouvoir économique local, légal ou illégal) doivent réinvestir une partie de l’argent qu’ils accumulent dans l’entretien de leurs parentèles et de leurs clientèles sociales et politiques[8]. On aboutit ainsi à une association entre les pratiques clientélaires et la corruption économique, les acteurs politiques étant intégrés, par la corruption, à l’intérieur de la sphère économique contrôlée par des patrons qui pratiquent l’illégalité ; dans ce cas, les acteurs politiques se retrouvent dominés par des acteurs économiques et, lorsque ces derniers sont des acteurs économiques criminels, on se trouverait face à une structure mafieuse. Mais, dans la réalité, les types d’Etat légal-rationnel et néo-patrimonial se combinent à des degrés divers, ce qui implique qu’il soit nécessaire d’opérer des différenciations, Etat par Etat, afin de comprendre comment s’associent les réseaux relationnels légaux et illégaux.

 

II. Méthode d’analyse

Comment s’effectue le passage entre une corruption intra-systémique opérée par des acteurs institutionnels (politiques, administratifs ou économiques) dans le but d’utiliser les ressources de l’Etat pour contourner ou transgresser la loi, et une corruption extra-systémique permettant à des acteurs criminels de nouer des liens avec les acteurs institutionnels et, éventuellement, de s’intégrer aux systèmes politique et économique ? Pour répondre à cette question, on aura recours à un corpus théorique fondé sur l’analyse des interactions, c’est-à-dire sur une approche abordant les différents systèmes (politique, économique et social) à partir des interactions nouées de part et d’autre de leurs marges internes et externes, celles-ci étant présupposées complémentaires les unes des autres en raison de leur ancrage dans un système clientéliste global. Les interactions étant produites par des acteurs, nous sommes donc amenés préalablement à caractériser ces derniers. En référence à Marx et à Touraine[9], nous définirons un acteur comme un groupe collectif dont les membres sont liés par des valeurs (idéologie, représentation du monde) et des pratiques (tactiques, stratégies, luttes, alliances) communes constituant leur conscience de classe, et unis au sein d’une organisation (parti, Etat, syndicat, association, mouvement religieux) afin de développer des actions orientées vers une fin politique soit de conservation d’un système de domination (pour les classes dirigeantes), soit de transformation (renversement ou réforme) de celui-ci (pour les classes dominées). Nous prendrons en considération trois principaux rapports politiques et géopolitiques : 1) les rapports de pouvoir sont à la base des hiérarchies sociales et politiques développées dans la relation entre acteurs de l’Etat (gouvernement, institutions administratives) et acteurs de la société civile (par exemple, entrepreneurs, banquiers, ONG, mouvements religieux, groupes criminels) ; 2) les rapports de domination concernent les relations entre membres d’un même groupe dominant ou dominé, appartenant aux sphères d’organisation de l’Etat ou de la société civile ; et 3) les rapports de puissance s’appliquent aux relations internationales entre Etats-nations, ces derniers pouvant dès lors être caractérisés comme des acteurs collectifs. Cependant, la sociologie a montré que les classes ne sont pas homogènes et que les pratiques des acteurs peuvent être contradictoi­res par rapport à leur classe d’appartenance ; comme exemples de cas où les intérêts des acteurs ne coïncident pas avec les intérêts de leur classe, on pourrait citer les classes moyennes dominées faisant le jeu des classes dominantes, ou les acteurs institutionnels de l’Etat dominant les acteurs sociaux, mais étant simultanément dominés et appauvris au sein de l’organisation étatique, ou les entrepreneurs appartenant à la sphère de la société civile et pouvant dominer (par l’influence ou la corruption) les acteurs dominants de l’Etat, ou les groupes criminels dominés, alliés aux groupes politico-institutionnels afin de renforcer la domination de ces derniers. D’où l’utilité de travailler sur les acteurs plutôt que sur les classes, afin de prendre en compte la complexité de ces dernières. Enfin, en privilégiant la relation acteurs-territoires, nous considérerons, à l’inverse de la théorie marxiste, que les rapports économiques de production (à la base de la formation des classes) sont dérivés des rapports politiques.

Pour étudier les interactions, nous utiliserons d’abord la méthode de socio-typologie dacteurs, qui sera basée sur : 1) l’analyse des systèmes politiques et le recensement des différentes interactions (collusions et connivences) qui contribuent à en assurer le fonctionne­ment, 2) la description des stratégies concrètes de transgression-contournement de la légalité adoptées par les différents acteurs (institutionnels, organisationnels ou criminels) dans leurs pratiques quotidiennes (accumulation ou redistribution de richesses, recherche de légitimité sociale ou politique, conquête de marchés et de territoires, création de routes de trafics ou de contrebande...) et orientées vers la conquête d’une puissance, dun pouvoir ou d’une domination, et 3) la caractérisation des différents acteurs en croisant les interactions qu’ils cultivent entre niveaux : a) territoriaux (local, régional, national et transnational), b) privé / public et c) légal / illégal. Les objectifs seront 1) de comprendre les causes et conséquences, en termes de reproduction-changement des systèmes, des différentes interactions qui fondent non seulement les rapports locaux entre les acteurs, mais également les relations intra-internationales ainsi que les modes de développement, et 2) de cerner les moyens utilisés à cette fin (la guerre, la violence institutionnelle ou organisée, l’influence, la corruption, la duplicité, le mensonge, la conclusion de pactes secrets reposant sur la confiance et générant ou non de la trahison...) qui produisent du lien politique, de la confusion entre le privé et le public ainsi que de l’exclusion sociale et territoriale.

En complément, dans le sillage de Durkheim et de Weber, nous fonderons notre méthode de socio-typologie d’acteurs sur la comparaison, cette dernière pouvant même être identifiée, selon ces auteurs, à la sociologie ; mais nous référerons plutôt notre méthode comparative au structuralisme développé par Bourdieu[10]. La méthode comparative utilisée ici s’appliquera d’abord à un double niveau territorial  intranational (local, régional, national) et international (relations entre pays, établissement de zones d’influence, de blocs régionaux, de routes transnationales des trafics)  avant de concerner les acteurs (légaux et illégaux, institutionnels et sociaux, élites dominantes et groupes criminels...), afin de comprendre comment ces derniers établissent des relations internationales (le rayonnement des puissances représentées par les Etats-nations dominants ou dominés) qui pourraient être à la base de la formation des routes transnationales des trafics illégaux. La méthode, que nous dénommerons méthode dialectico-comparative, débouchera donc sur le croisement (ou superposition) des territoires et des acteurs, en s’appuyant à la fois sur la diversité des acteurs et sur la diversité des sociétés territoriales, ces dernières étant comprises autant dans un cadre national (par pays) qu’en expansion hors des frontières nationales (les différents réseaux transnationaux sur lesquels peuvent se greffer les trafics). Mais la comparaison sera sans cesse référée à la théorie  nous partons d’un corpus théorique qui est à la fois déjà constitué avant nous, et en voie de constitution à partir de nouvelles hypothèses qu’il faudra vérifier au cours de l’analyse  dans le but de faire progresser cette dernière et non pas d’accumuler empiriquement des éléments monographiques déconceptua­lisés (le relativisme culturaliste valorisant les spécificités qualitatives locales) ou d’établir des listes de similarités et de différences (l’homogénéisation quantitative ou normative aboutissant à un classement hiérarchique des Etats, basé sur la réduction de la complexité et sur la production d’équivalences spatio-temporelles). C’est donc la théorie qui servira de lien entre les divers éléments comparés, sur la base d’un rapport dialectique entre la théorie et le réel à partir duquel on tentera de repérer des régularités et des hiérarchies de relations entre acteurs et entre pays. Ce faisant, la méthode dialectico-comparative devrait permettre d’établir un compromis entre les méthodes qui dérivent de deux courants : 1) l’approche téléologico-théorico-déductive, qui caractérise autant le positivisme comtien, le rationalisme hégélien ou le formalisme durkheimien et l’école sociologique française, fondant des analyses synchroniques sur la construction théorique d’invariants et d’universaux révélateurs des structures profondes communes à diverses sociétés ou à toute société humaine ; et 2) l’approche pragmatico-empirico-inductive, qui caractérise le fonctionnalisme wébérien ou la sociologie historique allemande, mettant en évidence la cohérence propre à chaque configuration institutionnelle et considérant les sociétés comme des systèmes sociaux fermés, dans le but de produire, à partir d’études de cas, des généalogies et des typologies diachroniques. Le compromis établi entre ces deux méthodes devrait permettre à la méthode dialectico-comparative de développer les analyses à un niveau intermédiaire entre le général et le particulier, sur la base d’une interdépendance entre le micro et le macro, entre le local et le global, évitant en cela le double écueil de l’homogénéisation des territoires (la théorie décontextualisée, sans la pratique) et de l’éclatement des territoires dans le micro-local (la monographie déconceptualisée, sans la théorie). La théorie du possible à partir de laquelle seront croisés les territoires et les acteurs portera ici sur la définition des modèles d’Etats, des systèmes politiques, des interactions centre-marge, des modes de développement et des régimes politiques. En mettant en relation les territoires et les acteurs, une telle méthode devrait aboutir, dans un premier temps, à dévoiler des cohérences nationales particulières ainsi que des stratégies d’acteurs particulières, puis, dans un deuxième temps, à utiliser ces cohérences particulières pour découvrir des structures (politiques, politico-culturelles, géopolitiques) communes aux divers Etats et acteurs, basées sur des équivalences fonctionnelles, avec l’objectif de construire des typologies (d’Etats, d’institutions, d’acteurs) et des idéal-types.

Enfin, dans la lignée des travaux de Michel Foucault, nous essayerons de comprendre comment s’opère la gestion différentielle des illégalismes en réintroduisant comme concept opératoire essentiel l’illégalisme de droit forgé par Foucault pour qualifier les comportements transgressifs de la bourgeoisie du XIXe siècle contournant ses propres lois afin d’assurer une circulation économique  dans les marges de la législation, marges prévues par ses silences, ou libérées par une tolérance de fait [11]. Pour cela, nous chercherons, à partir de l'analyse de phénomènes réels (les connivences entre acteurs pour la conquête du pouvoir, la guerre, la criminalité, la délinquance ordinaire ou financière, la corruption et la violence), à décrire d'abord les stratégies de conflits et d'alliances développées par des acteurs "amis et ennemis"[12] (acteurs sociaux, politiques ou économiques, institutions, mafias, clans, nations, blocs de nations) ; acteurs et stratégies seront ensuite rapportés aux interactions entre le centre et la marge du politique, c'est-à dire au clientélisme politique qui se manifeste en référence à la loi ("le loyal et le déloyal") et agit sur la définition des modèles d'Etats, sur les pratiques de clientélisme d’Etat au sein des Etats réels, sur la formation des systèmes politiques, sur l’actualisation des modes de développement et, finalement, sur les régimes politiques[13]. C’est ainsi que pourront être analysées les conséquences de ces interactions entre acteurs du centre et acteurs criminels de la marge se jouant ensemble de la loi et contribuant soit à transformer les territoires en lieux d'exclusion, d'expérimentation, de re-normalisation, de déviance ou de déstructuration, soit à renouveler des rapports sociaux, économiques et politiques ; dans la plupart des cas, ces interactions révéleront, à un moment ou à un autre, une hétérogénéité irréductible et structurelle de comportements rebelles à l'ordre dominant régi par la loi.

 

III. Typologie des acteurs criminels

A partir de ce qui précède, on peut différencier un certain nombre d’acteurs criminels, selon les connivences clientélistes qui sont établies entre les acteurs (individuels ou collectifs) du centre et les acteurs de la marge, à différents niveaux de pouvoir ou de domination (institutionnel, social, politique et économique) :

 

1) niveau institutionnel :

 l'Etat mafieux sera caractérisé à partir de deux critères fondamentaux : 1) lorsque, suite à la conclusion d'un pacte, les acteurs de la marge pénètrent le centre du système politique, les acteurs politiques se trouvant alors dominés par les acteurs souterrains, et 2) lorsque les revenus d’activités criminelles fournissent une grande partie des ressources de l'Etat[14] ;

 on parlera de régions mafieuses lorsque ces deux critères sont transposables uniquement au niveau régional ;

 si les acteurs de la marge sont dépourvus d'ambitions politiques et ne contribuent qu'à l'enrichissement personnel de certains responsables politiques et économiques qui les protègent et les aident à valoriser leurs bénéfices, et si un secteur de l’appareil étatique est impliqué dans les trafics illégaux et en récupère une partie des bénéfices soit à des fins de socialisation, soit pour l’enrichissement personnel des responsables politiques ou bureaucratiques, on aura affaire à un Etat criminel ; dans cette sorte d’Etat, les acteurs politiques auront tendance à adopter des méthodes clientélistes et de terrorisme d’Etat (intimidation, usage de la violence illégale, abus de pouvoir) comparables à celles utilisées par les acteurs criminels pour la reproduction de leur domination sociale et la préservation de leur légitimité ;

 si un groupe terroriste organisé parvient à s’emparer d’un Etat à partir duquel non seulement il opprime sa population civile (terrorisme d’Etat propre aux Etats criminels), mais également finance des groupes terroristes étrangers dont les actions contre les populations civiles d’autres pays auront pour but de déstabiliser ces derniers, on aura affaire à un Etat terroriste (cas de l’Afghanistan des talibans, sanctuarisé et placé sous la coupe des terroristes d’Al-Qaida) ;

 

2) niveau social :

 lorsque des trafiquants de drogue, ou des politiques convertis en trafiquants de drogue, ont pour objectif de prendre tout ou partie du pouvoir civil (au niveau national ou régional) en s’organisant en guérilla politico-sociale et en pratiquant la terreur contre la population civile, on parlera de groupes narco-terroristes (cas de Pablo Escobar en Colombie ou des groupes d’autodéfense, AUC, toujours en Colombie) ;

 la mafia criminelle apparaît comme une organisation hiérarchisée, régulant les clans criminels qui lui sont soumis, établie sur des bases communautaires (familles, clans, liens du sang), reliant les niveaux régional, national et transnational, constituée dans le but d’accumuler une rente financière illégale (partagée entre acteurs du centre et de la marge) et contribuant à la pacification des rapports sociaux ainsi qu’à l'intégration, par le crime, de certains pans des marges sociales. En résumé, on peut reconnaître cinq principales caractéristiques aux mafias : 1) leur capacité à établir des pactes à l’origine de connivences avec les pouvoirs politique, institutionnel et économique sur la base d’une organisation qui est structurée hiérarchiquement afin de contrôler les différents clans criminels qu’elle fédère, mais qui peut également se développer en se maintenant ouverte à la formation de réseaux horizontaux, 2) leur rapport à la protection (sociale, politique, économique) qu’elle exerce sur leurs clientèles et qui est liée à une recherche de légitimité, mais également leur recherche de protection de la part des autorités légales établies, 3) leur faculté d’adaptation aux différents systèmes politiques qui leur permet d’accroître leur influence et leur domination sur certains pans de la société en apparaissant comme un acteur-relais de la transition entre différentes formes de clientélisme d’Etat ou différents systèmes politiques, 4) le fait que leurs membres dirigeants développent une culture politique hybride qui leur permet de s’adapter aux différentes cultures politiques dans le but d’assumer une fonction d’intégration sociale par le crime qu’elles exercent en privilégiant une culture paternaliste (la solidarité par l’endettement ou la violence) qui respecte la culture clanique de manière à pouvoir agglomérer certains clans criminels, et 5) leur maîtrise des flux transnationaux de marchandises et d’hommes qui leur permet non seulement de réaliser des opérations d’import-export de marchandises illicites, mais également d’infiltrer les diasporas, certains réseaux d’immigrés clandestins et certains gouvernements locaux situés sur leurs routes (et, notamment ceux des anciennes colonies de leurs pays d’origine), et enfin de s’exporter elles-mêmes en étant présentes dans les pays traversés par leurs routes ; ce contrôle des trafics transnationaux (trafic de prostituées, de tabac, d'armes, de drogues, d’immigrés) ne pourra s’effectuer qu’à partir de l’établissement de réseaux mafieux et de l’exercice d’une corruption internationale. On peut également distinguer trois principaux types de mafias : 1) les mafias transnationales qui établissent des routes et des réseaux, associées à des groupes criminels locaux avec lesquels elles ont en commun une culture prédatrice souvent issue de solidarités historiques coloniales, 2) les mafias transnationales, liées ou non aux diasporas, qui diversifient leurs activités et leurs clientèles en prenant en charge le trafic clandestins d’immigrés, et 3) les mafias nationales qui se développent dans les Etats mafieux, dans les Etats criminels ou dans les Etats confrontés à une guerre civile ou à de fortes pressions régionalistes ;

 au niveau de son organisation interne, la mafia criminelle est structurée d'une manière pyramidale - chacune de ses ramifications étant plus ou moins cloisonnée - qui lui permet de fédérer les différents clans criminels (familiaux, amicaux ou ethniques) qui la composent, de contribuer à la pacification de leurs relations et de décider de la répartition des activités illégales (les trafics) et des territoires entre ces clans. La première différence entre mafias criminelles et clans criminels est que les premières apparaissent d’abord comme des instances de négociation et de médiation avec les autorités officielles (corruption sur la base de connivences) et ensuite comme des instances de régulation et de regroupement des clans criminels, tandis que ces derniers sont éloignés de la conclusion de pactes avec les autorités officielles, qu’ils soient insérés dans une organisation hiérarchique mafieuse ou qu’ils soient autonomes ; la seconde différence est que les mafias, tout en supervisant les niveaux régional et local, ont un rayon d’action national et transnational à la fois pour ce qui concerne le recrutement de leurs membres, mais également pour ce qui touche au contrôle des flux illégaux de marchandises et à la maîtrise de certains réseaux mafieux, tandis que les clans ont une assise davantage locale, régionale ou transrégionale ; enfin, la troisième différence entre mafias et clans criminels est que, si tous deux utilisent la corruption pour le développement de leurs activités, les mafias le font sur la base de pactes avec les autorités centrales, tandis que les clans ne peuvent le faire qu’en s’accordant ponctuellement avec les exécutants institutionnels locaux de ces autorités centrales, ce qui n’empêche pas ces dernières de profiter de la corruption lorsque celle-ci est hiérarchique, mais ce qui contraint les clans criminels à renouer périodiquement leurs alliances lorsque leurs correspondants institutionnels sont mutés à d’autres endroits. Pour toutes ces raisons, ce sont donc les clans criminels autonomes qui seront les plus exposés à la répression des forces publiques parce que, en l’absence d’organisations mafieuses qui assurent leur protection et régulent leurs relations et leurs activités, ils auront tendance à s’autonomiser du pouvoir politico-institutionnel et à s’opposer les uns aux autres en abusant d’une violence qui peut aller jusqu’à remettre en cause la stabilité sociale et la pacification des rapports sociaux ;

 

3) niveau politique :

 lorsque des pratiques et comportements propres aux mafias criminelles comme la corruption, le chantage, la violence (liée au  non respect de la vie humaine), la loi du silence (liée au culte du secret), la vengeance et la fidélité en amitié (liée à la prédominance de l’honneur par rapport à la justice et non excluante de la trahison des étrangers) sont adoptées par des acteurs politiques non seulement comme méthodes de gouvernement pour réprimer des opposants ou des minorités ou pour conforter leur pouvoir vis-à-vis des acteurs économiques et sociaux, mais également dans leurs relations avec des groupes (mafias ou clans) criminels, et lorsque ces acteurs politiques détournent les institutions garantes de l’application de la loi et de la répression du crime pour les mettre, notamment, au service du contrôle d’activités illégales, on aura alors affaire à une mafia politique ; celle-ci suppose une entente préalable (l’équivalent du pacte mafieux), fondée sur l’utilisation d’une violence arbitraire et portant sur le partage des territoires, des institutions et des richesses entre les différents clans politiques qui se partagent le pouvoir et sont dirigés depuis le sommet de ses hiérarchies (ministres, représentants nationaux et régionaux du parti au pouvoir, responsables des administrations centrales et de leurs délégations régionales, ex-ministres ou ex-présidents exerçant toujours une influence politique et disposant de suffisamment de moyens financiers pour entretenir une clientèle)[15] ; les clans politiques ne sont pas tous des clans criminels qui mettent la violence d’Etat au service de l’arbitraire, puisque, dans de nombreux cas, ils sont simplement un mode d’organisation mis au service d’un objectif de conquête du pouvoir ; cependant, leur mode d’organisation les rapproche des clans criminels, ce qui explique qu’ils peuvent, dans certaines circonstances de crise politique, se transformer en clans politiques criminels ; par ailleurs, l’existence de mafias criminelles et politiques ne suffit pas à définir et à instituer un Etat mafieux, car ce dernier suppose non seulement qu’existent simultanément des mafias criminelles et des mafias politiques, mais, en plus, que celles-ci soient en interaction et qu’enfin, les mafias criminelles dominent les mafias politiques ; en fait, dans la plupart des Etats, le politique domine et contrôle le criminel (le plus souvent représenté par des clans criminels et non par des mafias criminelles) au sein de systèmes politiques soit pluralistes (où les clans politiques et les groupes criminels régionaux sont encore actifs), soit militaires ou autoritaires (perméables aux mafias politiques et pouvant générer des Etats criminels) ;

4) niveau économique :

 lorsqu'il y a entente entre différentes mafias criminelles et politiques, régionales ou nationales, qui exercent un monopole sur certaines activités illégales, on parlera de constitution de cartel criminel ; selon cette même logique, lorsqu’il y a entente sur les prix et sur la répartition des marchés entre différents groupes entrepreneuriaux et que cette entente aboutit à fausser la concurrence et à user de corruption vis-à-vis de certains responsables politiques ou administratifs pour que soit tolérée leur transgression des lois et pour obtenir des marchés, il s’en suivra la constitution de cartels économiques ; mais si ces cartels économiques utilisent les services de groupes criminels ou des méthodes illégales (menaces, chantage, harcèlement, atteintes à la vie privée et à la propriété, assassinats) qui sont propres à ces derniers pour s’imposer vis-à-vis de leurs concurrents ou intimider les personnes (juges, journalistes) qui cherchent à dénoncer leurs ententes illégales, on pourra dès lors parler de mafia économique ; dans le cas des mafias économiques, ce sont donc les acteurs économiques qui dominent les acteurs politiques, administratifs et criminels et qui se comportent comme des parrains ;

 enfin, on nommera réseau mafieux une organisation éphémère, basée sur l’alliance ponctuelle entre acteurs économiques, politiques, institutionnels et criminels et orientée vers la réalisation d’une opération illégale ; la première caractéristique des réseaux mafieux est que, en leur sein, les différents acteurs peuvent être soit organisés horizontalement, sur un pied d’égalité, chacun exécutant le rôle qui lui revient, soit soumis passagèrement à un donneur d’ordres et, dans ce cas, selon la sphère d’origine de ce donneur d’ordres, on parlera de réseaux mafieux économique, politique, institutionnel (policier ou militaire, par exemple) ou criminel ; la deuxième caractéristique des réseaux mafieux est qu’ils se font, se défont, se composent, se décomposent et se recomposent selon les circonstances et les opportunités d’enrichissement ; la troisième caractéristique des réseaux mafieux est que si leurs membres se réunissent pour l’exécution d’une opération localisée, ils proviennent eux-mêmes d’horizons statutaires et géographiques différents et sont donc déterritorialisés par rapport au lieu de l’action ; de par leur caractère éphémère et leur flexibilité, les réseaux mafieux apparaissent moins vulnérables à la répression que les organisations mafieuses pyramidales et stables traditionnelles ; mais, le revers de la médaille est qu’ils sont plus perméables à la trahison interne car leurs membres ne sont pas unis par les mêmes liens de confiance qu’au sein des organisations verticales. Finalement, les réseaux complètent ces organisations hiérarchiques et leur servent à s’adapter à un marché mondialisé du crime ; en ce sens, ils apparaissent bien comme produit et reflet d’un système économique libéral dont les promoteurs aspirent à abolir les frontières nationales et à dérèglementer la circulation des marchandises ; à leur manière, les réseaux mafieux dérèglementent également la circulation des hommes et permettent d’établir des liens entre différentes mafias nationales afin de développer leurs activités transnationales communes.

On peut également définir, dans un rapport public-privé (les acteurs criminels étant considérés comme des acteurs privés illégaux), trois principaux acteurs dominants au sein de régimes  eux-mêmes définis à partir d’un modèle dominant d’Etat. C’est ainsi qu’au sein des régimes où domine le modèle d’Etat paternaliste, où la culture dominante est véhiculée par la famille et où la politique est d’abord une affaire de famille, on reconnaîtra que l’acteur dominant est représenté par les oligarchies qui ont tendance à se constituer des fiefs régionaux et à s’autonomiser du pouvoir central étatique (cas des systèmes fédéraux non pluralistes comme le Brésil). Deuxièmement, au sein des régimes où domine le modèle d’Etat bureaucratique et où la culture dominante est véhiculée par les représentants de l’Etat-nation, l’acteur dominant sera les notables qui, profitant de la rente publique et des collusions entre acteurs privés régionaux et acteurs politiques, seront liés au pouvoir central par l’intermédiaire de ses représentants locaux ou régionaux nommés (préfets, gouverneurs) ; certaines connivences pourront être établies entre ces notables ou le pouvoir central bureaucratique et les acteurs de la marge lorsque seront sous-traités à des groupes criminels (clans ou mafias) des activités clandestines de basse police, le maintien de l’ordre social ou l’organisation des trafics de contrebande lorsqu’il s’agit d’un Etat protectionniste ou soumis à un embargo (cas du Mexique du PRI ou de la Russie actuelle). Enfin, troisièmement, au sein des régimes où domine le modèle d’Etat libéral et où la culture dominante est véhiculée par les entrepreneurs, ce sont les élites entrepreneuriales qui constitueront l’acteur dominant ; elles seront issues soit des notables reconvertis à la concurrence et à la mondialisa­tion, soit de nouveaux cercles émergents du pouvoir politico-administratif grâce auquel ils auront pu s’accaparer certaines privatisations, soit des mafias qui profiteront de leurs connivences passées pour blanchir les bénéfices de leurs rackets ou de leurs trafics dans le système productif ou même dans les médias (afin de se bâtir une respectabilité et une influence en contrôlant l’information) ; comme exemple, on peut citer le cas de l’Italie de Berlusconi.

Pour ce qui concerne les acteurs privés criminels, avant d’être influents politiquement ou économiquement (infiltration des entreprises ou des ONG par des mafias ou des sectes), ils devront pratiquer deux sortes de protection clientéliste : une protection descendante destinée à l’entretien de leurs clientèles et basées sur l’endettement de celles-ci (par exemple par le système d’avance sur recettes qu’ils accorderont aux paysans producteurs de drogue) ou destinée à l’accumulation (par exemple, le racket vis-à-vis des commerçants comme protection de la violence que pourrait leur infliger ceux-là même qui les extorquent) ; et une protection ascendante qui consiste en l’achat, par les groupes criminels, de fonctionnaires (policiers, douaniers contractés pour faciliter les trafics illégaux) ou de magistrats sous-payés pour cause de délitement ou d’inexistence de la fonction publique d’Etat ; c’est à travers cette corruption de fonctionnaires d’Etat que les représentants des groupes criminels pourront être introduits auprès des dirigeants des sphères politiques régionales. En période de crise économique, de transition politique débouchant sur une ingouvernabilité ou d’exacerbation des régionalismes, les groupes criminels, les fonctionnaires d’Etat et les dirigeants politiques régionaux pourront organiser de concert certains trafics illégaux et s’en partager les bénéfices.

D’une manière plus générale, on peut analyser la corruption structurelle comme résultant du fait que, dans un système clientéliste, la loi est nécessaire car elle représente une barrière dont le franchissement a un prix : on peut transgresser les lois à condition d’en payer le prix. Celui qui fixe le prix et qui bénéficie de la corruption sera l’acteur dominant de la chaîne de pouvoir. Plus les acteurs sont proches des lois (législateurs parlementaires qui font les lois et accordent des dérogations, juges qui sanctionnent les transgressions, représentent la justice et monnayent l’impunité des coupables, policiers qui veillent au respect des lois et participent aux trafics illégaux de ceux qui les transgressent, avocats censés défendre leurs clients en les faisant bénéficier de leurs droits et convertis en hommes d’affaires ou en conseillers fiscaux qui contournent les lois, notaires chargés de régler les successions, d’en percevoir les droits pour le compte de l’Etat et qui se convertissent en spéculateurs fonciers ou immobiliers ou en arrangeurs d’affaires, trésoriers qui négocient les rappels d’impôts impayés et les amendes résultant de fraudes...), plus ils sont susceptibles d’en tolérer la transgression et d’être soit corrupteur (cas de l’extorsion dans un Etat bureaucratique), soit corrompu (cas d’achat des fonctionnaires publics par des acteurs privés dominants dans un Etat libéral) ; en effet, leur statut de médiateur entre le public et le privé peut les inciter à jouer de part et d’autre de la barrière de la loi si bien que, plus les acteurs seront proches de la loi, plus ils seront dominants au sein de leur clientèles et vis-à-vis des clientèles concurrentes. En fait, ce sont les critères de proximité de la loi et de duplicité statutaire entre les sphères publique et privée qui déterminent les capacités d’influence ou de domination des acteurs de pouvoir et qui faciliteront la conversion des anciens notables profitant de la rente publique d’Etat en nouvelles élites affairistes libérales prônant la liberté d’entreprendre et la déréglementation. C’est à partir de tels critères qu’on peut également différencier les Etats de lois (si les lois sont nombreuses et contraignantes et que la culture politique valorise les abus de pouvoir et les collusions public-privé à des fins de redistribution clientélaire, les lois seront susceptibles d’être transgressées et, donc, de générer de la corruption) des Etats de droits (au sein desquels la culture politique fait primer le mérite et le respect du droit sur la recherche de faveurs). C’est ainsi que, dans les Etats de lois où s’impose la loi du plus fort (celui qui est le plus proche du pouvoir), on assiste à une mercantilisation du droit et à des marchandages portant sur le coût de la transgression des lois qui s’opposent à l’application d’une justice égalitaire et s’avèrent compatibles avec la propagation d’une culture libérale où la corruption et la recherche du profit seront dominantes (l’Etat minimal libéral ou l’Etat sans loi de type criminel ou mafieux). C’est ainsi, enfin, que le développement de stratégies d’influence, l’établissement d’interactions entre différentes sphères de pouvoir, la loi du silence, la construction de pactes et la recherche d’arrangements peuvent apparaître comme des caractères communs à la corruption politico-économico-administrative (collusions monde politique-monde des affaires) et à la corruption d’origine criminelle (connivences monde politique, monde des affaires et monde du crime).

 

Conclusion : de la guerre contre la drogue à la guerre contre le terrorisme

Le contrôle des mafias constitue l'enjeu principal qui justifie les connivences entre le centre et la marge des systèmes politiques. Le champ d'action de la plupart des mafias débordant les frontières nationales  alors que la plupart des institutions (police, justice, douanes) et des gouvernements nationaux sont soit désemparés, soit complices de leurs marges criminelles organisées , la répression traditionnelle sur des bases purement nationales s'avère aléatoire[16]. Le contrôle des mafias s'intègre donc dans le jeu des relations internationales, les grandes puissances destinataires des trafics faisant pression sur les petites ou moyennes puissances pour qu'elles activent leurs institutions répressives. Dans cette perspective, le crime organisé et transnational constitue une menace dans les relations internationales. La lutte contre les mafias serait donc inséparable de la définition de la menace. De ce point de vue, la violence criminelle ne serait plus simplement l’arme du pauvre dont profite le riche (les interactions), mais, comme pour le terrorisme, elle servirait également de justification à l’accroissement de la puissance des Etats du Nord (le recours à l’ingérence ou à la guerre). La lutte mondiale contre le crime transnational pourrait ainsi être interprétée comme un moyen idéologique d’imposer une mondialisation libérale apparemment vertueuse, mais qui, en réalité, tolérerait le crime comme une condition de l’expansion de cette mondialisation libérale (pour lutter contre le crime, il faut adopter le marché, mais pour lutter contre le crime, il faut que celui-ci continue à exister). Le problème sera donc de savoir comment contenir le crime dans des limites acceptables afin qu’il ne remette pas en cause la stabilité sociale dont dérive la légitimité politique ainsi que l’expansion du marché qui constitue maintenant le principal enjeu des relations internationales. Mais, par ailleurs, comme pour les migrations internationales, le crime peut aussi être instrumentalisé par certains Etats dominés qui peuvent être amenés à l’utiliser comme moyen de pression pour atteindre un objectif d’intégration régionale (si vous ne nous faites pas accéder à votre prospérité, nous laisserons nos criminels développer leurs trafics chez vous) ; un tel chantage est par exemple évident de la part de certains pays d’Europe orientale (Bulgarie, Roumanie, Turquie) vis-à-vis de l’Union européenne.

Lorsqu'on parle de  guerre contre la drogue , même s'il ne s'agit pas d'une guerre d'un Etat contre un autre, cela implique nécessairement que les nations du Nord, s'estimant agressées par les mafias du Sud, vont appliquer une politique d'ingérence dans les affaires intérieures des Etats d'où sont originaires ces mafias parce que ces dernières se servent de leurs Etats d'origine comme sanctuaires. Cette justification de la guerre, comme (auto)défense contre une agression, constitue le fondement de la guerre juste[17] que les Etats du Nord ont entrepris de mener contre les mafias et certains Etats du Sud. Mais les moyens employés par les services chargés de mener cette guerre, basés sur certaines compromissions, connivences et entorses au droit, apparentent plutôt cette guerre à un exercice "pragmatique" fondé sur la théorie de Hobbes selon laquelle la guerre étant la continuation du politique et le politique n'ayant rien avoir avec la morale, il ne saurait y avoir ni de guerre juste, ni de droit appliqué à la guerre. Et ceci vaudrait autant pour les relations ami-ennemi que pour les relations loyal-déloyal.

Trois causes principales semblent justifier cette guerre internationale contre le crime : 1) une cause géopolitique liée à la constitution de zones d’influence et à l’imposition d’un ordre international dominé par les Etats du Nord ; dans ce cas, ce ne sont pas les Etats producteurs de drogue qui sont l’ennemi (sauf cas d’Etats mafieux), mais les groupes criminels transnationaux abrités à l’intérieur de ces Etats, ces derniers nécessitant une aide militaire étrangère (ingérence) pour lutter contre le crime qui les déstabiliserait et empêcherait l’établissement d’Etats de droit ; 2) une cause politico-juridique liée à la protection des populations des pays récepteurs de drogue et qui apparente la guerre contre le crime à un problème de sécurité publique ; cette cause sert à justifier la mise en place d’un ordre moral ou policier à l’intérieur des Etats ; 3) une cause idéologique liée à la nécessité d’entretenir un lien social global par la recherche d’un bouc émissaire collectif, sorte d’ennemi de civilisation qui serait à l’origine d’une tension et d’une insécurité internationales et serait ici personnifié par les acteurs criminels. Différents acteurs collectifs ont tenu le rôle d’ennemi de civilisation, tentaculaire et se jouant des frontières nationales, depuis le déclenchement de la dernière guerre mondiale ; ce furent d’abord les juifs désignés comme ennemi de l’humanité par l’Allemagne nazie, puis les communistes jusqu’à la fin des années 1980, ensuite les mafias et, depuis 2001, le terrorisme international. Chacun de ces acteurs collectifs était présenté comme disposant d’Etats relais : les pays socialistes, les Etats mafieux et, maintenant, les Etats voyous (exemple de l’Afghanistan des talibans) qui soutiennent les mouvements terroristes. La menace était identifiée par le fait que ces Etats relais disposaient de moyens de destruction massive. Mais, avec les acteurs criminels et les acteurs terroristes, hormis le cas des Etats qui sont susceptibles de les soutenir, la menace serait devenue plus diffuse, moins contrôlable, plus sociale, moins territorialisée et plus dangereuse par le fait qu’existerait, à travers l’utilisation des armes chimiques et bactériologiques, une convergence entre ces acteurs (et, particulièrement, les terroristes internationaux) et les moyens de destruction massive dont ils peuvent disposer. Enfin, il faut remarquer que la désignation de l’ennemi mondial terroriste, qui justifierait le déclenchement d’une nouvelle guerre mondiale basée sur des mesures d’exception limitant les libertés publiques, sur le déclenchement d’interventions militaires ciblées (Afghanistan, Irak, Tchétchénie) et sur le soupçon adressé à des populations entières (musulmans identifiés aux terroristes islamistes, comme le régime nazi identifiait les juifs avec les communistes) complique et, simultanément, facilite la définition de l’ennemi de civilisation car l’étiquette terroriste peut ainsi être accolée autant aux groupes terroristes islamistes qu’aux groupes criminels narcoterroristes ou à certains mouvements politiques armés de libération régionale ou nationale ; la guerre contre le crime se trouve donc inclue dans la guerre contre le terrorisme. La conséquence de cette guerre contre le terrorisme, qui apparaissait déjà dans la guerre contre les mafias, est qu’on passe progressivement d’une stratégie guerrière basée sur la défense nationale par l’armée, chargée de veiller au respect des frontières nationales, à une prise en charge des problèmes intranationaux de sécurité publique par l’armée, associée à la police, car l’ennemi extérieur est susceptible de s’infiltrer à l’intérieur des frontières nationales.

Enfin, sur le plan économique, si l’on prend en considération les trois principaux acteurs impliqués dans le trafic de drogue, c’est-à-dire les paysans producteurs, les trafiquants mafieux et les consommateurs, un rapport de l’OICS[18] nous apprend que le revenu des agriculteurs qui cultivent des drogues illicites dans les pays en développement est inférieur de moitié aux bénéfices captés par les trafiquants locaux et équivaut à seulement 1 % du montant finalement dépensé par les toxicomanes, les 99 % restants étant perçus par les divers trafiquants aux différents niveaux de la chaîne[19]. Ces résultats quantitatifs montrent bien que la redistribution des bénéfices de la drogue reproduit les inégalités préexistantes dans les pays producteurs. De tels chiffres pourraient remettre en question ou relativiser le développement de substitution généré par les cultures et trafics illicites, surtout si l’on prend en considération le fait que le revenu global dégagé par les agriculteurs producteurs de drogues ne représente que 2 % du montant total de l’aide au développement (53,7 milliards de dollars en 2000). Mais nous maintiendrons l’idée que le développement de substitution, qui ne vaut d’être analysé qu’aux niveaux locaux de la production ou de la consommation, compense temporairement les carences du développement car, même s’il ne permet aux paysans que de dégager peu de revenus en comparaison de ceux retirés de l’ensemble des productions agricoles nationales et mondiales, ce peu est mieux que rien et peut représenter beaucoup localement, surtout au sein de régions sinistrées économiquement ou touchées par une instabilité socio-politique (guerre civile, par exemple) qui ne parviennent pas à capter l’aide au développement et les investissements productifs. Faudra-t-il donc compter sur le blanchiment-recyclage des bénéfices de la drogue pour relancer les investissements productifs locaux, ce qui tendrait à conforter notre thèse du développement de substitution par la drogue ? Mais une fois blanchis, les capitaux d’origine illégale n’apparaîtront plus comme des capitaux illégaux et ne pourront donc plus être pris en considération par les analyses économétriques. C’est pourquoi la seule manière de prouver que le développement de substitution par l’illégalité est effectif consistera à montrer que des collusions et connivences simultanées d’ordre politique agissent au niveau local : il s’agit donc de la preuve par le politique.

Car, toujours sur le plan économique, il faut également reconnaître que la lutte contre les mafias et les organisations criminelles bute sur un quatrième acteur qui est indissociable du trafic, à savoir le blanchisseur qui effectue son travail en s’appuyant sur le système financier international et qui permet que les profits illégaux les plus importants soient dégagés dans les pays où les produits finaux sont vendus et consommés. Et c’est parce que le blanchiment constitue une porte ouverte à toutes les compromissions, que peut être jeté un pont entre collusions et connivences et que les deux dialectiques (ami-ennemi et loyal-déloyal) peuvent se transformer en une nouvelle : la dialectique ami-déloyal. Comme pour le trafic qui part du local pour aboutir au transnational, une infime parie de l'argent sale est blanchi localement, tandis que la part la plus importante atterrit sur les places financières internationales à partir desquelles elle est ensuite recyclée dans la masse des capitaux spéculatifs ; et comme pour la corruption institutionnelle, ces capitaux utilisent la médiation des paradis fiscaux afin de complexifier les réseaux du blanchiment-recyclage et de déjouer la surveillance des organismes de contrôle ; pour cela, les trafiquants utilisent le procédé de fractionnement des opérations afin d'éviter d'atteindre les seuils de déclaration obligatoire, ainsi que le recours à des prestataires de services professionnels comme les comptables, les avocats et les agents de création de sociétés qui dirigent les capitaux à blanchir vers des secteurs (l'assurance, par exemple) ou des régions moins surveillées. Selon le GAFI[20], différentes régions du monde sont principalement concernées par les mécanismes de blanchiment des bénéfices de la drogue, parmi lesquelles : 1) l'Asie du Sud dans la région Asie-Pacifique qui est un des espaces essentiels du blanchiment, accueillant plusieurs grandes banques internationales, en plus d'être un lieu de transbordement pour l'héroïne et le haschisch produits en Afghanistan et en Iran (l'ouest de la zone) ainsi qu'en Birmanie, en Thaïlande et au Laos (l'est de cette région) ; 2) l'Europe occidentale où l'on assiste à un gonflement de la demande de cocaïne qui se traduit par une augmentation du volume des fonds devant être blanchis et, pour se faire, par la formation de nouvelles alliances entre les groupes colombiens et russes, ces derniers étant chargés de recycler l'argent sale, par l'intermédiaire des banques russes qu'ils contrôlent, sur les places financières britannique, autrichienne, suisse ; 3) l'Europe centrale et orientale où les revenus illégaux sont blanchis à travers la fraude aux contrats et les privatisations, sur la base de collusions entre institutions financières et crime organisé (cas de la Russie).

C’est donc parce que les mafias achètent les politiques et blanchissent les bénéfices de leurs trafics illégaux dans des paradis fiscaux qu’il semble vain d’opposer simplement la violence d’Etat aux mafias sans mettre en place des mécanismes de lutte contre leur composante à col blanc ; et la lutte contre le blanchiment des bénéfices d’origine criminelle des mafias semble indissociable de la lutte contre la corruption institutionnelle, ces deux luttes ne paraissant pouvoir déboucher sur des résultats effectifs qu’à travers une mise sous embargo des paradis fiscaux qui constitue le principal vecteur commun du blanchiment des bénéfices de la corruption et du crime, ce dernier s’appuyant sur la première. De plus, la mafia apparaît comme une alternative rapide au retard de développement de certaines régions ou de certains groupes sociaux qui choisissent la solution de l’illégalité plutôt que celle de la production pour se mettre au niveau des standards d’intégration et de consommation adoptés par les classes dirigeantes des pays riches ; de ce point de vue, spéculation et activité mafieuse relèvent des mêmes valeurs de légitimation. Comme pour la corruption et parce que les activités mafieuses prospèrent sur la base d’un terreau corruptif, la lutte contre l’illégalité mafieuse semble donc indissociable de la lutte contre les inégalités (sociales, régionales, Nord-Sud) et de la mise en place d’une politique plus équitable de redistribution des richesses.

Pour toutes ces raisons, dans la lutte contre les mafias, la volonté politique est un atout majeur, avant la mise en place d’un cadre juridique adéquat. En effet, le développement du crime est lié au culte du profit et à l’exploitation de la pauvreté, ce qui explique pourquoi corruption et criminalité s’intègrent aussi bien aux sociétés libérales. C’est également ce qui explique pourquoi la répression du crime touche principalement les plus pauvres (exemple des paysans producteurs de drogue) et épargne les principaux bénéficiaires des trafics (banques, paradis fiscaux). La répression du crime ne pourra donc être efficace que lorsqu’elle sera envisagée comme inséparable de la répression de la corruption institutionnelle. Or, la tendance dominante actuellement consiste, à travers l’imposition de nouvelles règles liées au gouvernement dentreprise[21], à privilégier le traitement préventif de la corruption, basé sur la responsabilisa­tion des acteurs, ainsi qu’à favoriser la décentralisation et la délégation de la normalisation et de la sanction aux marchés, ce qui, par voie de conséquence, aboutit à la dépénalisation de la délinquance financière, ceci dans le but de rassurer les marchés. A travers la nouvelle guerre contre le terrorisme, il va donc s’agir d’assimiler les organisations criminelles à des organisa­tions terroristes et d’appliquer aux deux les mêmes méthodes répressives ou d’endiguement ; pour cela, il faudra isoler les capitaux du crime et du terrorisme de ceux qui proviennent de la délinquance financière afin de pouvoir tolérer que cette dernière continue à alimenter les marchés. Mais le terrorisme, et notamment le terrorisme religieux, en se privatisant, c’est-à-dire en se passant de la tutelle (financière et politique) des Etats, est parvenu à opérer une synthèse entre délinquance criminelle et délinquance financière. Pour cela, et avec l’objectif de se mondialiser, il se fonde sur les deux principales ressources déjà utilisées par les organisations criminelles : la violence et l’inclusion au marché. La violence terroriste n’a plus pour objectif premier les seules revendications territoriales périphériques ; il s’agit d’une violence mondiale qui s’attaque au centre du pouvoir militaire et économique (l’Europe, les Etats-Unis), au système politique de l’Occident (la démocratie électorale, la laïcité, l’égalité homme-femme), aux symboles de l’Occident (les tours de la finance, les lieux de la consommation de masse, les infrastructures de transport servant de vecteur à la mondialisation libérale) et remet en question le monopole de la violence légitime que détenait l’Etat, la religion lui servant de paravent pour blanchir ses crimes, étendre les clientèles de sa domination sociale et justifier ses actes de violence extrême. Le terrorisme religieux, comme pour la délinquance criminelle, se greffe également sur l’économie de marché pour se financer (en noircissant ses avoirs) ; il tire ainsi profit des nombreuses possibilités qu’offrent les marchés financiers : investissements, montages et transferts vers des paradis fiscaux, anonymat des transactions, utilisation de prête-noms... De ce point de vue, le terrorisme se gère comme une multinationale. Cependant, son objectif ne consiste pas, comme pour la délinquance financière ou criminelle, à accroître des bénéfices, à conserver le marché et à intégrer ce dernier en le déviant, mais à se poser comme un pouvoir de contre-pouvoir à la mondialisation libérale, destiné à détruire le marché en l’instrumentalisant et à abattre des Etats qu’il juge illégitimes.

Il existerait donc d’un côté des forces intégratrices universelles de la modernité économique et du changement technologique, portées par l’idéologie libérale, dominées par les Etats-Unis et qui poussent à la constitution d’ensembles économiques homogènes (les blocs régionaux multinationaux) et, de l’autre, les forces différencialisantes de la culture, parmi lesquelles on trouve aussi bien les Etats prônant le multilatéralisme contre la domination américaine, que les mouvements sociaux altermondistes ou le fondamentalisme musulman et les organisations criminelles ; ces forces différencialistes tenteraient soit de s’agréger à des instances supranationales comme l’OMC, soit de préserver ou de créer des niches locales, régionales ou nationales d’exception[22]. Mais, même les zones régionales de libre-échange finissent souvent par créer de nouvelles barrières extérieures d’exception qui s’opposent aux règles universelles du multilatéralisme et aboutissent, en se confondant avec des représentations collectives identitaires et différencialistes, à ériger un nouveau nationalisme régional. De ce fait, on se retrouve confronté à un double mouvement contradictoire du monde : d’un côté, la mondialisation est sans cesse contrariée par les anciennes et nouvelles forces de fragmentation du monde, tandis que, simultanément, s’exerce une domination américaine du monde qui s’appuie sur une représenta­tion universelle, est relayée par une puissance militaire inégalée ainsi que par un contrôle des organismes multilatéraux de financement (Banque mondiale, FMI) et débouche sur l’imposition à tous les Etats de nouvelles règles (gouvernance, gouvernement d’entreprise, libre-échange, transferts des services publics et sociaux au privé, dépénalisation de la délinquance financière). Il ne fait pas de doute que ce double mouvement contradictoire sera à la base de la plupart des conflits du XXI e siècle et qu’il justifiera la poursuite d’un développement de substitution impulsé soit par des organisations criminelles, soit par des associations religieuses dont certaines sont liées au terrorisme social ou d’Etat. Et même si ce développement de substitution n’apparaît pas comme un développement juste car il est le reflet des inégalités et des exclusions socio-territoriales produites par le système libéral, il continuera à être perçu comme légitime car il favorise un minimum de redistribution sociale et permet ainsi d’atténuer momentanément les effets de la mondialisation libérale. Quant aux acteurs criminels, grâce au développement de substitution, ils peuvent non seulement rendre légitimes leurs activités criminelles illégales, mais également se servir de cette légitimité pour justifier la poursuite de leurs activités criminelles, ce qui transforme la drogue en une arme contre des gouvernants perçus comme corrompus, et effectivement corrompus par les narcotrafiquants dans le but d’assurer la poursuite de leurs activités criminelles. Le cercle se trouve ainsi bouclé, les interactions corruptives liées à la drogue permettant de fonder un développement de substitution sur l’union entre illégalité, criminalité et légitimité

 


[1]. Contrairement à la conception holiste et dualiste (dichotomie entre le public et le privé) de Durkheim, qui autonomisait la société (le tout) par rapport aux individus (les parties) qui la composent et assignait à celle-ci un fonctionnement non réductible aux conduites et aux décisions individuelles, un système complexe sera caractérisé comme celui où les contraintes exercées par le tout (...) résultent (...) de la composition des activités élémentaires. Le tout et les éléments se constituent mutuellement. C'est cette codétermination qui explique la complexité des êtres vivants (Dupuy J.-P., "L'homme machine et les adorateurs du signifiant", in Le Débat, n 49, mars-avril 1988, p. 171). Par ailleurs, la conception de Durkheim conférait aux institutions politiques, produites par le système, la fonction de régulation extérieure des systèmes sociaux ; les institutions ne pouvaient fonctionner que dans le cadre clos des Etats-nations qui jouaient le rôle structurant d'édification d'une matrice (...). A l'inverse, un système complexe élimine cette matrice (l'Etat-nation) et laisse les régulations s'opérer directement entre les éléments qui le composent (Jean de Maillard, "Le crime à venir", in Le Débat, n 94, mars-avril 1997, p. 118).C`est donc ici que se pose le problème de la souveraineté du peuple, incarnée autant par le législateur que par le pouvoir constituant garant des droits fondamentaux ; mais, par delà la réalité abstraite de la loi, on peut aussi reconnaître différentes expressions possibles de la souveraineté, qui pourront déboucher sur une pluralité de légitimités reconnues à des acteurs divers (et, notamment, les groupes criminels dont certains sont transnationaux) par les différentes parties d`un peuple qui peut lui-même être morcelé ; quadviendra-t-il alors, par exemple, du rapport entre droit constitutionnel et droit international et est-il encore possible aujourd`hui de faire primer la souveraineté nationale constitutionnelle sur les engagements internationaux, comme cest encore le cas en France ? Il ne semble envisageable de répondre à de telles questions que par une analyse en terme de système global, celui-ci étant défini comme un ensemble de co-déterminations d'ordre social, économique, politique, juridique et géo-politique s'exprimant aux niveaux local (rural ou urbain), régional, national et transnational, relayées par des acteurs qui développent des pratiques et stratégies clientélistes tout en étant situés de part et d'autre (centre et marges) d'une légalité représentée par les lois formelles et qui peuvent être amenés à nouer entre eux des interactions illégales en fonction des rapports de forces du moment et avec l`objectif d`accroître leurs profits, leur influence, leur domination ou leur pouvoir.

[2]. En résumé, le clientélisme pourrait être défini comme une relation directe entre deux personnes, asymétrique (c`est-à-dire inégale : un patron et un client), mais d`échange (affectif et matériel) et donc, réciproque. Le patron offre protection (militaire ou judiciaire), assistance (alimentaire, économique...) et intercession en cas de besoin ; le client, en contrepartie, rend des services bénévoles, fait des dons en nature, témoigne reconnaissance, fidélité et soutien à son patron [...] ; la relation de clientèle est particulariste et non pas universaliste (elle lie des particuliers à la recherche de faveurs), diffuse et non pas spécifique (les échanges sont de nature diverse et les prix ne sont pas spécifiés), effective et non pas purement instrumentale (au point dêtre souvent transformée en parenté fictive, comme dans le cas du parrain) et inspirée par l`intérêt particulier et non pas collectif ,  Charlot (M. et J.), Les groupes politiques dans leur environnement, in Medeline, Grawitz et Leca, Traité de sciences politiques, vol. 3, Paris, PUF, 1985, p. 438. Cf. également Médard (J.-F.), Le rapport de clientèle : du phénomène social à l`analyse politique, in Revue française de sciences politiques, vol. 26, 1976, ainsi que Clientélisme politique et corruption, in Revue Tiers-Monde, Paris, PUF, n°161, 2000.

[3]. Comme exemple, on peut citer la vénalité des charges publiques sous l`ancien régime qui existe encore dans certains pays, comme dans la zone andine qui tendaient à faire de leurs détenteurs les créanciers du roi.

[4]. Pour une analyse théorique et historique de la notion de don, et notamment sur les interrogations des anthropologues (comme Marcel Mauss), cf. Davis (N.), Essai sur le don dans la France du XVI e siècle, Paris, Seuil, 2002.

[5]. Aux Etats-Unis, par exemple, les contributions syndicales ont représenté 46 % du financement de la campagne électorale des démocrates aux élections de 1996, contre 35 % en 1994 ; il est clair que le lobbying est une forme déguisée de corruption lorsque ce sont les entreprises qui payent les campagnes électorales des candidats afin que ces derniers, une fois élus, défendent les intérêts de leurs donateurs et placent ainsi les intérêts particuliers au dessus de l'intérêt général ; de ce point de vue, autoriser le lobbying, c'est une manière de supprimer la corruption en la légalisant.

[6]. Cf. Médard (J.-F.), Clientélisme politique et corruption, in Revue Tiers-Monde, Paris, PUF, n°161, 2000.

[7]. Cf. Hibou (B.) sous la direction de, La privatisation des Etats, Paris, Karthala, 1999.

[8]. Cf. idem.

[9]. Cf. Marx (K.) et Engels (F.), LIdéologie allemande (1842) et Le Manifeste du parti communiste (1848) ainsi que Touraine (A.), Pour la sociologie, Paris, Editions du Seuil, 1974.

[10]. Cf. Bourdieu (P.), Le sens pratique, Paris, Les Editions de Minuit, 1980.

[11]. Cf. Foucault (M.), Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975, p. 90.

[12]. Nous nous référons ici à la thèse développée par C. Schmitt in La notion de politique (1928), Paris, Calmann-Lévy, coll.  Liberté de lesprit , 1972, chap. 2, p. 65-68 ; selon C. Schmitt, le politique, défini par la distinction ami/ennemi, est le  domaine de la violence et de lesprit de conquête qui se trouve nié par le libéralisme.

[13]. La dialectique loyal/déloyal est à rapporter à la relation entre l`Etat et la société dans la perspective de la transformation des modes de gouvernement (la gouvernementalité selon Foucault) ; si, comme le soutient M. Senellart (in Les arts de gouverner, Du regimen médiéval au concept de gouvernement, Paris, Ed. du  Seuil, 1995, p. 280), l`évolution historique des pratiques de pouvoir va vers la séparation croissante de lEtat avec la société, la concentration du pouvoir dans une machine administrative centralisée et, à un tout autre niveau, léloignement du divin hors de l`espace des actions humaines , alors, la forme dominante de rationalité gouvernementale consistera à penser la société à partir de l`Etat et à définir l`Etat comme s`opposant à la société, ce qui tend à confirmer la thèse de Schmitt. Selon Senellart, afin de réhabiliter la société et de penser l`Etat comme une fonction de la société, il faudrait opposer à Schmitt la thèse de Hannah Arendt (in Essai sur la révolution, 1963, Paris, Gallimard, coll. Tel , 1985, p. 180) consistant à redonner vigueur au concept d espace public afin dempêcher la concentration bureaucratique des fonctions gouvernementales en développant une vigilance critique de la société et en posant celle-ci comme un foyer de contre-pouvoir permanent.

[14]. La Birmanie, lAlbanie, le Panama de Noriega ou certains paradis fiscaux exotiques peuvent être considérés comme des Etats mafieux ; mais il faut bien reconnaître que lEtat mafieux, contradictoire autant dans les termes que conceptuellement, est un cas archétypique ou une catégorie extrême.

[15]. Le Mexique du PRI, le Pérou de Fujimori, la Turquie, le Maroc et le Nigéria des militaires peuvent être considérés comme des Etats dirigés par des mafias politiques, tandis que la Somalie ou le Congo-Brazzaville le sont par des clans politiques criminels.

[16]. Pour preuve, lorsque, à partir de 1998, la production de coca a commencé à chuter au Pérou et en Bolivie, elle a doublé en Colombie bien que ce pays soit devenu le troisième bénéficiaire au monde de l'aide américaine.

[17]. Cf. Walzer (M.), Guerres justes et injustes, 1991, Paris, éd. Belin, 1999. Dans son ouvrage, Walzer soutient que, dans certains cas, la guerre peut être juste, c'est-à-dire qu'elle suppose l'exercice d'un jugement moral, lorsqu'il s'agit de s'opposer à une tyrannie ou à une injustice plus grande encore.

[18]. Cf. Rapport annuel pour 2002 de lOrgane international de contrôle des stupéfiants (OICS), qui dépend des Nations unies.

[19]. En 2001, la valeur totale des récoltes illicites de pavot à opium et de coca se serait élevée respectivement à 400 millions et à 700 millions de dollars, le cumul de ces sommes ne représentant pourtant que 1,3 % du revenu agricole des pays producteurs de drogue, ce dernier sélevant à 86 milliards de dollars ; la production et le trafic illicites de drogues exprimés en pourcentage du PIB varierait selon les pays producteurs : entre 10 % et 15 % pour l`Afghanistan et la Birmanie, entre 2 % et 3 % pour la Colombie et le Laos, à un peu plus de 1 % pour la Bolivie et à moins de 1 % pour les autres pays producteurs (cf. Rapport de l`OICS).

[20]. Cf. Groupe d'action financière sur le blanchiment des capitaux (GAFI), Rapport 1998-1999 sur les typologies du blanchiment de capitaux, publication de l'OCDE.

[21]. Le corporate governance repose sur une culture de la transparence (des comptes des entreprises et des rémunérations des dirigeants), le principe de la séparation des pouvoirs (indépendance de l`audit, séparation du conseil financier et de l`audit), l'acceptation de contre-pouvoirs (participation des organisations d`actionnaires aux conseils d`administration, assemblée générale d`actionnaires) face aux directions des entreprises et une reconnaissance de la légitimité du profit pour les actionnaires. Il sagit, en fait, de mettre en place une politique de rationalisation des processus de gestion et de décision, qui repose sur le contrôle de l`organisation et de ses règles de fonctionnement et qui se matérialise par des réformes comptables et des missions d`audit afin de lutter contre l`opacité des structures. Cette approche a débouché sur le renforcement des services juridiques (dans les entreprises) ainsi que sur la rédaction de codes ou de chartes (déontologiques), privilégiant des mesures de sanction financière et ne sen tenant pas à la seule loi pour améliorer la vie des affaires.

[22]. Cf. Rapport de l`institut français des relations internationales (IFRI), Commerce mondial au XXIe siècle ; les scénarios de lEurope, Paris, 2003.

 


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